Quel que soit
l'épilogue qui dénouera la marche irréversible, Le Caire est tombé. Moubarak ne
sera jamais réélu.
Son rejeton ne
lui succédera pas. L'opposition radicale aura droit de cité. Les régimes arabes
tremblent.
Parce qu'il est
une antenne du monde judéo-occidental installée dans le corps arabe, Le Caire
n'est pas Tunis. S'il tombe, c'est tout l'équilibre du grand Moyen-Orient,
Maghreb compris, qui va se secouer.
Le régime cairote s'essouffle. S'agite.
Moubarak agonise malgré la perfusion occidentale. Il tient le monde en haleine.
L'armée, les Mig, les médias lourds acquis, la diplomatie soudoyée s'avèrent
être un rempart difficile à franchir. La résolution populaire parfois reste
longue et lente. Mais la rue a toujours un autre discours à mener.
Cette rue a retrouvé sa voix dans les rues et
boulevards du Caire. Elle s'est enfin livrée au son tunisien dans son sens de
tonalité, à brandir ce qui se broyait dans le creux profond de son éveil
social. Les Egyptiens ont crié un ras-le-bol de cette chape de plomb qui pèse
sur tout le tissu populaire que contient le citoyen arabe. Ce citoyen qui, au
cours du temps, n'est devenu que deux mains promptes à applaudir. Le système
l'avait moulu par le pain, le gite et l'emploi dans une totale servilité. La
peur du policier et du garde mobile ou d'autres services incolores l'avaient
davantage confiné dans une lâcheté qui n'ose pas s'afficher de l'un vers
l'autre. Mais dans la genèse des choses, ce citoyen, comme un olivier, si l'on
continue à le presser il ne pourra produire que de la sève fécale.
Les Arabes ont de tout temps occupé les
devants de la scène internationale. Défaites et victoires, échecs et réussites,
tels des écussons de col, ont fait dorer ou assombrir le registre de leurs
hauts faits. Entre Cordoue et Poitiers, les gloires s'estompent et le dur
passage d'une position à une autre les terrasse entre tsars et yankees. Les
requêtes gémissantes et les quêtes larmoyantes remplacent les conquêtes agissantes
et les fêtes conquérantes. En fait, l'Arabe est un verbe qui ne se conjugue
qu'au passé simple. Toujours infinitif, quelquefois impératif. Un verbe qui
subit l'action. Son être semble seulement paraître. C'est une éloquence et une
parole.
Le monde arabe reste nonobstant les mutations
inter-civilisationnelles, du moins le sent-il, étranger à la façon dont le
monde moderne venait à se construire. Confiné dans ses luttes intestines de
pouvoir, il s'enfonce jour après jour dans une optique maladive du vice penchant
vers l'autorité sans limite de ses gouvernants. Il ne fait valoir son existence
transfrontière que dans la dénonciation (tendid), l'annonce de solidarité
(tadhamoun) ou la proclamation de soutien (moussanada) à une situation
quelconque. L'action devient un discours et le discours une forme diplomatique
de l'expression solennelle d'une position politique. Pour preuve, à une
exception près, aucun commentaire n'est venu de la part des capitales arabes
pour se positionner face aux événements du Caire et hier, ceux de Tunis. Elles,
ces capitales, préfèrent l'attentisme, la décantation.
Moubarak souffre d'une perte de sagesse. La
perte d'une crédibilité forcée y est pour beaucoup. Son régime ne pouvait
supporter la défaite. Il pleure son destin. Il gémit sur un passé qui se perd.
Lentement. La vieillesse, qui n'est pas une honte, est hélas une pathologie qui
vous amène droitement vers l'incapacité juridique quant à l'exercice d'un acte
de gestion. Ce n'est pas aussi une honte si le syndrome de la vieillesse frappe
déjà aux portes du palais présidentiel.
