La ville porte trois noms, qui, tous trois, à travers son évolution dans le temps, témoignent de son passé glorieux et de son histoire tumultueuse. Même s’il ne devait lui en rester qu’un seul, le plus prestigieux, elle n’en est pas moins fière.
Sour El Ghozlane : un nom qui sonne comme un clairon dans les hautes muraillesSour El Ghozlane : un nom qui sonne comme un clairon dans les hautes murailles
Ici, lorsque vous accédez à la ville soit par le col de Becouche qui culmine à 900 mètres d'altitude, c'est-à-dire par le chemin de wilaya 127, soit par la Route nationale 8, le livre est là, et les pages de son histoire commencent à tourner devant vos yeux éblouis dès que vous franchissez la porte Nord. Mais si vous arrivez par le sud, c'est-à-dire en venant de Bousssaâda, ou si vous venez de Sétif par Souk El Khemis, c'est par deux autres portes que vous entrez: la porte Sud et la porte Est. Et c'est la même émotion qui vous étreint le coeur. Nous ne retiendrons pas la porte Ouest, une ouverture pratiquée dans l'enceinte et qui ouvre les murs de la ville en direction de Médéa. On appelle cela, la quatrième porte, mais on doute que l'appellation résiste devant un bon observateur soucieux d'abord d'objectivité. Quoi qu'il en soit, on remarque déjà que la cité est bâtie à l'ancienne et que le nom d'Auzia, d'abord, puis, Aumale et enfin Sour El Ghozlane sonnent comme un clairon dans les hautes murailles qui l'entourent de toute part.
Auzia, une municipalité romaine
L'histoire d'Auzia est écrite sur les pierres et ce n'est pas une métaphore. Ces pierres existent. On peut les voir dès l'entrée nord. Elles forment un tas sur le bord de la route, à droite. Comme pour vous souhaiter la bienvenue dans son enceinte. Les autres pierres reposent à côte du groupement de la gendarmerie. Elles ont été taillées dans le granit et une forme curieuse qui n'est pas sans rappeler vaguement le sphinx ou tout simplement un tombeau. Elles portent en outre des inscriptions latines, et c'est par là qu'elles deviennent intéressantes, car traduites au temps de la France, elles immortalisent ainsi certains événements, comme la victoire d'une bataille ou d'autres faits importants.
Sise sur une colline, sans compter la solidité de ses murailles percées de meurtrières, la ville se dressait comme une citadelle, défendue de tous côtés. Le soir, ces portes monumentales, terminées en arc de triomphe et bien gardées, une fois fermées, un sentiment de sécurité devait régner dans le coeur de ses citoyens. En plus, il y avait une importante armée avec un général adroit à sa tête. Une ou deux pierres doivent chanter ses exploits puisqu'elles avaient été conçues pour cela. Les hordes de «barabares» (c'est ainsi que les Romains appelaient les Amazighs, Ndlr) menées d'abord par Takfarinas, puis par Syphax échouèrent une à une dans leurs assauts contre les murailles, ainsi que les vagues successives d'une mer déchaînée. On raconte, mais cela reste à prouver, que Takfarinas, qui guerroyait sans cesse contre la municipalité romaine, après une certaine période passée au sein de son armée avant de prendre les armes contre elle, était venu mourir au pied de ses murs. Comme on assure, là aussi sans l'ombre d'une preuve, que les cinq ou six pierres de taille élevées sans ciment de manière à constituer une sorte d'abri étaient un mausolée qui lui était destiné. Il suffisait de regarder le tombeau de la chrétienne de Tipaza pour se rendre compte de ce qu'une telle déclaration a de fantaisiste. On ne construit pas un monument avec cinq ou six pierres.
Mais c'est un fait que le cirque romain sur lequel s'ouvre la porte Est est bel et bien un cirque. Son emplacement en forme de fer à cheval et celui de ses gradins sont encore visibles. C'est de ce côté que la ville est encore plus imprenable, vu que la petite rivière qui coule au fond de cette vallée est dominée sur sa rive gauche par une haute falaise. Un chemin qui doit dater de ce temps-là et qui court toujours sur cette rive, contourne la ville par l'est et vient s'arrêter devant l'amphithéâtre. Nous pensons que c'est par là que devaient arriver, sous escorte, les gladiateurs et les animaux destinés à descendre dans l'arène pour combattre. Ce devait être aussi par-là que transitaient les chariots à boeufs transportant les pierres et le bois ayant servi à sa construction.
