Suite et fin
Qu'importe ! Le public implanté sur cette
terre veut maintenant de l'opéra: un contrat est signé avec une troupe
sicilienne pour produire des oeuvres de Verdi, Hernani, le Barbier de
Séville... Puis «le public se remet à murmurer, la politique s'en mêle... Les
dames de la bonne société ne fréquentent pas le théâtre de peur d'y être avec
«des filles». La colonisation charrie de tout, toutes sortes d'aventures et
d'aventurières aux moeurs légères. Alors, après des transformations en 1867, un
nouvel aménagement du théâtre a lieu en 1892. La population européenne dépasse
en ce moment 20.000 habitants. L'accaparement des terres suit l'évolution du
théâtre et inversement. Enfin, dans sa séance du 17 février 1932, le conseil
municipal, avec Lucien Bellat étant maire, décide la démolition du vieux
théâtre «ce brave monument qui commence à agoniser sous les mépris de la
nouvelle génération», citent le duo Nehari-Tabet Aïnad. Celle-ci compte alors
30.000 habitants et affiche ouvertement un dédain propre aux nouveaux riches
qui rêvent d'un théâtre en marbre, de corbeilles et de velours. Sidi Bel-Abbès,
qui prépare parallèlement la «foire aux vins», n'a-t-elle pas plus du dixième
des vignobles de toute l'Algérie ! Le projet conçu par Montalan, architecte du
gouvernement général, est approuvé définitivement lors de la séance du 23
novembre 1932. En pleine crise économique mondiale, alors que les faubourgs
entiers de la ville arabe ne disposent ni d'eau courante, ni d'électricité, ni
du tout-à-l'égout, ni même de routes bitumées, le nouveau bâtiment coûtera une
fortune à tous les contribuables et notamment aux indigènes qui ont toujours
payé plus d'impôts. Mais désormais Sidi Bel-Abbès, ou du moins sa population européenne,
pourra s'enorgueillir: elle a le plus beau théâtre d'Afrique du Nord, ce qui
n'était pas tout à fait faux. Dès lors, toutes les troupes de théâtre
métropolitaines y passent régulièrement lors de leurs tournées «africaines»
notamment la Comédie française, les galas Karsenti, le théâtre du Marais, la
Comédie des Champs Elysées.. Les Frères Jacques... Lise Delamare, Raymond
Rouleau, Pierre Brasseur, Arletty, Michel Aumont, Edwige Feuillère, Maria
Cassarès et autres artistes de renom y jouent la comédie ou la tragédie. Tous
sont passés, passent ou vont passer par là. Molière, Racine, Corneille,
Feydeau... y sont représentés mais toutes les pièces programmées sont
françaises. La colonie, renfermée intellectuellement sur elle-même, ne s'ouvre
jamais sur le théâtre universel; elle «est nombrilique» et veut, un moment, se
croire à Paris. Tous les samedis soirs, ces dames de la haute société affichent
dans le hall d'entrée en marbre leurs dernières toilettes à la mode parisienne,
les derniers parfums de Paris. Sidi Bel-Abbès n'est-elle pas surnommée alors
«le petit Paris» ? N'est-ce pas aussi une fonction séculaire de ce théâtre, du
théâtre que ce «m'as-tu-vu» ? Derrière les coulisses, le conservatoire
municipal perpétue la tradition locale.
Des lycéens apprennent la déclamation au
cours d'art dramatique et montent même une tragédie (le Cid) et une comédie (La
Maison du printemps). Mais les indigènes n'ont encore rien vu. En ces années
d'avant-guerre, le théâtre arabe est encore à ses balbutiements grâce à ses
pionniers tels que Rachid Ksentini et Mahieddine Bachtarzi à partir des années
1925, ce qui coïncide avec la création du premier parti politique: l'Etoile
Nord-Africaine. Cependant, désormais la troupe dirigée par Mahieddine inscrira
régulièrement Sidi Bel-Abbès dans ses tournées à l'intérieur du pays. Ses
mémoires la citent très souvent, ce qui témoigne d'une certaine fréquence qui
n'aurait pas été possible sans un public averti et fidèle à l'homme de théâtre
et à sa propre culture en même temps. Or, celle-ci est déjà prise en charge par
des enfants de la ville. Mahieddine en témoigne au passage: «Il aimait la
langue arabe littéraire (le cercle littéraire de la jeunesse belabbésienne y
existe depuis 1935) à l'époque... Il s'agit de Lakhdar Saïm (frère aîné de
celui cité plus haut), l'auteur, compositeur, chanteur et acteur qui dirigea
longtemps le théâtre de Bel-Abbès après l'indépendance)», écrit-il dans ses
mémoires. Morchid dans le scoutisme mais toujours féru d'expression, Saïm
Lakhdar a aussi souvent monté des pièces ou des sketchs éducatifs ou comiques,
interprétés au «Nadi» par les jeunes scouts de la ville. Par ce biais, le
théâtre a aussi conquis El Graba et joué ainsi son rôle social et politique. Au
tournant de la moitié du siècle, parallèlement au mouvement national, le
théâtre arabe a pénétré dans l'Algérie profonde et même des petites localités
de l'Oranie, comme Tighennif, sont visitées. L'essor certain de ce théâtre se
mesure en nombre de pièces créées ou adaptées et en représentation. Mais le
moment fort de cette période sera marqué par la tournée de la troupe nationale
égyptienne conduite par le grand dramaturge Youcef Wahby, le 2 mars 1952. «Elle
est reçue dans la salle des fêtes de l'hôtel de ville par la municipalité de
Sidi Bel-Abbès qui avait tenu à offrir aux visiteurs un thé d'honneur. En
l'absence de Justrabo, maire, M. Azza, adjoint au maire, au nom de la
municipalité, souhaita une cordiale bienvenue à la troupe et se plut à
souligner le niveau élevé où sut se hisser le théâtre d'expression arabe...»,
rapporte «Alger Républicain» cité par Mahieddine Bachtarzi. Au théâtre de la
ville, elle joue ce jour-là, Awlad El Fouqara ou Awlad Ech-Chaourié (les fils
des pauvres ou des rues). Youcef Wahby s'y révèle un observateur réaliste de la
vie contemporaine propre à l'Egypte et à l'Algérie sous domination coloniale.
