Algérie - Si Muhand U M’hand

Si Mohand, un poète ce qu’il y a de mieux et de vrai.



Si Mohand, un poète ce qu’il y a de mieux et de vrai.
Il n’est pas poète celui qui n’est pas révolté, et Si Mohand ou M’hand semble incarner la chose jusqu’à la moelle des os. La révolte s’empara de lui justement et surtout après la révolution de 1871 de cheikh El Mokrani où sa famille a pris part avec beaucoup d’abnégation. Son père fut exécuté et son oncle cheikh Arezki déporté en Nouvelle Calédonie. Sa famille, qui vivait dans l’aisance -son père était usurier- c’était la noblesse de l’époque, fut dépossédée de tous ses biens, «comme il sied aux vaincus des grandes batailles», disait un poète français en référence aux événements de la Commune de Paris.

Cet épisode a été vécu comme un drame, un choc à ne plus s’en remettre. Les portes de l’errance s’ouvrent donc grandement devant les yeux du poète telles celles de l’enfer.

Mon coeur tout troublé
Par le kif et l’alcool
N’a suivi que ses penchants
Accueillez le vagabond
O gens sensés et nobles
Etranger dans son pays
Dans l’exil et dans l’oubli
J’ai ignoré mes devoirs
C’est maintenant que mon coeur saigne.

A quelques exceptions près - la langue et la situation géographique seulement les séparaient -Si Moh ressemblait de beaucoup à son égal français Arthur Rimbaud, l’autre amoureux des sentiers, des chemins inconnus et des contrées lointaines qui aimait d’ailleurs à répéter:


«Je suis un piéton rien de plus.»
«De l’Alma à Ménerville
L’ennui me prit
A la côte des djellabas
Je suis parti tôt le matin
J’ai marché sans relâche!
Le soleil est descendu sur les crêtes
Sans honte je m’affale dans un café
Mourant de fatigue
Et demandant pardon aux saints. »

A ce sujet, Mouloud Feraoun, qui avait mené une grande recherche sur sa poésie et sa vie, écrira: «Il était pareil à une feuille que le vent emporte et qui ne pourrait se fixer nulle part ailleurs que sur la branche d’où elle a été détachée.» Comme pour dire que le poète ne pouvait s’enraciner que dans sa Kabylie, plus précisément au sein de son village natal. Et comme il a tout perdu (déraciné de sa terre natale), il se livre alors à l’errance et, de surcroît, au gré des vents.


Plus qu’un choix, une raison de vivre, l’errance avait un ascendant terrible sur lui puisque le poète a toujours refusé, selon des témoins de son époque, de monter dans un train ou une diligence (qui est un moyen de transport de l’époque par excellence), non pas par crainte mais par esprit d’indépendance.


Le poète naquit vers 1845. La date de sa naissance n’a été rendue possible, et approximativement, que parce que beaucoup de témoignages et de dires confondaient la durée de sa vie avec celle du Prophôte (Qsssl). Soit dit 63 ans. Mais si on fait le décompte -sa mort a eu lieu en 1906 à l’hôpital des Soeurs blanches à Michelet- Si Moh devait avoir au moment de sa mort 61 ans.


La décadence de sa famille après la défaite (c’était un retournement de position radical) et son mariage qui fut un échec -sa femme l’avait quitté pour sa paresse- ont eu raison de sa ténacité et de sa croyance en des jours meilleurs, et le voilà qui aborde en sanglots mais avec résignation:

«Vois mon coeur oppressé!
En lui-même il éclate
Chaque fois que je pense à elle
O suprême créateur
Nous implorons ta justice
Sois un soutien pour nous
Délivre-nous des tourments. »
«J’avais un jardin incomparable aux pousses drues et vigoureuses
Que Dieu protège ses richesses
Un mur le fermait et l’abritait...
Maintenant qu’un torrent y fut dirigé
l’éboulement a tout emporté
Il n’en reste aucune trace.»

Si Mohand avait émis le souhait d’être enterré à Askif N’Temana, une localité de la Haute Kabylie, ce qui a été réalisé grâce à son ami le poète Si Youcef, qui s’était chargé des funérailles. Mais le souhait le plus cher au poète qui a été formulé en vers et en toute inconscience s’est révélé plus tard une vérité absolue. En voici son voeu:

«Ceci est mon poème
Plaise à Dieu qu’il soit beau
Et se répand partout
Qui l’entendra l’écrira
Ne le lâchera plus
Et le sage m’approuvera.»


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