Algérie

Sidi Brahim, cimetière des «chasseurs d'Orléans»



Sidi Brahim, cimetière des «chasseurs d'Orléans»
Rokbet Mezzoudi est un des contreforts de la petite chaîne du Guerbous, au revers du Djebel Kerkour, sur la route conduisant de Sidi Boudjenane à Ghazaouet. A 25 km de cette ville, un monument de 5m50 de haut a été érigé à l'endroit même où a été tué le lieutenant-colonel Montagnac le 23 septembre 1845 début de la cuisante défaite pour la France de «la Bataille de Sidi Brahim» qui s'est étendue jusqu'au 26 septembre.

Une ordonnance royale du roi Louis-Philippe 1er du 28 septembre 1840 décide la création de 10 bataillons sur le type de celui des tirailleurs de Vincennes. Le nom de tirailleur est abandonné au profit de celui de chasseur à pied (qui prendra aussi le nom de chasseur de Vincennes). La création de ce nouveau corps des chasseurs tend à la formation d'une troupe d'élite. En décembre 1839, la 1ère division (à laquelle appartient le bataillon de tirailleurs) commandée par le duc d'Orléans, est envoyée en renfort contre l'Emir Abd-El-Kader lors de l'expédition des Portes de Fer. Dès 1841, 5 de ces bataillons sont engagés en Algérie (les 5e et 8e à la province d'Oran, les 3e, 6e et 10e à celle d'Alger). En 1842, pour perpétuer le souvenir du Prince royal (mort à Neuilly, victime d'un accident de voiture) et sur proposition du maréchal Soult, les chasseurs sont désignés sous la dénomination de «Chasseurs d'Orléans». À la suite de la bataille «de Sidi Brahim», le 8e bataillon de chasseurs à pied prendra le nom de «Bataillon de Sidi Brahim».

F.-J. Lucien de Montagnac (mort à l'âge de 42 ans à Sidi Brahim) a été responsable de nombreux massacres à l'encontre des populations civiles sans défense durant la conquête de l'Algérie. En 1836, il est envoyé en Algérie comme capitaine. Le 18 juillet 1841, il est élevé au grade de chef de bataillon. Pendant cette période, il s'illustre par sa brutalité à l'égard des populations locales : le 15 mars 1843, il écrira ceci : «On ne se fait pas d'idée de l'effet que produit sur les arabes une décollation de la main des chrétiens..., aussi, une tête coupée produit-elle une terreur plus forte que la mort de cinquante individus. Il y a déjà pas mal de temps que j'ai compris cela, et je t'assure qu'il ne m'en sort guère d'entre les griffes qui n'aient subi la douce opération. Tous les bons militaires que j'ai l'honneur de commander sont prévenus par moi-même que s'il leur arrive de m'amener un arabe vivant, ils recevront une volée de coups de plat de sabre». Le 2 mai 1843, il précise : «Nous nous sommes établis au centre du pays..., brûlant, tuant, saccageant tout. Quelques tribus pourtant résistent encore, mais nous les traquons de tous côtés, pour leur prendre leurs femmes, leurs enfants, leurs bestiaux». Son acharnement n'épargne pas les femmes : «On en garde quelques-unes comme otages, les autres sont échangées contre des chevaux, et le reste est vendu à l'enchère comme bêtes de somme».

Il vante même les exécutions sommaires qu'il multiplie; il écrit de Philippeville le 15 mars 1843 : «Voilà, mon brave ami, comment il faut faire la guerre aux arabes : tuer tous les hommes jusqu'à l'âge de quinze ans, prendre toutes les femmes et les enfants, en charger des bâtiments, les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs; en un mot pour finir, anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens... Selon moi, toutes les populations qui n'acceptent pas nos conditions doivent être rasées, tout doit être pris, saccagé, sans distinction d'âge ni de sexe; l'herbe ne doit plus pousser où l'armée française a mis le pied» (In : de Montagnac - «lettres d'un soldat, neuf années de campagnes en Afrique» - «correspondance inédite du colonel de Montagnac publiée par son neveu» [Charles, fils de Elizé de Montagnac] - Paris Plon 1885, p.503). Le 19 décembre 1844, il écrira encore ceci à sa sœur : «Et ces malheureuses populations ? Elles iront toutes mourir de misère sur le bord d'une fontaine tarie; celles qui échapperont au désastre viendront s'étioler sous les miasmes de notre civilisation infecte, et s'éteindre bientôt. Tel est pourtant le sort réservé à tous ces êtres que les évènements ont placés sous notre domination. Là où nous passons, tout tombe» (In : Archive Galica-p.427). Comble ! Complicité de crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide, le général d'Hilliers Baraguay sera chargé de lui transmettre les témoignages de satisfaction du ministre de la Guerre qui, le 10 mars 1844, le fera élever au grade de lieutenant-colonel au 15e Léger.

