Algérie

Si le bac m'était conté



Si le bac m'était conté
Un vieux sage affirmait que le bac et l'instruction en général ouvrent les yeux, pas les portes du marché du travailCeux qui disent aujourd'hui qu'il faut tout un village pour élever un enfant, n'ont rien inventé. C'était la devise qui régnait dans le village kabyle depuis les années 1960.Cette année, l'épreuve du baccalauréat s'est déroulée dans de très bonnes conditions dans la wilaya de Tizi Ouzou. Les élèves se disaient confiants et sereins. Les questions étaient abordables et touchaient les sujets travaillés en classes durant l'année. Mais par de-là les épreuves, les statistiques et les espoirs des bacheliers, il y a l'image de cet examen et son rôle social. En discutant du bac, les vieux en donnent une image qui se perd de nos jours malgré les moyens. Nous avons préféré laissé les candidats se concentrer sur les épreuves et nous avons cherché à voir quel regard portent les vieux sur cet examen qui se dresse devant leurs enfants et petits-enfants.Amar, sexagénaire, travaillant dans la formation professionnelle, parle avec nostalgie de ses années de lycée. Pour ce sexagénaire, la misère était grande lorsqu'il était au lycée. «A notre époque, le lycée n'était pas près de chez nous comme aujourd'hui. Il fallait, après avoir épuisé les économies familiales, abandonner ses parents pour aller au lycée», raconte-t-il. En effet, ils ne sont pas nombreux les gens de cette génération à avoir eu ce privilège. «J'habite Boudjima et j'ai fait le lycée en internat à Dellys. J'en connais d'autres dont les parents ont accepté d'aller habiter en ville à Tizi Ouzou ou à Alger pour que leurs enfants puissent faire le lycée.» «Avant, le lycée n'était pas à côté de chez-nous» affirmait Hand, enseignant de secondaire à la retraite.En fait, il se dégageait des discussions avec cette catégorie de personnes une nette différence de vision entre l'ancienne et l'actuelle génération.«En ces temps-là, avoir le bac ouvrait toutes les portes. Le travail passait en second lieu tellement les études n'étaient pas uniquement faites pour trouver du travail. L'instruction en ces temps, mes enfants, ça faisait partie de la dignité. Les parents enduraient la faim pour avoir des enfants instruits». «A l'internat du lycée, nous étions majoritairementpauvres. Nous étions uniquement riches en volonté de devenir des hommes instruits», raconte Ali, un autre retraité de l'Eniem qui passe ses journées à travailler son jardin près d'une rivière. «Je me souviens du jour où j'ai annoncé la bonne nouvelle à mes parents. C'était plus fort que le jour où je me suis marié. Ils étaient beaucoup plus heureux», ajoute-t-il. Ceux qui disent aujourd'hui qu'il faut tout un village pour élever un enfant, n'ont rien inventé. C'était la devise qui régnait dans le village kabyle depuis les années 1960. Tous participaient à l'éducation d'un enfant qui devait considérer tous ses aînés du village comme des parents auxquels on doit obéir. «Oui, à cette époque, quand un homme du village gronde un enfant, ses parents étaient heureux. Mais aujourd'hui, personne ne s'occupe de l'autre.C'est parce qu'on ne veut pas et non on ne peut pas. Il faut reconnaître que ce sont les femmes qui ont commencé. Elles ne toléraient pas que l'on gronde leurs enfants puis les hommes ont suivi. Je me souviens encore, que lorsqu'un enfant du village obtenait son bac, c'était tout un bouleversement pour la famille et le village entier. Les gens étaient fiers de dire qu'ils ont un étudiant ou un homme instruit dans leur village. Bien sûr, les petites jalousies existaient, mais sans aucune importance sur le cours des choses» raconte cette époque révolue avec nostalgie et amertume, aâmi Slimane. «A cette époque rares étaient les jeunes qui obtenaient le bac, quand un villageois réussissait l'exploit, c'était la fête partout. Les voisins arrivaient en processions vers la maison heureuse et fière. Ils ne ramenaient pas de cadeaux comme maintenant. Non. En ce temps-là, les gens ramenaient du sucre et du café, des oeufs et de la semoule. Eh, oui, le bon vieux temps. Les Kabyles savaient joindre l'utile à l'agréable» ajoute-t-il, à la place du village où nous l'avons accosté.D'autres témoignages trop nombreux d'ailleurs ont soulevé une question tout aussi pertinente. Comment une génération non instruite et généralement analphabète a réussi à donner de l'instruction à ses enfants alors qu'aujourd'hui, une génération instruite trouve du mal à inculquer le savoir à sa progéniture' Des grands-parents affirmaient que les familles de leurs enfants n'ont pas la même vision de l'école qu'eux. «Mon fils qui a plus de 50 ans n'a pas le même avis que moi sur l'école. Ils sont en train de transmettre un message dangereux à leurs enfants, c'est-à-dire nos petits-enfants. Les études ne sont pas uniquement destinées à trouver un travail. C'est beaucoup plus noble que ça quand même», fulmine presque Amar qui voit d'un mauvais oeil la façon de considérer les études par la famille algérienne actuelle. «Mes enfants, les Occidentaux sont en train de nous tromper. L'instruction et le savoir dont je vous parle, ils ne le dispensent pas à leurs enfants dans des écoles où ils forment des gens juste bons pour le marché du travail. Non, non, le savoir et l'instruction qu'ils donnent à leur progéniture, ils ne nous montrent pas comment et où ils le font. Ils veulent juste que nous formons nos enfants à travailler comme des machines dont ils bénéficieront d'ailleurs avec la mondialisation», ajoute-t-il, non sans poser implicitement le vrai problème de la redéfinition des missions du système éducatif national.Enfin, il n'y a pas meilleure conclusion que le conseil d'un vieux sage rencontré dans un village à Tigzirt qui affirmait que le bac et l'instruction en général ouvrent les yeux, pas les portes du marché du travail.




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