Pour la quatrième année consécutive, la paisible commune de Sidi Mezghiche, au sud de Skikda, a été déclarée «commune la plus propre de la wilaya».
Une juste consécration qui, cependant, cache très mal les graves atteintes à la santé publique et à l’environnement que font peser les émanations d’épaisses et pestilentielles fumées qui, chaque soir, viennent hanter les lieux. Elles viennent se répandre, au gré des vents, depuis une décharge implantée à moins de deux kilomètres seulement du chef-lieu de commune. Le contraste est saisissant.
Sidi Mezghiche, commune rurale par excellence, se niche au milieu des meilleures terres agricoles de la wilaya. Certains disent même que ce seraient les terres les plus fertiles du pays. Le village est propre et il y fait bon se balader le long de ses artères. Tout autour, les terres agricoles s’offrent à perte de vue. Le spectacle est agréable, mais cette beauté s’estompe dès qu’on regarde vers le sud. De loin, des filets de fumée s’élèvent mollement vers le ciel.
«C’est la décharge publique. Ces fumées sont en réalité les restes des feux que certaines personnes ont allumé hier soir. Heureusement qu’il n’y a pas de vent aujourd’hui, sinon, vous auriez vu où finissent ces fumées», témoigne un vieil habitant.
Ici, tout le monde vit aux nouvelles des braises de la décharge. Ici, on sait que si la moindre étincelle venait à s’y déclarer, elle annoncerait une nuit invivable au village.
Les pyromanes de l’ombre
Cette décharge maudite ne s’en cache pas. Elle s’exhibe même à droite de l’entrée du village. C’est un immense espace noirâtre de plus de deux hectares. On y accède à partir d’une piste de quelques dizaines de mètres seulement pour s’immiscer dans un monde infect. Des dizaines de monticules de déchets brûlent encore. Ici s’entremêlent déchets ménagers, décombres, gravats... L’air est irrespirable. Plusieurs cigognes au plumage noirci semblent y avoir trouvé refuge.
«C’est un espace où on entasse tout de même les déchets ménagers de deux communes, Sidi Mezghiche et Oum Toub. C’est-à-dire l’équivalent de 60.000 âmes. C’est beaucoup, d’autant plus que c’est une décharge non contrôlée et ne répondant à aucune norme. C’est vrai qu’on délègue un agent de sécurité pour dissuader les éventuels maraudeurs qui viennent y mettre le feu, mais la commune n’a pas les moyens humains pour assurer un gardiennage continuel», estime un cadre municipal.
Cette situation a de tout temps encouragé des groupuscules de jeunes à faire de cette décharge un lieu privé où ils puisent quelques menus objets à revendre.
Le même cadre de la mairie revient sur le mode d’emploi de la mise à feu des déchets: «La commune n’a jamais mis le feu à cette décharge. Ce sont des groupes de jeunes désœuvrés qui adoptent malheureusement un comportement aux conséquences très graves, aussi bien pour leur propre santé que celle des riverains. Ils profitent de l’absence de gardiennage pour se partager les monticules de déchets déversés. Ils procèdent d’abord par une fouille presque méticuleuse de ces déchets et une fois leur tri achevé, ils y mettent le feu. C’est une façon à eux de marquer les monticules ayant déjà été inspectés. Ce sont ces feux, plusieurs en une journée, qui en s’accumulant deviennent des nuages noirâtres, infects, qui vont couvrir et polluer soit le village de Sidi Mezghiche, vers le sud, soit l’agglomération Bouhalbès, vers l’ouest.»
Le village du brouillard
Au village, la décharge reste un sujet de discussion et d’appréhensions.
«Il faut venir le soir à Sidi Mezghiche pour voir ce que nous endurons. Quand le vent Bahri (vent marin) souffle, il colporte toutes les fumées de cette maudite décharge vers le village. Même l’air devient irrespirable des fois. Souvent, on ne peut même pas ouvrir nos fenêtres», témoigne un vieux de Sidi Mezghiche.
Etrangement, les jeunes, eux, sont moins bavards. Suspicieux même. Il est difficile dans ces contrées de parler à la presse. Seuls quelques-uns acceptent, et difficilement de vider leurs sacs pour dire tout le mal qu’ils pensent de cette maudite décharge. Ils ont leurs mots à eux, leur propre dérision.
«Sidi Mezghiche est la Londres de Skikda. C’est la ville du brouillard», lance un jeune comme pour résumer tout un état des lieux.
Sa diatribe fait rire ses amis, attablés autour de cafés. Encouragés, ils se lancent à leur tour: «Des fois, les fumées enveloppent tout le village. C’est comme cette couche de brouillard en hiver. Ces fumées puent aussi. Moi, j’ai vu ma voisine, une vieille, se faire évacuer car elle n’arrivait plus à respirer.»
Et les autres jeunes d’enchaîner: «Les soirées du Ramadhan on les a passées à respirer cette mauvaise odeur. On a toujours dénoncé cette décharge, mais à chaque fois on nous dit de patienter. On nous dit qu’il y a une nouvelle décharge en aménagement à Hermala. Ces promesses durent depuis 2011».
Ses compagnons rient malicieusement.
Un jeune homme, la trentaine, se joint à la partie: «On nous dit que la décharge de notre commune sera fermée dès que celle de Hermala sera ouverte. Il y a trois ans on nous disait qu’elle était à 80%. Aujourd’hui encore, ils nous disent qu’elle est à 80%. On cherche juste à nous faire des promesses. On ne se soucie même pas du bien-être de nos vieux et de nos malades asthmatiques.»
Ces jeunes semblent ne plus croire aux promesses qu’on leur vend.
Photo: Les fumées poussées chaque soir par les vents sont une menace pour la santé publique
Khider Ouahab
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Posté Le : 13/07/2016
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: El Watan ; texte: Khider Ouahab
Source : elwatan.com du mardi 12 juillet 2016