Algérie

Silence, ça tourne !



Silence, ça tourne !
Ces cinq dernières années, le cinéma a joué un rôle décisif dans les pays arabes. Et les images d'une jeunesse en effervescence que diffusent en boucle les chaînes de télévision ne sont que le prolongement de ce que dévoile déjà le septième art bien avant que ne se fissure la chape de plomb des dictatures.
Miroir de la société, le cinéma est devenu depuis quelque cinq ans extrêmement attentif à la dégradation des conditions de vie et à ses répercussions socioéconomiques sur la population. Sous la dictature, la parole libre trouve pour s'exprimer des déguisements inédits' Créativité, fille de contrainte Pour contourner les ciseaux des commissions de surveillance, des mécanismes d'autocensure se mettent en place. Les subterfuges aussi : métaphore, allégorie, humour et comique se multiplient. La contrainte, aiguisant ainsi la créativité et repoussant les limites du rationnel, se transforme bien souvent, ironie du sort, en un exutoire. De nouvelles esthétiques émergent du Maghreb au Moyen-Orient, allant à rebours des sujets stéréotypes et sentes par un cinéma conceptuel dont Tarek Teguia est consacré figure de proue avec Rome plutôt que vous (2008). Son premier film suit un couple de jeunes Algérois qui tente de s'arracher à l'ennui et à la violence du quotidien. Suit Inland (2009), qui frise 1'expérimental et finit de confirmer la naissance d'une nouvelle cinematographie dans Ie paysage algérien. Dans la même veine, Yousry Nasrallah sort son opus Aquarium (2008), film psychologique où l'espace, surtout nocturne, se dématérialise ; ses frontières s'estompent pour révéler au final un espace mental miroir du moi profond. Ce choix de conceptualiser l'image s'explique par une volonté de s'ouvrir à une production plus universelle tout en demeurant attaché à des spécificités locales. La Mosquée (2010) de Aoulad-Syad met ainsi en scène l'histoire d'un vieil agriculteur qui, sous prétexte qu'il recevra la bénédiction de Dieu, se voit confisquer la terre de ses ancêtres où une équipe de cinéma a oublié le décor d'une mosquée. Face à la pression des habitants du village, sa tentative pour récupérer son bien se transforme en un combat inégalitaire et solitaire. La dénonciation de 1'injustice et Ie triomphe de la corruption apparaissent en filigrane. La jeunesse sur piédestal Le cinéma arabe a donc prouvé, avant celle des peuples, son émancipation dans la forme aussi bien que dans le contenu. Polars dignes de Scorsese (Casa Negra de Nour Eddine Lakhmari, Maroc, 2009), comédie d'un burlesque keatonien (Mascarades de Lyes Salem, France-Algérie, 2008), cinéma urbain (Microphone d'Ahmad Abdallah, 2010, Egypte) envahissent le paysage audiovisuel et font croître le nombre de productions annuelles avec en ligne de mire la jeunesse. Cette tranche de la société arabe a longtemps souffert d'un manque de représentativité sur les écrans. Depuis quelques années, conscients de la force de cette génération, des cinéastes mettent sur un piédestal son énergie, ses ambitions et ses rêves de changement. Si Microphone d'Ahmad Abdallah a remporté le Tanit d'Or aux 23es Journées cinématographiques de Carthage en 2010, c'est pour avoir osé porter à 1'écran le foisonnement artistique d'une jeunesse mise au ban de la société pour sa pratique d'arts urbains. Les déambulations de Khaled, personnage principal, nous plongent dans la vie nocturne des chats égyptiens, en écho au film Les Chats persans de l'Iranien Bahman Ghobadi (2009). Sous le regard fasciné du réalisateur, qui revient de l'étranger, le spectateur découvre l'existence de musiciens rock et hip hop2, de graffeurs et de breakers cent pour cent égyptiens. C'est cette génération qui déclenchera la révolution. La conscience du pouvoir de l'image dans ce moment crucial, où la réalité rattrape la fiction, concerne toutes les classes sociales. Le devoir patriotique de mobilisation devient une injonction : prends ta caméra et sors filmer. Sous la dictature, parvenir à arracher aux autorités une autorisation de filmer dans la rue était presque impossible. Pour le comédien et jeune réalisateur tunisien Bahram Aloui : «Avant le 14 janvier, il était très difficile de filmer. Ce n'est qu'à partir du 18 janvier que les cinéastes ont pu capter des images sans avoir affaire à la police. Aujourd'hui, on se retrouve dans une situation où tous ont la même matière. Il s'agit désormais pour chacun de trouver un traitement propre». Naissance d'un cinéma engagé Ce vent de liberté a soufflé cette année jusque sur la Croisette. Pour sa 64e édition, le mythique festival de Cannes est revenu en force sur son credo : soutenir le cinéma des pays du Sud. En hommage aux révolutions arabes, les deux pays pionniers, la Tunisie et 1'Egypte, se sont retrouvés sous les feux de la rampe. Les projections de ces films tournés dans 1'urgence se sont achevées sur un constat unanime : la naissance d'un cinéma engagé. En témoigne Ni Allah ni maître, documentaire de la réalisatrice franco-tunisienne Nadia El Fani sur la liberté de conscience. Sa caméra se déplace au milieu de la foule pour poser aux manifestants des questions intimes relatives aux libertés individuelles. L'enquête, montée à partir d'images tournées avant et pendant la révolution, pose la question de la liberté religieuse dans la société tunisienne à travers la manière dont celle-ci est vécue. Applaudi par les cercles laïcs pour film collectif réunit une équipe de réalisateurs en herbe, les plus prometteurs pour ainsi dire, ceux que 1'on voit fréquemment dans les festivals internationaux. II ressort de ces 'uvres audacieuses la persistance d'un avantage au profit de 1'industrie cinématographique égyptienne. Alors qu'en Tunisie, les réalisateurs sont en quelque sorte contraints de choisir comme précède le documentaire, 1'Egypte fictionnalise déjà sa révolution en la déclinant en mini- récits ingénieusement ficelés. Reste à reconstruire sur des bases, espérons-le, solides, le chantier de la réforme du circuit production-distribution-exploitation, laissé en suspens depuis quelques années. En attendant la mise en place des nouveaux gouvernements, associations et syndicats du secteur audiovisuel continuent leur lutte. En Tunisie, pour 1'émergence d'une industrie cinématographi-que, en Egypte, pour sa restructuration.


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