Algérie - Abou Medien Choaib

Sidi Abu Madyane Choaïb ben Al-Ansari d’Al-Hossein el-Andalousi Tlemceni Le Maitre des Maitres



Le saint patron de Tlemcen, Sidi Abu Madyane Choaïb ben Al-Ansari d’Al-Houssein , est le maitre spirituel du plus haut degré, d’où le nom de Ghaout, un pôle des pôles, un sommet de la hiérarchie des Hommes de vérité. Il concentrait la plupart des chaînes initiatiques des Sidiqines, issues de l’Ecole de Bagdad, d’Al Jillani et guide spirituel d’Abdeslam Ibn Machich Alami lui même maitre du vénérable Abu el Hassan Schadhily. Cheikh el Akbar Ibn Arabi, a juste titre, a appelé Abou Madyane : « Le cheikh des chouyoukh », Le maitre des maitres.

Que le cheikh el Akbar, le plus grand maitre, le désigne ainsi signifie que Abou Madyane non seulement appartient aux gens de la Proximité ahl Qorba, mais qu’il remplit dans la voie de la sainteté une fonction rare, celle d’une station spirituelle où toutes les sources se retrouvent. Il est considéré comme une référence initiatique pour les générations à venir par delà l’espace et le temps, en disciple privilégié du maitre des maitres le Sceau des Prophètes. Le cheikh, le maître soufi continu d’accomplir un degré de connaissance prophétique, en tant que al Waliu-Allah il participe à l’héritage prophétique.

Ce qui se joue dans le rapport lié au visible et à l’invisible, est la notion de cheikh, maitre, le chemin du dévoilement est difficile sans un cheikh. Le degré d’élévation s’affirme graduellement ou par immédiate illumination, Dieu guide à Sa Lumière qui Il veut et octroie les degrés selon sa Volonté, comme pour les titres de cheikh el Akbar, cheikh el chouyoukh, Qutb, pôle des maitres, sous la bénédiction du Maitre total, l’homme universel al insane el Kamel el Mustapha, lumière qui guide, et qui ne dépend ni d’un lieu, ni d’un temps. Sidi Boumediene disait à ses disciples : le premier secret des chouyoukh est fondé sur le verset qui appelle à suivre le Prophète si l’ont veut être aimé par Dieu : « Si vous aimez Dieu suivez moi, Il vous aimera » Certains reçoivent la baraka et le secret pour eux, d’autres peuvent les léguer et initier d’autres, c’était le cas de sidi Boumediene.

Abu Madyane né à Séville en Espagne, vers 520/1126, orphelin, pauvre, mais assoiffé de ilm et de maârifa, décide jeune, de se rendre au Maghreb. Après avoir tenté d’étudier à Séville, il se rendit en rive Sud, notamment à Fès, où il poursuivit son éducation religieuse.

Parmi ses maîtres, trois autres l’ont aussi marqué, deux qui furent des savants du fiqh malékite au sujet de la connaissance de la Loi : Ali ben Ghâlib (mort en 562 /1166), et Abû el Hassan al- Salaoui, et un maitre Soufi Abû Abdallah al-Daqqaq, de Sijilmassa, mort à Fès, qui lui a donné la khirqa le vêtement soufi du faqir qui symbolise le dépouillement et la licence d’enseigner (ijâza). Le soufisme, dans tous les sens du terme est l’approfondissement de l’Islam. Il est au cœur du sens de la vie orienté par le Coran et le Prophète. La vocation spirituelle du cheikh à la recherche d’al Haqiqa, l’amène à rechercher un maitre.

Il entendit un jour parler de la baraka d’un autre waliou salih, un solitaire, Abû Ya’zâ Yâlannoûr, ben Mîmoûn ben Abdallah al-Azmirî, un cheikh amazigh, un homme libre, qui vivait dans la montagne entre Meknès et Fès, où se trouve encore aujourd’hui son sanctuaire, dont les sentences et les paroles touchaient les soufis. Le jeune Boumediene partit un jour avec un groupe de foqara pour rendre visite à ce cheikh. Celui-ci l’accueillit de façon « étrange » pour des yeux profanes. Il le mit à l’épreuve, ayant vu par le kashf du cœur qu’il était béni. Il le laissa trois jours à sa porte sans l’inviter à entrer et sans lui donner à manger, alors qu’il recevait aimablement tous les autres. Il le repoussait sans rien dire.