Une position stratégique
Sour El Ghozlane appartient aux Hauts- Plateaux. À ce titre, elle bénéficie du programme économique qui porte ce nom, et dont les avantages sont si nombreux pour les jeunes entrepreneurs. Au temps où nous nous situons, le point de vue qui avait prévalu dans le choix de ce terrain, de préférence à tout autre, était avant tout d'ordre stratégique. Le gouverneur ou le général qui avait décidé, comme Romolus, de jeter les fondations de sa petite Rome à cette place, avait sans doute, tenu compte du paramètre sécuritaire. Aucun autre endroit n'offrait, sur ce plan, autant de garanties que celui-là. De quelque côté qu'arrivât l'ennemi, en effet, il était repéré sur les hauteurs environnantes, et attendu en plaine de pied ferme. Mais l'endroit avait dû présenter un autre avantage, tout aussi précieux: la pierre qui est le matériau de construction par excellence de ce peuple laborieux, et qui abonde dans la région, avait permis de développer une véritable industrie lithographique. On s'en aperçoit rien qu'en faisant une échappée dans les environs: derrière la ville, il y a la montagne de Dirah et en face, il y a celle de Becouche. D'ailleurs, c'est dans cette gorge, au nord, que se trouve une importante carrière de concassage-la plus ancienne de la wilaya.
Ainsi, un tel choix s'est révélé très judicieux pour les deux raisons que nous venons d'évoquer. Sans compter le bois que devait fournir la forêt qui fait cercle autour de la ville, bois pour la construction et pour le chauffage. Car les hivers sont plus rigoureux ici et les étés plus torrides. Tikjda aurait convenu pour le bois, mais pas pour la sécurité. Et cette région était en guerre ouverte contre l'occupant. Takfarinas et Syphax étaient de cette région. Le temps a donné raison au fondateur de cette cité. On s'y installa durablement et on s'y était beaucoup plu. Il y eut une caserne au centre, une grande écurie pour les chevaux en face, des thermes près de la porte sud et de belles villas partout avec un temple, sans doute à la place de l'actuelle mosquée. Nous pensons que c'est de ce côté que devaient demeurer les hauts responsables et les notables, formant le plus beau quartier de la ville, car la vue qui domine un vaste panorama est superbe. Les dames qui devaient se rendre aux bains, avaient ainsi l'occasion de traverser la ville grâce à sa grande artère, et de montrer ainsi, par coquetterie, leurs riches toilettes. Les hauts responsables aussi qui avaient besoin de voir toute la population afin de bien se faire apprécier d'elle.
Comme on voit, la ville n'était pas que belle. Elle était très prospère, car des terres du nord (Bir Ghabalou et Aïn Bessem) arrivaient le blé, la viande et le vin, tandis que de l'est s'acheminaient les lourds chariots à boeufs transportant l'huile d'olive, les tissus et les agrumes. L'huile, en ce temps-là ne servaient pas qu'à la préparation culinaire. Elle était utilisée aussi pour l'éclairage. Elle ne polluait pas et elle répandait en plus un doux parfum.
Rapidum, l'autre ville romaine
Jean Parès, un historiographe, ayant vécu au début du siècle précédent et qui a traduit certaines de ces inscriptions latines, raconte dans son ouvrage que Plaute, l'historien romain connaissait Auzia, et il cite le passage d'un de ses livres où il parle de son emplacement sur un rocher et de ses habitants dont il estime le nombre entre 4000 et 4500 âmes. C'est dire si la ville avait bonne presse à l'époque au point qu'un historien vivant à Rome en entende parler et éprouve le besoin de s'en souvenir au moment où il écrit l'histoire de l'Empire.
Voilà la ville dont nous avons voulu ressusciter le passé lointain pour nos lecteurs. Sans posséder, bien entendu le talent d'historien, ni celui de cet historiographe français, dont, comme pour en garder le souvenir, la ville a conservé la petite maison qu'il habitait au début du dernier siècle. Ceux qui voudraient visiter ce joyau d'architecture coloniale, pourront, tout en passant en revue tous les vestiges de cette époque, offerts à leur curiosité, voir cette maison en face des anciennes galeries algériennes. Le nom de son ancien propriétaire figure toujours au dessus de la porte.
Si le coeur leur en dit, ils pourront pousser leur villégiature jusqu'à Djouab, dans la wilaya de Médéa avec laquelle Bouira a des limites communes. Dans ce petit chef- lieu de commune, qu'ils n'atteindront qu'au prix d'une longue et tortueuse virée à travers les monts de Dirah et de Maamourah, ils apprendront que les Romains étaient aussi passés par là, et qu'ils avaient vécu assez longtemps pour bâtir une cité aussi semblable: Rapidum. Une courte visite ayant conduit nos pas de ce côté, nous avons remarqué de grandes pierres de taille dormant dans les hautes herbes avec du latin gravé dessus. Si l'histoire de Rapidum est aussi intéressante, nous pourrions nous-mêmes être tenté par un petit tour dans cette ville dans l'espoir d'en rapporter quelques butins. Une trentaine de km séparent Auzia de Rapidum, à l'ouest.
Nous avons parlé du premier nom de cette ville, si poétique de nom comme d'architecture et d'aspect. Nous aborderons, le second dans un prochain numéro. Nous verrons alors qu'Aumale a son histoire et que celle-ci ne fut pas moins fastueuse, malgré les soubresauts qu'elle recèle et qui ne sont que les signes par lesquels la population indigène manifeste tout refus de se soumettre.
Posté Le : 25/11/2023
Posté par : patrimoinealgerie
Ecrit par : Ali Douidi
Source : lexpressiondz.com