Le 21 septembre 1845, Montagnac, commandant supérieur du poste Djemaâ-Ghazaouet, part à la rencontre de l'armée de l'Emir avec plus de 800 hommes : 456 hommes du 15e Léger dont 390 du 8e Bataillon de Chasseurs d'Orléans et 2 pelotons du 2e Hussards, régiment de Chamborant (66 cavaliers; tous furent tués), commandés par Courby de Cognord, du capitaine Genty de Saint-Alphonse et du sous-lieutenant Klein (tué lui aussi), s'y ajoutèrent 5 compagnies du 8e Chasseurs (346 chasseurs et carabiniers), commandés par A.-L.- Adolphe Froment-Coste (tué ce jour-là) et du capitaine Dutertre, de Rozagutti (chirurgien) et de Lévy (interprète).

Entraîné dans une embuscade, il est attaqué par les 1.500 cavaliers menés par l'Emir et ses khalifas Mohamed Bouhmidi Oulhaci et Mustapha Ben Touhami. La colonne Montagnac est presque entièrement détruite et une centaine d'hommes faits prisonniers. Le capitaine Dutertre, fait prisonnier, est amené devant le mausolée de Sidi Brahim pour exiger la reddition et la vie sauve des chasseurs qui s'y sont réfugiés. Avant d'être mis à mort, il aura le temps d'exhorter les survivants à se battre jusqu'à la mort. Le capitaine de Chargère et le lieutenant de Raymond sont tués, le sous-lieutenant Larrazet et le commandant de Cognord seront faits prisonniers. A l'aube du 3e jour, le capitaine Géreaux, seul officier qui n'a pas été tué avec le lieutenant Chappedelaine, sortira du mausolée de Sidi Brahim avec ses soldats pour se diriger vers Djemaâ-Ghazaouet. À quelques kilomètres du camp, la troupe ne peut résister à l'affrontement contre des combattants des Ouled Ziri. Le capitaine Géreaux sera tué et de ses 82 hommes, 11 seulement survécurent, dont un hussard (In : Cavaignac, «Rapport Militaire»). C'est durant la bataille de Sidi Brahim que l'Emir reçut la seule blessure sérieuse durant ses 17 années de djihad, blessure au lobe de l'oreille droite par le ricochet d'une balle perdue. Il fit une prière à 2 génuflexions sous un olivier qui existe toujours. Après avoir sécurisé l'endroit, les troupes françaises ont récupéré les restes des soldats et ont construit un tumulus en pierre avec un peu de maçonnerie par le 2e Zouave. En 1853, l'armée française a édifié, sur le sommet du monticule (où a péri Montagnac) connu sous le nom de «colonne Montagnac» («Tell Bouhmidi» serait plus juste). Dans la nuit du 17 au 18 mars 1888, ce monument fut totalement détruit par la foudre et reconstruit la même année avec un apport supplémentaire de 2m, donc il fait maintenant 7m50. L'obélisque existant sur la «place d'Armes» d'Oran a été édifié en 1898 à la mémoire des soldats français tombés à Sidi Brahim (œuvre du sculpteur français Jules Dalou) et inauguré en grande pompe le 23 septembre 1898. A l'indépendance, l'effigie de l'Emir Abd-El-Kader fut scellée sur les quatre faces du monument.

Les restes des soldats français tombés à Sidi Brahim furent rassemblés dans un ossuaire appelé «tombeau des braves» qui se trouvait sur les bords de la rivière que longe la vieille route conduisant de Ghazaouet à Nedroma, au pied de l'escarpement qui sert de rempart au village des Ouled Ziri, entre la route et la rivière, nommée en cet endroit Oued El-Mersa. C'est dans le ravin proche que les rescapés de la «bataille de Sidi Brahim» furent achevés, le 26 septembre 1845, à coups de batte par les femmes des Ouled Ziri (dont l'héroïne El-Âfia qui sera déportée). En 1962, les restes seront ramenés en France et en 1965, ils seront déposés dans le musée des chasseurs dans le vieux fort de Vincennes.

Sources :

Pierre Givaudon, «Eugène Cavaignac (1802-1857)», Bulletin de la Sabix. Société des amis de la Bibliothèque et de l'Histoire de l'École polytechnique, no 48, 1er juin 2011, pp.73-78.

Pierre Caron, «Lt Paul Azan, Récits d'Afrique. Sidi Brahim, 1905», Revue d'Histoire Moderne & Contemporaine, vol. 7, no 8, 1905, pp.629-631.

