Parfois, le journalisme oublie d’être une passion sans retour pour gratifier ses tenants d’une certaine utilité sociale. A l’approche de la 23e édition du Salon international du livre d’Alger, nous déplorions ici («A quoi sert le SILA ?» le 12/10/18) qu’après plus de deux décennies, cette manifestation populaire n’ait pas encore fait l’objet d’une réflexion rétrospective et prospective, ne disposant pas de données établies par sondage sur les caractéristiques, motivations et attentes de sa fréquentation, régulièrement créditée d’environ un million et demi de visiteurs ces dernières années.
Nous avons été, semble-t-il, entendus et les organisateurs ont aussitôt mobilisé un cabinet indépendant spécialisé en organisation, études de marché et sondages, pour aller au-devant du public du SILA et tenter d’en déterminer les profils générationnels, sociaux et autres. Il s’agit de savoir quel rapport ce public entretient ordinairement avec la lecture et quels sont ses besoins en la matière (domaines, genres, sujets…).
De même, la manière dont il «utilise» le Salon du livre, comment il le perçoit et surtout comment il souhaiterait le voir évoluer. Les enquêtés ont ainsi été interrogés sur l’organisation de la manifestation, la qualité de l’accueil, la communication et la signalisation, l’animation culturelle, l’offre de livres, la gratuité des entrées, etc. En somme, une invitation à critiquer positivement ou négativement les diverses dimensions du Salon en vue de l’améliorer, sinon de le réinventer.
Des chiffres et des lettres
La rapidité avec laquelle cette étude a été mise en place est réjouissante dans la mesure où elle signale une volonté des organisateurs de se mettre à l’écoute du public et, à partir de là, de se remettre en question et de progresser. Elle pourrait cependant se traduire par quelques imprécisions méthodologiques lorsque l’on sait que de tels sondages nécessitent parfois des mois de préparation. C’est aussi une étude qu’il faudra d’emblée nuancer du fait qu’elle porte sur les «Siliens» et «Siliennes», soit la partie des Algériens qui se rendent au Salon (quand même un Algérien sur 27 en moyenne théorique !).
On espérera ensuite une enquête nationale sur la lecture et le livre, voire sur l’ensemble des comportements culturels, pour en tirer des conclusions plus profondes à l’échelle nationale. Mais pas question de faire la fine bouche quand nous avons affaire au premier sondage du genre dans l’histoire du pays. Pour avoir suivi son élaboration et le calcul laborieux de ses marges d’erreur, il est certain qu’il produira des données précieuses pour peu qu’on sache les nuancer, notamment en retenant qu’il ne peut exister un seul type de lectorat, et les interpréter avec toutes les précautions requises. Dans tout sondage, les chiffres, une fois validés, ne valent que par les lettres par lesquelles on les commente.
A plus forte raison quand il s’agit d’une manifestation justement vouée aux lettres. En tout cas, c’était déjà un réel plaisir d’observer les jeunes enquêteurs et enquêtrices munis de leurs tablettes numériques aller au-devant des visiteurs et solliciter leurs réponses au questionnaire. Chez ces derniers, on pouvait percevoir tout l’intérêt d’être consultés, une pratique que l’on retrouve rarement en Algérie, tous domaines confondus, quand elle est devenue un outil banal de management et de gouvernance dans le monde. A suivre…
Le pavillon du milieu
L’autre élément qui a marqué notre vision de cette 23e édition qui s’achève demain est sans conteste la participation de la Chine en tant qu’invitée d’honneur. Elle était à la hauteur des liens historiques qui lient les deux nations depuis la guerre de Libération nationale, à la mesure aussi de l’envergure prise par la Chine, désormais premier éditeur mondial avec des performances vertigineuses qui sont plus liées à son développement économique et social qu’à son extraordinaire démographie.
Plus de 9 milliards d’exemplaires de livres par an dont 2,27 milliards générés par 255 000 nouveaux titres (chiffres 2017). Au SILA, cela a donné un stand de 500 m2, une délégation de plus de 150 personnes et quelques événements bien ciblés. Parmi eux, la présence du Prix Nobel de littérature 2012, Mo Yan, a accaparé les attentions. C’était la première fois qu’un écrivain récipiendaire de cette distinction était accueilli au SILA et l’on comprend qu’elle ait captivé, parfois jusqu’à suggérer une autre version du syndrome de Stockholm.
La Chine a tenu cependant à montrer toute la diversité de sa littérature en alignant des auteurs de grande envergure, tels Alaï, Cao Wenxuan, Zhao Lihong et Xu Zechen. Si Mo Yan est assurément un immense écrivain, on compte dans son pays de très nombreux talents parfois plus populaires que lui. Lors du SILA, la Chine a organisé un Forum sino-arabe des éditeurs (31 octobre).
Cette initiative offrait la possibilité à l’Algérie de montrer sa capacité à se positionner comme un futur carrefour professionnel de l’édition dans le monde arabe. Le choix du SILA n’était pas fortuit du fait de l’envergure de la manifestation à l’échelle du monde arabe attestée par cette édition qui réunissait 14 pays de cette région, totalisant 567 stands (dont la moitié algériens) soit 56% du nombre total de stands (1015).
Le partenaire chinois était représenté à des hauts niveaux de son édition mais, dans la salle, on a pu constater que les éditeurs algériens étaient présents de manière insignifiante. Manque d’intérêt, d’information ou de professionnalisme ? Manque de représentativité ? Aujourd’hui, l’Algérie est peut-être le seul pays au monde qui dispose de deux organisations d’éditeurs, le SNEL et l’ONEL, dichotomie qui a poussé de nombreux éditeurs à se tenir à distance des deux et donc à évoluer en solo.
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Posté Le : 11/11/2018
Posté par : Kiwi
Ecrit par : AMEZIANE FERHANI
Source : www.elwatan.com