Patient, et récitant sans cesse le Coran, le troisième matin le jeune homme se jeta par terre et roula son visage à l’endroit où Abû Ya’zâ s’était assis. Quand il releva la tête, il était aveugle. Il passa toute la nuit suivante à prier et à pleurer. Au matin le cheikh l’appela : « Approche l’Andalou. » Sidi Boumediene s’approcha à tâtons et en position humble. Abû Ya’zâ lui passa la main sur les yeux, qui furent guéris ; puis sur la poitrine, et toutes ses angoisses s’évanouirent de son cœur. Il ne souffrait même plus de la faim. Le Maitre lui dit « tu a la baraka » et s’adressa aux autres sans autres précisions: « Ce garçon est appelé à un grand avenir ». Il l’admit comme le premier de ses disciples. Ainsi, le cheikh solitaire fut le premier maitre de Sidi Boumediene mis à l’épreuve. Il lui apprit durant des mois comment polir son cœur, chercher el Asm el aadham et travailler sir el taqwa.

Ainsi, c’est de ce cheikh du zuhd, de la pleine ascèse, montagnard berbère, qu’il reçu l’initiation à la voie d’El Ihsan, la voie de la rectitude, la voie soufie remontant, par le secret qui lie les maitres à travers les âges jusqu’au cheikh Jounayd de Bagdad, à Sarî al-Saqathî, à Habib al-’Ajamî et à Hassan al-Baçrî. Un an après, conformément à la ligne de l ‘Ihsan, qui appelle à pérégriner, à se mettre en mouvement, se dépasser, Sihu Tassihu, pour accomplir le cinquième pilier de l’islam, il demanda l’autorisation de partir à la Mecque. Pérégriner dans toutes les régions du Maghreb et du Machrek pour porter la bonne parole, méditer et prier. Le dhikr, était sa passion, pour se souvenir en permanence et psalmodier les louanges, cœur de la discipline soufie.


Le vieux cheikh lui fit ses recommandations : « Tu rencontreras en route un lion, des bandits et d’autres obstacles. N’aie pas peur. Si la crainte s’empare de toi, face à chaque épreuve dis : – Pour l’amour de Yâlannoûr, je te prie de t’éloigner. Et ton chemin sera aisé » Ce dialogue signifiait que Sidi Boumediene avait déjà atteint le degré de cheikh lui-même relié à une chaine initiatique voulu par Dieu.

Sur la route en pèlerinage à la Mecque, il fit une longue halte historique, à El Eubbad, à Tlemcen, où il enseigna à son tour la théologie et el Ihsan et pratiquait la khaloua. La beauté de Tlemcen, les pratiques pieuses de ses habitants, dont de nombreux chorfa et la position stratégique de la région au sein du grand Maghreb gagnèrent son cœur. Malgré des polémiques avec des fuquahas, des juristes, Les âmes habitées d’un désir ardent de Taqwa parmi les habitants de Tlemcen se tournèrent vers lui malgré son jeune âge pour trouver la guidance ; el huda.

A la Mecque, une rencontre allait éclairer et dynamiser le cours de l’histoire du soufisme. Sidi Boumediene el Ghawth, futur pôle, celle du pôle majeur de l’époque, le maitre de l’heure sidi Abdelkader al Jilani. Ils se reconnurent immédiatement au début sans même se parler et ne se quittèrent plus durant tout le hajj. Cheikh Muhyiddîn Abddelkader al-Jilani Qutb, pôle, phare de son époque pour la transmission du flux de la baraka mohammadienne, et par son savoir dans les sciences spirituelles et les disciplines relatives à la Loi divine. C’est de lui, insigne privilège, que sidi Boumediene reçut la khirqa du degré de Wali, en lui léguant l’essentiel des secrets que le Prophète octroie aux sidiqines.

Sur le chemin du retour, il se rendit en Palestine pour prier à El Qods et soutenir la résistance pour défendre les lieux saints. Ce Maitre spirituel, qui ne cessait de faire des rencontres hors du commun, aurait participé au côté de Salah Eddine, Saladin, à une bataille décisive et victorieuse contre les Croisés. Il précisa qu’il ne confond pas entre les moines pieux qui ne s’enflent pas d’orgueil et les guerriers agresseurs.

