Algérie - Bouira

Signe de la fertilité des échanges culturels Quand Khenchela fête Yennayer à Bouira



Signe de la fertilité des échanges culturels Quand Khenchela fête Yennayer à Bouira
Publié le 15.01.2024 dans le Quotidien l’Expression

Mme Houla, la tisseuse incomparable de Khenchela, en haïk blanc m’rama et voilette de même couleur, comme si elle était un oracle et que de ce qu’elle va leur révéler dépendrait leur avenir.
Une fête très colorée
La fête battait son plein, ce jeudi, veille du Nouvel An berbère. À la Maison de la culture, plusieurs expositions sont organisées, dédiées à la littérature, à la peinture, à la poterie, et pour être tout à fait dans le ton, au costume traditionnel et à la cuisine, tant ancienne que moderne, ainsi qu'à d'autres produits, agricoles. À l'heure où nous arrivons, l'ambiance n'a pas encore atteint ce degré à partir duquel, on peut parler de paroxysme. Tout à fait logique. Il est trop tôt, et la visite du wali est annoncée vers 10 heures. Nous sommes comme tout le monde, dans l'attente de ce que va dire le premier responsable en cette circonstance solennelle, autour de laquelle se cristallise toutes les espérances.
Pause aux stands des livres
Pour tuer ce qui nous reste de temps avant l'arrivée du premier responsable de la wilaya, nous nous arrêtons un moment devant les stands de livres. Il y a des auteurs qui sont de réputation d'anciennes connaissances, comme Mammeri avec ses Isfra de Si Mohand (Éditions Mahdi), Youcef Nacib, Autour de la culture algérienne. Et puis d'autres, dont la carrière commence à peine. Nous citerons Saïd Abbas, avec Micma que nous traduisons du kabyle par «les blessures», Abdelmalek, auteur kabyle, à qui nous devons deux romans, dont Karima et un dictionnaire en tamazigh. Et quantité d'autres qui témoignent de la vitalité du roman en langue amazighe, car on n'a jamais autant produit qu'à cette époque où il semble que nous sommes bel et bien en présence d'une renaissance dans les arts, le théâtre et la littérature.

Le flot de gens grossit, entre les stands. La pluie dehors tisse toujours sa trame fine et glacée. La même depuis des jours. L'hiver prend sa revanche sur plusieurs années de sécheresse. Le Nouvel An s'annonce sous d'heureux auspices. Cela tombe bien. Que serait Yennayer sans un vrai hiver? Froid, pluie, vent, neige participent de la tradition. C'est la seule fête qui ne peut pas être gâchée par les intempéries. Dans nos souvenirs, il a toujours venté, plu et neigé. Sans ces éléments de la nature qui ont bercé nos rêves d'enfants, autour d'un feu de bois, au milieu de la fumée et des fumets les plus fins, que seraient ces festivités?

À quel moment nous sommes-nous détachés de l'emprise de ces livres offerts à notre curiosité, comme les mets qui se préparent sur l'aile gauche de ce vaste palais rose qui a reçu le nom béni de Maison de la culture, et qui ne vont pas tarder à éveiller notre appétit? L'homme que nous avons en face de nous retient notre attention. Il a l'air d'un intellectuel. Nous le rangeons vite parmi les écrivains. Les deux volumes posés devant lui plaident en faveur de cette thèse. Nous nous approchons de lui et la conversation qui s'engage tout de suite avec lui montre d'abord qu'il s'agit d'un seul livre en deux exemplaires et que ce que nous prenions un instant plus tôt pour un gros roman est en fait un dictionnaire des auteurs algérien. Autre erreur corrigée par la même occasion: il est signé par un autre. Lui est bien un écrivain, mais il n'expose qu'un seul recueil de récits de guerre, ainsi qu'il l'intitule. Nous en venons vite au journalisme. Grâce au nom figurant sur la couverture du livre, nous venons de reconnaître un ancien journaliste d'El Moudjahid. C'était au temps où Mouloud Achour tenait la page culturelle. Il y trônait en maître comme au niveau de la Sned, rue Larbi Ben M'hidi, où il présidait le comité de lecture. Nous avions longtemps tiré orgueil de son amitié, solide et sincère.

Nous quittons les stands de livres pour celui de Khenchela qu'il jouxte. La wilaya hôte expose des produits de tissage, dont le plus en vue est le tapis qui porte son nom. Mais nous n'y reviendrons que beaucoup plus tard, quand il sera acquis pour nous que la visite du wali aura été reportée pour vendredi.

