Jeudi 26 octobre, les portes du Sila sont à peine ouvertes que le public est déjà là en nombre. Au fil des années, le salon est devenu la plus grande manifestation culturelle algérienne, voire africaine et arabe si l’on en croit les organisateurs qui attendent au moins un million de visiteurs pour cette 22e édition intitulée « Le livre, un trésor inépuisable ».
Cette année, 638 éditeurs étrangers en provenance de 52 pays proposent leurs livres. L’Afrique du Sud a été choisie comme invitée d’honneur, la Chine, la Russie et l’Inde ont renouvelé leur présence et le Sénégal et le Cameroun exposeront pour la première fois. Les maisons d’édition algériennes sont également plus nombreuses à présenter leurs ouvrages (314 contre 291 en 2016), et ce malgré la hausse conséquente des prix des stands en raison de la baisse du budget de la manifestation, de à 120 millions de dinars en 2016 à 80 millions cette année.
Les organisateurs du Sila 2017 proposent, par ailleurs, une riche programmation avec plusieurs conférences, dont une portant sur la littérature africaine, et la présence de 85 personnalités parmi lesquelles le Marocain Anouar Ben Malek, le Guinéen Tierno Monénembo, l’Irakien Ali Bader, la Syrienne Lina Hawyan Al Hassan, ou encore la Jordanienne Razan Ibrahim et l’Égyptien Wahid Taouila.
Ouvrage sulfureux
Depuis l’ouverture du salon, les lecteurs sont attirés par un titre en particulier, Les Contrebandiers de l’Histoire, dans lequel Rachid Boudjedra attaque violemment plusieurs de ses confrères. Dans cet ouvrage sulfureux, l’auteur accuse ouvertement Kamel Daoud d’avoir été membre du GIA, groupe islamiste armé auteur de nombreuses actions terroristes et de milliers de meurtres, y compris d’enfants, lors de la décennie noire. Face à cela, Kamel Daoud a décidé de porter l’affaire en justice en déposant plainte pour diffamation.
« Les lecteurs aiment la polémique et sont curieux », se justifie Sarah Slimani, co-directrice des Editions Frantz-Fanon qui publient le livre incriminé. La jeune responsable en profite pour essayer de se dédouaner. « Chaque fois que vous trouvez un livre avec un numéro d’ISBN, ça veut dire que nous avons demandé l’autorisation au ministère de la Culture et ils nous l’ont accordée, donc on a le droit de l’exposer. Le problème c’est qu’au ministère de la Culture, ils ne lisent pas les ouvrages avant d’accorder leur publication. Une fois que le livre est publié et que la polémique a éclaté, ils se rendent compte du problème… », ajoute-t-elle, tout en dénonçant un peu paradoxalement une censure perceptible dès que le sujet du livre est délicat.
Un commissaire du Sila très controversé
A ce contexte compliqué se superpose la figure controversée de Hamidou Messaoudi, commissaire du Sila qui s’est fait remarquer avant même le début du salon pour des propos misogynes tenus à la fin septembre. Lors d’une intervention sur la chaîne de télévision privée Ennahar, il avait déploré la polémique provoquée en 2016 par une brochure intitulée « Comment frapper sa femme », en expliquant que ce genre de publications « peuvent s’avérer utiles » avant de suggérer que l’auteur aurait dû « continuer son titre par un ‘comment frapper son homme’, parce qu’ils le méritent parfois eux aussi ». Des propos qui n’ont pas manqué de faire réagir plusieurs personnalités, lesquelles ont immédiatement lancé un appel au boycott de l’événement piloté par Messaoudi.
Un appel qui a été renouvelé après l’annonce, le 10 octobre, de l’annulation des invitations de l’historien Daho Djerbal et du sociologue Aïssa Kadri, attendus à l’occasion d’une table ronde sur le colonialisme prévue le 1er novembre. Les deux universitaires ont été écartés par les organisateurs car ils font partie des signataires d’une tribune publiée le 6 septembre par le journal El Watan et dans laquelle des intellectuels réclament la tenue d’une « élection présidentielle anticipée au cours des mois à venir ». L’historien français Olivier Le Cour Grand Maison, invité à participer au même débat, a décidé de ne pas faire le déplacement par solidarité avec ses collègues et pour dénoncer cet acte de censure.
« C’est devenu un délit d’exprimer une position politique en dehors de la ligne officielle et nous sommes en plein dedans, à applaudir le cinquième mandat de Bouteflika », lâche Arezki Aït-Larbi, directeur des Editions Koukou. « Ils se sont exprimés en tant que citoyens. Cette façon de se venger sur des intellectuels qui n’ont fait que prendre position, est petite et minable ».
Posté Le : 03/11/2017
Posté par : Kiwi
Ecrit par : Zahra Rahmouni
Source : http://www.jeuneafrique.com