«Notice manuscrite sur le combat de Sidi Brahim» du capitaine Guénard, officier adjoint du bureau arabe de Djemmaa El Ghazaouet.

Archives du 7e bataillon de chasseurs alpins de Bourg-Saint-Maurice.

Camille Leynadier et Bertrand Clauzel, «Histoire de l'Algérie française», 1846, p.403)

Les représailles seront disproportionnées : les commandants en chef de l'armée française se ruaient impitoyablement contre toutes les tribus algériennes, proies systématiques du génocide et du pillage. Saint-Arnaud, Youssouf, Montagnac, Cavaignac se livraient aux massacres les plus ignobles et les plus odieux. Bugeaud et ses officiers sont coupables devant l'histoire des plus grands crimes de guerre, génocide et crime contre l'humanité. Le polygraphe andalou d'origine arabe Abou Obaïd Abdallah Ibn Abdelaziz El Bekri, dans sa description de «l'Afrique septentrionale», mentionne la forteresse de Taount (Touente ou Taouant). Elle sera rasée le 23 octobre 1845 sur ordre du général Bugeaud. Ses officiers font état dans leurs correspondances de choses horribles : incendies des villages et des récoltes, prises d'otages, viols, massacres (In : écrits de Louis Veuillot).

Dans les «campagnes d'Afrique» édité en 1898 (1835-1848-Plon-1898-Paris), nous découvrons une foule d'informations sur le déroulement de la conquête. C'était l'époque où il était licite de glorifier les massacres et les criminels et de rendre compte sans pudeur des tueries, des pillages, des destructions, des viols et des ravages commis contre les tribus algériennes. Les écrits d'historiographes de la colonisation constituent sans nul doute le plus gros en matière d'archives se rapportant à la conquête de 1830. Presque tous les officiers de l'armée française ont signé des comptes-rendus à leurs supérieurs retraçant les expéditions et autres razzias. Même dans leurs correspondances privées, officiers ou parfois de simples soldats, racontaient à leurs proches comment se déroulait l'invasion de l'Algérie. Montagnac ou Saint Arnaud, se vantaient d'avoir été les auteurs les plus zélés de massacres et de tueries collectives. C'est dans ce même esprit que le colonel Robin qui a participé à la répression de l'insurrection de 1871, proclame avec force que «la race supérieure, porteuse d'une civilisation, était autorisée à massacrer la race inférieure dans son propre intérêt». C'était une théorie officielle qui couvrait naturellement tous les méfaits et tueries collectives commis en terre conquise.

Personne n'avait honte de le cacher. Plus on tuait d'arabes, plus on avait la chance de gravir les échelons de la hiérarchie militaire. Gabriel Esquer a, au début du 19e siècle, fait publier de gros volumes contenant les correspondances d'officiers supérieurs. Louis Veuillot reconnaissait à l'Emir son humanisme. Gouvion et son épouse ont eu cette intégrité intellectuelle de dire des vérités que leur imposa la forte personnalité de l'Emir Abd-El-Kader (In : Les Français en Algérie», p.186. Cité par Cheikh Bouamrane). Les correspondances des généraux français eux-mêmes nous renseignent sur la guerre d'extermination menée par l'armée française : «Nous tirons, peu de coups de fusils, nous brûlons tous les douars, toutes les villes, toutes les cahutes... On ravage, on brûle, on pille, on détruit les maisons et les arbres. Pour chasser les idées noires qui m'assiègent quelquefois, je fais couper des têtes» (Saint Arnaud). Un historien français socialiste n'a pas hésité à écrire : «Les généraux élevèrent la dévastation à la hauteur d'une doctrine. Ils ne brûlèrent pas le pays en cachette et ne massacrèrent pas les ennemis en faisant des tirades humanitaires.

Ils s'en firent gloire, tous». Le général Pélissier enfermera 500 hommes, femmes et enfants de la tribu des Ouled-Riah dans une grotte et les fera périr par asphyxie, «enfumés comme des bêtes puantes». Bugeaud, qui avait en 1845 ravagé plusieurs villages kabyles, accusés d'avoir seulement donné l'hospitalité à l'Emir, avouait avec la franchise du soldat têtu : «Nous avons beaucoup détruit, peut-être me traiteront-on de barbare. Mais je me place au-dessus des reproches de la presse quand j'ai la conviction que j'accomplis une œuvre utile à mon pays».

L'Algérie éprouvait toute la force de la civilisation européenne, mais d'une civilisation entièrement dépourvue de cette charité qui devait en être la marque. *Dr.



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