En fait, le pays du grand Nil, avec ses
complexes soubresauts internes et externes, a commencé à connaître les affres
de la décrépitude depuis fort longtemps. Il fut un temps où ce pays ait eu à
avoir un statut privilégié de leader. C'était à l'époque de Misr et non de
Masser. Cela serait dû à plusieurs facteurs. Notamment celui de la
quasi-stabilité politique. C'est justement, cette fausse stabilité qui aurait
permis à l'Egypte de jouer un rôle essentiel de conciliateur dans la
détermination résolutive des crises régionales. Alliée du sionisme, l'Egypte
est contestée dans ce volet par tous ses pairs. C'est grâce à cette promiscuité
avec l'ennemi éternel que Moubarak croyait avoir main basse sur le dossier cardinal
du monde arabe, qu'est l'affaire palestinienne. Toutefois, depuis quelques
années, l'on assiste à la dégénérescence de la diplomatie égyptienne au profit
d'autres potentialités. Notamment celle de l'Arabie Saoudite, de la Syrie ou du
Qatar, de surcroît lors de la guerre contre Gaza. L'exemple le plus typique de
cette faiblesse diplomatique reste l'échec de réconciliation entre les frères
des Hamas/Fateh. L'Egypte a carrément affiché, sans le dire, son impuissance.
Ceci ne serait certainement qu'en faveur d'Israël.
Le régime pénétré de tous ces éléments
susceptibles de provoquer une déstabilisation, voire compromettre tout le
projet initié voilà des temps, tendait à faire assurer la succession du pouvoir
à l'un des fils du président. Djamel, parti depuis le vendredi de la colère à
Londres, se pleure dans la désillusion. Honni, il s'empressait, faute de temps
et par fatalité, à trouver nulle part une aubaine de renflouer sa popularité.
Le match contre l'Algérie s'avérait alors être grandement porteur. Ce pouvoir
avait ainsi permis à son peuple de déverser son irritation contenue jusqu'ici.
Elle voulait depuis des lustres se faire valoir et se faire voir dans la rue.
Contre Israël notamment. L'ayant empêchée à plus d'un tour, voilà que l'aubaine
fut rendue possible. Allez, criez, hurlez ! Donc l'Algérie n'était qu'une cause
octroyée à la vindicte populaire. Les pauvres citoyens n'avaient rien contre
qui gueuler. Sinon ils ne pouvaient le faire tant leurs bouches étaient
bouchées par les chiffonniers des Moukhabarates-Moubarak. Ils ne pouvaient
brûler nul étendard. Celui de l'Etat hébreux étant hissé sur le fronton de son
ambassade. Avec le «vendredi de la colère», la «marche du million» et «le
vendredi du départ», le peuple égyptien se libère et a cassé les verrous de la
peur et de la tyrannie.
Comme tout régime basé sur la force, celui du
Caire s'est montré l'un des plus durs à faire déstabiliser par une simple
marche. En fait à quoi viserait une marche dite pacifique ? Brandissant des
écriteaux, des slogans, des revendications, celle-ci exprimerait la demande
d'un peuple face à un pouvoir qui aurait dénié le dialogue. Et si cette marche
ne s'entendait pas ? En France, plus de quatre millions de Français ont défilé
pour faire reculer le projet de loi sur les retraites, mais le pouvoir avait
continué dans sa trajectoire, et le projet adopté est devenu une loi
applicable. Alors que faire ? Remarcher ? Chez eux, dans les pays démocrates le
jeu serait fait autrement. Dès le passage d'une force de gauche au pouvoir, la
tendance serait renversée et ainsi de suite. Mais chez les peuples arabes, le
raisonnement est ailleurs. Il faudrait ramener le pouvoir à une écoute forcée.
En Tunisie, la civilisation coutumière de son peuple avait foutu le camp, le
temps de la révolte. Saccage et massacre eurent gain de cause du régime
destitué. Seulement il y aurait nécessairement des limites déontologiques à ne
pas dépasser. La «marche du million» était une autre démonstration de
persistance populaire à l'adresse d'un régime qui ne veut pas spontanément
décamper.
L'Egyptien, adulte, car on n'a pas vu
d'enfants faire face aux forces de l'ordre, est galvanisé dans son souci de
préserver les symboles et valeurs du pays. Musée, écoles. Ainsi, les marches
dites pacifiques, dans les pays arabes n'ont plus d'avenir. Elles ne rapportent
rien. Les pouvoirs demeurent totalement indifférents. S'ils n'écoutent pas la
voix silencieuse, ils sauront intempestivement réagir en cas d'émeutes
incendiaires, meurtrières.