Après son pèlerinage et sa visite historique au Dôme du Rocher où il approfondit encore son érudition durant plusieurs mois, il décida de retourner au Maghreb pour vivre en Khaloua loin des zones urbaines. Cependant, selon une tradition, un de ses proches nanti de sa baraka aurait fait un songe qui l’a averti que sa vocation était d’enseigner dans les villes.

Il choisit alors de faire halte à Bejaia pour enseigner, peuplé d’arabo-berbères et d’andalous, centre de rayonnement du soufisme et des savoirs scientifiques autour de la Méditerranée. Andalou, Sidi Boumediene trouvait à Bejaia un milieu intellectuel favorable, même s’il avait parfois d’âpres et de sévères discussions avec des juristes.

A son arrivée dans cette ville, sa renommée l’ayant précédée, il fut reçu comme il se doit par tous les notables, les simples gens et les foqara des différentes Tariquas sans distinction. Il proclame alors à tous : « Quand la Vérité apparaît, Elle fait tout disparaître », appelant à l’unité des musulmans et à la voie de la Haqiqa sur le sol ferme de la Loi et de la Maârifa. Sidi Boumediene laissait entendre que les plus beaux des héritages sont les hommes pieux et les femmes pieuses qui transmettent indéfiniment le sens de l’Ihsan. Pratiquant au plus haut degré l’abandon à la volonté divine, tawakkoul, et l’insouciance du monde, Sidi Boumediene a réalisé aussi pleinement que possible la station où l’on sait entendre l’inaudible et voir l’invisible, partout et comme il convient, les Signes et la Voix de Dieu.

Il savait que l’on ne peut connaître qu’une infime partie de la Science divine, le dévoilement est infini. Dans une de ses sentences il proclame : « Le serviteur se lasse de la joie mais non pas de son Seigneur. Ce qui est passé ne peut être rattrapé, car le second » instant » (extatique) n’est pas le même état. »

Les dons , Karametes, de sidi Boumediene étaient visibles. Il avait eu, comme le lui avait annoncé Abû Ya’zâ, un fils nommé Abû Mohammed Abdelhak, qui était doué d’une double vue en présence de son père. Agé de sept ans, il disait, par exemple : » Je vois tel événement ou sur la mer tels bateaux et loin d’ici il se passe ceci et cela… » Quelques jours après, les faits se confirment. Quand on lui demandait : » Comment vois-tu ces choses ? « , il disait : » Avec mes yeux « , puis il se reprenait : » Non, c’est avec mon cœur « , et aussitôt précisait : » Non, c’est avec mon père, quand il est présent et que je le regarde. Quand il n’est pas là, je ne vois plus rien. »

Sidi Boumediene fut aimé et adopté par la population, tout comme Cheikh El Akbar Mohyiedine ibn Arabi, qui avait épousé une pieuse femme, issue de Bejaia de la famille des Ibn Abdou, et qui s’y était rendu déjà en l’an 590/1193, lors de son périple de Tlemcen à Tunis. Le Cheikh El Akbar y fit un autre séjour, en l’an 597/1200, et en recevant les cheikhs et foqara de la région, après le rappel à Dieu de Sidi Boumediene lui a rendu un vibrant hommage appuyé en le surnommant à cette occasion « Le Maitre des Maitres ».

Ibn Arabi précise que : « les –stations- spirituelles de base de Sidi Boumediene étaient, « el wara » le scrupule et « tawadhu’ », l’humilité ; qui consistent à reconnaître la servitude absolue de la créature vis-à-vis du Créateur. La dernière chose dont se libère l’âme des amis sincères de Dieu est l’amour de la souveraineté qui subsiste avec l’ignorance. Il avait, disait t-il le don d’intuition et de lecture des âmes. Il connaissait le sens profond et les correspondances des formes, des attitudes et des gestes avec l’état présent et futur de l’âme ».

Quatre siècles après, à Bejaia et à Tlemcen, le Cheikh Ahmed Al Burnussi Al Zurruk (Xe siècle hégire) qui était un Maitre enseignait la signification des paroles de Sidi Boumediene et d’Ibn Arabi. A cette même époque le Qutb, pôle du soufisme, qui dynamisa la Tarîqa d’Abu el Hassan Schadhily, disciple d’Abdeslam Mechiche, ce dernier faqir de Sidi Boumediene, Cheikh sidi Ahmed Benyoucef el Rachidi el miliani, disait après Sidi Boumediene et Schadhily : « mes livres ce sont mes disciples ! » Sidi Boumediene a écrit au moins deux ouvrages, dont le plus décisif est « Ilm Tawhid », La science de l’Unicité.