Suivant une progression dramatique rigoureuse, l'émotion grandit dans la salle,
d'acte en acte, pour exploser au dernier, quand apparaissent une infirmière
portant l'insigne du Croissant-Rouge et deux policiers de l'Etat égyptien. Le
rêve et les aspirations des musulmans algériens devenaient réalité sur les
planches de ce théâtre. Le tonnerre d'applaudissements qui les accueillit avait
nettement une double signification pour l'observateur averti, culturelle et
politique. D'ailleurs, celle-ci pénètre maintenant carrément dans ce haut
temple belabbésien de la culture dominante. Voici d'abord Messali Hadj, le
fondateur du mouvement nationaliste algérien, qui, entre deux portes de prison,
prend possession symbolique de ce lieu. Le leader politique monte sur les
planches, il y tient meeting; la salle est archi-comble. Beaucoup de
concitoyens de la ville ou des environs découvrent pour la première fois les
luxueux fauteuils de velours rouge de ce théâtre. Ils voient et écoutent,
subjugués par la verve et la présence charismatique du tribun, l'acteur
politique livre une confidence: «L'Administration m'a offert de l'argent,
beaucoup d'argent pour que je me taise... (il marque une pause), six millions
(encore un silence calculé)... Pourquoi, leur ai-le répliqué, pour vous chaque
Algérien ne vaut qu'un franc ? Ce que veulent les Algériens avant tout, c'est
l'indépendance. Sous les feux de la rampe, Messali Hadj clame et réclame
l'indépendance, en arabe: el-is-ti-qlal !», citent Nehari et Aïnad Tabet. La
salle est électrisée; les applaudissements fusent à tout rompre.
L'extraordinaire tribun est emporté par la foule et la houle. Incontestablement
le nom de la troupe théâtrale Mesbah Echaabi revient sur les langues avec les
frères feu Saïm El Hadj, Lakhdar, les Issad Khaled et Abdelkader dit «Chipa»
installé à Oran, Abdeddaïm Hamid, Touil Abdelhamid, les Mehdi Kader et Kada,
Zidi Tayeb, Bendouina, sans oublier Sidhoum Abbès, les Issad Nourdine, Abdou,
Yahiaoui Kouider dit «Douma» sans oublier Abdelkader Cherradi auquel on
souhaite prompt rétablissement. Outre El Mesrah El Chaabi, le théâtre des
jeunes, celui des Quatre saisons, le théâtre des quartiers le TAS, le théâtre
de l'atelier le Mesrah populaire jusqu'à Saout El Amel... Sommairement c'est
toute une histoire avec Kadi Bensmicha, Bousmaha, Zahmani, Mahi, Bensaïd,
Meknaci, Amani, Benali, Boudjemaa Mokhtar et autres, on citera également El
Kalima comme troupe théâtrale ayant pour fondateur Chouat Mohamed dans les
années 83, et ce à l'instar de Saout Ennidhal que présidait monsieur Kadiri
Mohammed, votre serviteur, alors directeur du centre culturel communal Benghazi
Cheikh. Pour la troupe El Kalima, l'on retrouve outre l'artiste et jeune
cinéaste Chouat Mohamed, Bensaïd Noredine frère de Bensaïd El Mehadji (ancien
scout et agent ENIE), Soualil Ahmed qui rejoignit le TRBSA, Benkhala,
Benkaboun, Rezzoug Z., Grazib Sid Ahmed qui vit à Sidi Hamadouche actuellement
et feu Meslem Mohamed (terrassé par une subite maladie) formaient cette jeune
troupe qui se transforma dernièrement en coopérative dénommée «Art scénique»
non sans produire une dizaine de spectacles «Scorpions, Le Cri, Maksour el
djanhine, Zidor, Fi Tilivisioune, El Wadaa, Derb el fenanine...». Quant à la
troupe Saout Ennidhal dont la création coïncide avec là encore les douloureux
événements de Sabra et Chatila, elle comptait en son sein Boudenne Abbès Hadj
Kandsi qu'on ne présente plus mais aussi Benzineb, Chaouti Abbès «Dikara», le
jeune Ghozal. Le théâtre professionnel, avec l'arrivée de feu Kateb Yacine,
s'établira à partir des années 80 sur le bord de la Mékerra où un riche
répertoire de pièces théâtrales dont la dimension a dépassé les frontières
nationales est à faire ressortir résumerons-nous. Toute une histoire est à
écrire...
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Posté Le : 26/04/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : M Kadiri
Source : www.lequotidien-oran.com