L'on conçoit que l'armée égyptienne s'est
confusément rangée du côté de son chef charismatique. Sinon pourquoi s'est-elle
mise à bloquer les gens d'atteindre, pour manifester, Le Caire ? Cette armée,
qui s'étend de bout en bout sur tout Le Caire et autres contrées, est en fonction
pour sauver ce qui peut l'être du régime moribond. Mais… une volte-face de
dernier quart d'heure peut bien avoir lieu. Même le départ de Moubarak, l'armée
serait là pour valider son ex-chef, devenu vice-président. Le général des
services secrets, Souleymane. Entouré dans une nouvelle version, de ses
séculaires collaborateurs, Moubarak tente de maintenir d'une main de fer l'état
des lieux. Encouragé certainement par la mollesse des déclarations de capitales
étrangères notamment, Washington, Ryad, Paris et Londres. Le tout sous la
dictée de Tel-Aviv. Benyamin vient de le confirmer par voix de communiqué
«l'Egypte, sans Moubarak, risque de vivre ce qu'avait vécu l'Iran» faisant
allusion à la révolution islamique des années Khomeiny. L'équipe composée à la
va-vite n'est constituée que de militaires. Vice-président, l'homme du
renseignement est une acquisition consommée à l'Etat hébreu. Le ministre de
l'Intérieur est un camarade de classe académique interarmes. Donc cette
combinaison gouvernementale, avec la reconduction de 18 anciens ministres, n'a
pu engendrer l'adhésion des moins sceptiques. Ce qu'il faudrait pour la
satisfaction totale des masses c'est le départ du noyau dur du pouvoir. Hosni
Moubarak. Avec lui, tout un système de cooptation et de corporatisme irait vers
l'écroulement. Au Caire, Moubarak a pu, durant une période trentenaire, former
autour de lui une organisation toute dévouée à la réalisation de ses desseins
de pérennité.
Quelle qu'elle soit enfin la résultante
politique de ce mouvement largement populaire, Moubarak est condamné à mourir
sur les cordons sécuritaires noircis de morts, de veulerie, d'ignominie et de
terreur. Par son obstination à ne pas céder le pas, il vient de se faire
condamner tristement par l'histoire universelle. Il rejoint ainsi la liste
excrémentielle des noms maudits. Au suivant !
Le suivant ne peut être, entre autres, qu'un
dirigeant arabe. Lequel ? Le roi de Jordanie vient de révoquer son gouvernement
pour en former un autre. La rue ne s'est pas pour autant tue et continue à
scander plus de libertés, plus de partage de richesse. Au Yémen, le président
perdure à soigner son look depuis des décennies et oppose l'armée au peuple. En
Libye, le guide de la révolution n'arrive point à déchiffrer la nouvelle
révolution qui couvre le monde. Il croit toujours que la situation des droits
de l'homme n'est qu'une fausseté médiatique purement impérialiste. Il ne voit
pas qu'une génération entière de citoyens libyens ne connaît que lui et
seulement lui comme pouvoir. Ces citoyens ne connaissent pas d'autres
opuscules. Que le Livre vert. Point de livre blanc. Au Soudan, la révolution a
commencé par une scission et se terminera par un changement de l'homme au chach
blanc. Le marabout. Et en Algérie, chez moi ? Assis devant mon poste de TV, un
tout petit temps avant vingt heures, Kassamen s'entonne et une voix grave
m'annonce «Le président vous parle» «citoyenne, citoyen… voilà une décennie… la
crise… les logements… l'autoroute… le terrorisme… la paix… le sucre… l'huile…».
J'ouvre davantage mes tympans pour le voir m'annoncer: «Pour ces raisons, j'ai
décidé: - Levée de l'état d'urgence -Referendum constitutionnel limitant le
mandat présidentiel - Révision de la loi électorale - Organisation anticipée
d'élections législatives et présidentielle avant le 31 décembre 2011 - Je ne
serais pas candidat - Formation d'un nouveau gouvernement apolitique, dont les
ministres ne seront que des technocrates -Changement des 48 walis -Ouverture de
l'espace audiovisuel - Dépénalisation des délits de presse… Je prends Dieu le
Tout-Puissant, pour témoin de ce que je viens de prononcer…» Soudainement
j'entends, dehors; des cris de foule fusant de partout «Tahia Bouteflika !
Tahia Bouteflika !». Je ne me suis pas empêché de joindre ma faible voix à
celle de la rue, tant que celle-ci était libre, authentique et sincère. Le vent
sétifien hélas est venu troubler l'orientation de ma parabole et m'assure que
je me trouve en train de décrypter la marche égyptienne où Moubarak va tomber.
Comme le rêve, la vision reste possible et permise.
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Posté Le : 03/02/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : El Yazid Dib
Source : www.lequotidien-oran.com