En tant que modèle central dans l’histoire de la spiritualité au Maghreb la tarîqa schadhilya issue de la voie de Sidi Boumediene, a été rénovatrice du soufisme de manière marquante durant plus de cinq siècle et continue jusqu’à nos jours, conformément à l’esprit et à la lettre de l’enseignement de Sidi Boumediene, puis de tous ses descendants spirituels : sidi Abdeslam Mechiche, Abu Hassan Schadhily, Abu Abbés El Murcie, Ibn Atta Allah, à Ahmed Benyoucef et tous les cheikhs connus et inconnus jusqu’à nos jours. La tradition des chouyoukh qui ont suivi sidi Boumediene précise que le Qutb comme pôle, guide et Mujtahid pour chaque époque sera toujours un soufi de cette école de la confluence entre tant de voies nobles.

Sans oublier qu’Ibn Khaldoun lui même se sentait proche de cette voie, dans sa Muquaddima il s’est inspiré des enseignements de Sidi Boumediene et de ses descendants spirituels, notamment pour définir le soufisme, le mysticisme musulman. Il pratiquait sa retraite spirituelle dans la région, et visitait pieusement dharih du maitre des maitres. L’Emir Abdelkader qui fit don d’un minbar, une chaire, à la Mosquée Zaouïa du Maitre, en signe de vénération et de lien, était en outre bien placé pour vivre la synthèse des leçons spirituelles de Sidi Boumediene et de sidi Abdelkader el Jillani référence de saTariqua.

Les orientalistes français comme Marcel Bodin, Depont et Coppolani « Les confréries musulmanes en Algérie, Dermenghem La vie des musulmans en Algérie et ensuite Berque Ulémas fondateurs, insurgés du Maghreb ont consacrés une partie de leurs travaux à Sidi Boumediene.


La voie soufie préconisait par le Maitre des Maitres représente la mystique proche du concept de « Communauté médiane », soucieuse en priorité de « Batin », le sens caché et profond, de dhikr Allah, souvenir et louange de Dieu, sans exclure l’engagement dans le monde pour défendre le juste et la justice. Ni ascétisme coupé de la vie, ni dilution dans les affaires du monde. Le détachement est intérieur . Une spiritualité axée sur l’approfondissement de la foi, respectueuse des normes et des critères de la religion de base, et en même temps foncièrement tournée vers le Ghayb (l’au delà), El Haq (le Vrai), El Motlaq (l’Absolu).


Sidi Boumediene a préconisé l’ascétisme sans se couper du monde. Les normes, comme l’amour de la patrie et le respect d’autrui, le devoir d’assumer ses responsabilités, face aux iniquités et agression, la nécessité de participer à l’apprentissage du vivre ensemble, à l’ouverture des esprits et à l’éveil des consciences, ont constitués un code de vie pour le cheikh el chioukhs et les maitres qui l’on suivit.


La voie de Sidi Boumediene est l’école spirituelle sunnite qui correspond à la notion d’Ummata al Wassat – communauté médiane. Le faqir est formé dans la stricte application de la charia comme cadre incontournable du dhahir, puis l’initiation au développement de la voie soufie. Dieu n’est pas t-Il Dhahir et Batin ? Pour Sidi Boumediene, puis Abu el Hassan Schadhily et Ahmed Benyoucef jusqu’à l’Emir Abdelkader et tous les maitres de notre temps, il s’agit de s’élever dans la cohérence des degrés de la remise en confiance à Dieu (Al Islam), la foi (Al Iman) et la vertu (Al Ihsan).


L’application fidèle des préceptes coraniques, par le bel agir et la piété en vue d’accéder au degré de mohsine, soufi, deux mots identiques, qui signifient entre autres bien agir pour se réserver purement le Divin. Selon un Hadith du guide de tous les Maitres: le Sceau des prophètes, le mohsine aux yeux de Dieu est L’être mis à part pour Son service Son Amour et Sa Miséricorde. La baraka de Sidi Boumediene el Ghaouth, le maitre des maitres, pour les pieux est toujours opératoire jusqu’à ce jour, sur la base du flux du Prophète.


Dieu guide à Sa lumière qui Il veut




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