Mme Houla et les lycéennes
Elles sont toutes les six au lycée de jeunes filles dans ce quartier, au nord de l'ancienne ville, et qu'on appelle le Château. Elles sont en terminale, fréquentent la même classe. Trois rêvent de devenir avocates, une psychologue et une autre journaliste. Trois sont de Bouira, deux de Ath Laâziz et une de Aïn Bessem. Elles ont fait le tour des stands, ont pris énormément de photos, et maintenant elles, entourent Mme Houla, la tisseuse incomparable de Khenchela, en haïk blanc m'rama et voilette de même couleur, comme si elle était un oracle et que de ce qu'elle va leur révéler dépendrait leur avenir. Nous tombons au milieu de ce groupe débordant de vie et d'enthousiasme, s'enflammant aussi facilement pour les choses du passé que pour celles de l'avenir. Écoutons-les. Aya qui rêve d'être avocate: «Le passé, c'est comme un livre d'histoire. Il nous apprend plein de choses formidables.» Hanane qui se voit déjà en juriste aussi: «Les traditions sont attachantes en cela qu'elles font partie de notre vie, tout en nous parlant d'un autre temps.» Zineb qui se voit déjà journaliste a, en tant que Kabyle, un goût plus prononcé pour la robe kabyle, un emblème devenu, avec le temps un symbole national. Parce que tradition et modernité sont liées, pour Imane qui hésite entre l'avocate et la psychologue, elle les traite l'une et l'autre avec respect. Pour Ikram que le métier de psychologue passionne tout autant, «la tradition est une richesse qui ne saurait être négligée. Sans elle», selon elle, «nous nous sentirions si pauvres, si démunis». Mme Houla, devant tant de certitude, d'optimisme et de confiance demeure silencieuse. Qu'a-t-elle fait à leur âge? Quels rêves l'ont fait aborder à ces rivages inconnus de nos jeunes? Vraiment? Qu'est-ce qui reste encore à connaître pour elle? Son tapis magique ne l'avait-elle pas portée de Khenchela à Alger, de Ghardaïa à Relizane, de Bordj Bou Arreridj à Tébessa. Que lui reste-t-il encore à voir, à envier? Enfant, elle regardait sa mère Aïcha que les soldats français ont failli tuer un jour pour lui arracher ce qu'elle savait sur son mari, moudjahid de première heure, elle avait hérité un certain doigté et une extrême patience. Ce magnifique tapis qu'elle expose et devant lequel les jeunes lycéennes prennent maintenant des photos avec leurs portables, eh bien, il lui a pris trois mois par exemple. Ces dernières parties, emportant avec elles leurs rêves et leurs espoirs en une vie meilleure, la native de Khenchela se lève et donne quelques détails sur la façon de faire des motifs, sur la distance calculée au millimètre près qui les sépare. Voici quelques noms de motifs: «chenagueche, belamaâ, Leghrout, lemsel», le dos du tigre etc. Il existe, selon elle beaucoup de tapis. Y compris le tapis Béber, où les jeunes filles font leur apprentissage. Mais le tapis de Khenchela est totalement différent des autres. Le sien s'appelle Dragga. On peut le voir dans l'atelier de Béber qu'elle n'a pas fréquenté, tenant tout de sa mère, mais à qui, quand même elle vend ses produits.

Un tapis magique pour voyager
À l'autre bout du stand aux murs et au parterre couvert de tapis et de coussins, une autre tisseuse expose, elle aussi des tapis. Elle et ses trois soeurs ont été à l'école Béber, aux 300 Logements, rue El Aïzer. «Ce sont les hommes qui font ce métier et ce sont eux qui l'apprennent aux femmes», affirme Mme Bouazziz Rebya. En général, pour fabriquer un tapis, on se met à trois et cela dure deux mois et demi, à trois. Mais il y a, la Touiza, une forme de solidarité dont les hommes ne sont pas exclus et où on se met à plusieurs pour achever l'ouvrage. «Au commencement, on met une cagnotte enroulée dans le métier à ses débuts», se souvient Mme Bouazziz. «Puis quand l'ouvrage est achevé, avec l'argent gardé ainsi pendant deux mois et demi ou trois, on achète de quoi faire un bon repas et on banquette.» Ajoute-t-elle. Pour elle, c'est un tel labeur, la fabrication d'un tapis! Il est juste qu'à la fin, on se sente heureux. Elle aussi montre sur un tapis, moins beau, moins bien fignolé que celui de Mme Houla, les motifs, les couleurs brun et blanc naturelles, et les calculs à observer scrupuleusement entre les motifs. «Si vous vous trompez d'un seul point, avertit l'ancienne apprentie de Béber, tout tombe à l'eau, et tout est alors à refaire.» Et elle montre comment, arrivé à la moitié de l'ouvrage, on reprend tout depuis le début, de sorte que la première partie soit l'exacte réplique de la première.» C'est que, selon notre interlocutrice, un tapis, c'est comme les maths. Tout doit s'enchaîner logiquement, et tout doit être exact. Et cette science où tout s'énonce avec clarté et exactitude, c'est maître Si Hadj Messaoud Kateb qui l'enseignait.

La benjamine de quatre soeurs évoque ensuite les conditions difficiles de ce travail délicat, le filage et le tissage qui occupent l'essentiel de votre temps. À Béber, se souvient-elle encore, on est payé au mètre. Plus on travaille et plus on est payé. Mais si on ne fait rien, on n'obtient rien. Elle aussi ses tapis la font voyager. Elle a déjà fait, grâce à eux, de nombreuses wilayas, comme El Tarf, Oum El Bouaghi, Tlemcen, Béchar, etc. Elle a même été invitée par TV4.

Beaucoup de visiteurs s'arrêtent devant ce stand tout en tapis et coussins. Ils regardent, posent des questions. Un poète de Sour El Ghozlane se plante au milieu de la pièce et se met à déclamer des vers sur le 1er Novembre. Cela attire plus de personnes encore. Une jeune fille se fait photographier assise au fond, sur un coussin brodé. Une autre s'approche d'un plat exposé et fait semblant de manger. Une autre encore embouche une longue flûte dont elle ne tire aucun son. Mais c'est juste pour poser.
La présidente de l'association pour la promotion et la défense de la femme, Melle Hanna Driss, présente quelques plats traditionnels de sa wilaya, à quelque 450 km de Bouira: «ziraoui, tamina, chakhechoukha» etc. Puis un mot sur la robe chaouie qui se porte avec une sorte de châle appelé «malhfa», tout en tulle et la robe proprement dite, en tissu noir avec le diadème en argent sur la tête qu'elle a enfilés, car, en ce jeudi, on est à la veille de Yennayer.

L'association qui a le vent en poupe a signé une convention avec le ministère de la Justice et se rend deux fois par semaine à la prison pour donner des cours de couture aux détenues.
Ali DOUIDI



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