Algérie

Silence, on écrit !



Rien ne prédisposait le bédouin Ali Ibn Al-Djahm (804-863), à devenir l'un des plus beaux fleurons de la poésie du temps des Abbassides. Il n'eut de cesse de lorgner en direction de Baghdad dans l'espoir de gagner l'estime d'un mécène à un moment où la poésie donnait droit, pour certains, de vivre dans le luxe et le faste des palais.

Mal dégrossi qu'il était au départ, il faillit perdre la vie pour avoir brossé, tout bonnement et naïvement, le portrait du Calife en usant d'un verbe et d'une imagerie poétique des plus désagréables et sans doute bien maladroite : « Vous êtes semblable au chien pour ce qui est de la fidélité à son maître ! ». Le maître de Baghdad, avisé de son état psychologique et de son origine sociale, le confia alors à ses courtisans qui l'installèrent aussitôt dans une superbe demeure donnant sur le Tigre. Au bout de quelques mois, la vie si raffinée à Baghdad devait le métamorphoser et faire de lui un homme aux antipodes du bédouin qu'il fût, au point que son bienfaiteur hasarda la remarque suivante, si savoureuse : « C'est à peine si le luxe ne l'avait pas anéanti ! »Le confort matériel pour ainsi dire, ne serait-il pas partie prenante de la créativité littéraire ' Karmat Ibn Hani, « La treille », demeure d'Ahmed Chawqi (1868-1932), Ramatan, « Les deux gazelles », de Taha Hussein (1889-1973), Malagar, somptueuse propriété de François Mauriac (1885-1970), Châtenay Malabry, lieu de réflexion et de repos de François-René de Chateaubriand (1768-1848), Giverny, le manoir de Claude Monet, (1840-1926) et tant d'autres superbes maisons, construites, dans la plupart des cas, conformément au goût de leurs propriétaires, font, assurément, partie de la création artistique en général, et de la vie littéraire en particulier.Bien que le poète Ibn Hani (932-972), fût tout le temps jalousé, à l'ère classique, par ses pairs du Moyen-Orient, Ahmed Chawqi, le moderne, le portait en grande estime, et donnait ainsi l'impression de vouloir à tout prix arrimer le Machrek au Maghreb. Taha Hussein, dans ses écrits comme dans ses cours magistraux à l'université du Caire, proclamait haut et fort la grandeur de la poésie arabe classique, d'où son choix de donner l'appellation de Ramatan à la demeure qu'il fit construire dans les années vingt. François Mauriac, quant à lui, semble avoir eu la chance d'hériter d'une superbe propriété dans les Landes, près de Bordeaux. D'après ses biographes, il écrivait dans le silence de cette demeure, romans, comme essais ou textes polémiques et politiques. Claude Monet, le pape de l'impressionnisme en peinture eut, en ce qui le concerne, le bonheur de se construire une demeure à sa dimension de grand coloriste, et ce fut donc Giverny qu'il décora selon ses goûts. Le grand prosateur Chateaubriand, au tout début de ses « Mémoires d'outre tombe », nous fait l'historique de sa demeure qu'il avait achetée pour répondre à ses appels intérieurs d'un écrivain aux prises avec la politique et la littérature. Georges Sand (1804-1876), au dire de ses biographes, se faisait homme, le jour, dans sa célèbre propriété de Nohant, c'est-à-dire, au moment où elle se mettait à écrire, pour retourner à sa véritable identité, le soir, celle de femme, bien enracinée dans sa féminité.La littérature, comme l'art, faut-il le dire encore, n'est pas synonyme de misérabilisme, tel que certains ont tenu à la présenter. Où s'arrêterait donc la limite du confort de l'homme de lettres '




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