Toute une mythologie est tissée autour de la neige à Tlemcen qui, d’ailleurs,
tire son nom de «thala m’sen» qui signifie en berbère «fontaine à deux sources».
La légende de l’eau à Tlemcen racontée par Foudil Benabadji,écrivain, vice-président
des «Amis de Tlemcen»,illustre bien cette étymologie hydrique.
Un malheur s’abat sur le pays (bled) : El Ourit, El Mefrouch, Mouillah Boukiou, saquiet el
nosrani, sahridj bedda…sont à sec.
«Il faut que l’eau revienne à Tlemcen.J’irai la chercher».
C’est le défi que se lança le Prince qui vainquit «El Ghoul»,l’ogre malfaisant. L’eau se mit
à jaillir des fontaines, telles des perles de cristal… Les sources ressuscitèrent
telles Aïn el Ouzir, Aïn bent Soltane, Aïn Keubba, Aïn Tolba, Aïn el Hout, Aïn el Hdjel,
Aïn el Modj-arra (El Mouhadjir), Aïn Djnan, Aïn Sidi Ahmed, Aïn Attar… Les chants
«haoufi» résonnaient à nouveau dans la ville. Et c’est depuis ce temps-là que
notre bonne ville avait pris le nom de «Tilimcène» qui signifie «sources» en
berbère, dira le conteur…
Loin de la légende, les Tlemceniens avaient coutume,lorsque le manque de pluie
compromettait la récolte ou les pâturages au printemps, d’organiser des
rogations pour demander la pluie («tol el latif») ; ils faisaient surtout des visites
aux principaux saints protecteurs de la ville, à savoir Sidi Daoudi, Sidi
Boumediene, Sidi Abdelkader, Lalla Setti, Sidi Boudjemaâ… et leurs
adressaient des invocations.
Parallèlement,ils accomplissaient à cet effet au niveau des «mçalla» à Mansoura,
Ouzidane, «çalat el istisqa’» (prière surérogatoire collective en plein air pour invoquer la pluie).
Pendant ce temps, les enfants ne restaient pas inactifs. Ils parcouraient les rues en
promenant une poupée de chiffon ou un épouvantail (deux roseaux croisées
recouverts d’une vieille robe usagée) nommée «Ghanja» et chantaient
: «Ghanja, Ghanja, natalbouk r’ja, ya rabbi aâtina ch’ta…» (Ghanja, Ghanja,
comble l’espérance ! O mon Dieu, donnez-nous la pluie ! Et vous, grelots,
carillonnez pour que vive la pauvresse sans mari). Ils allaient frapper
aux portes des maisons pour qu’on les arrose d’eau en guise de bon présage.
Celle qui a le teint blanc est la signification de «Ghanja» qui serait la
berbérisation du mot Ganus ou encore Janus, soit une étymologie païenne...
Par glissement sémantique «arabisé», ghanja signifiait chanson,
voire poésie chantée, en référence à la racine arabe «ghnâ» (chant)...
On chantait aussi «Ya ch’ta sabi sabi, m’a t’sabich aliya, hata dji hamou khouya,
ghatini ba’ zarbiya»… (ô pluie, tombe, tombe mais ne me trempe pas,
jusqu’à ce que vienne mon frère Hamou pour me couvrir avec un tapis).
On célébrait «sous» l’arc-en-ciel «O’urs dib» (le mariage du renard)
quand survenait une concomitance de pluie et de soleil avec :
«chrika djat Allah, Allah, f’dila djat, Allah, Allah !»
(la concubine arrive, la favorite arrive), allusion au couple pluie/soleil.
Lorsqu’il faisait mauvais temps et pour conjurer le mauvais sort météorologique,
les vieilles femmes, tout en cardant ou «égrenant » la «m’qatfa», récitaient pour
la circonstance une complainte mystique :
«Ghitna, ghitna ya latif bi khal’qihi, ida nazala el qada’ yaatba’ou loutfou»
(ô mon Dieu, apporte Ton secours, Toi qui es Tempérant envers Tes créatures,
atténue la fatalité avec Ta tempérance).
Autrefois, lorsque le cycle des saisons était régulier et le climat indemne de tout
effet de serre, on vivait l’hiver, en l’occurrence,avec sa météo intrinsèque
et ses rites culturels.
Ennayer et son tbaq gorgé de «qaqcha» (plateau de fruits secs) est une
des manifestations alimentaires liées aux us et coutumes locales.
Abstraction faite du caractère agraire de cette fête, la consommation des arachides
(noix,noisettes) s’expliquerait par une imitation «anthropologique» (du régime)
de l’écureuil qui fait ainsi le plein de calories pour affronter les hivers rigoureux.
A propos d’agriculture, un vieil adage dit :
«Teldj ennayer yadmane el kh’ssaïr» (La neige de janvier prévient
toute perte de récolte)…
LA CHASSE, LA TAXIDERMIE ET LA LÉGENDE
La chasse à la perdrix ou à la caille «el hadjla» était, par ailleurs, une tradition
chez les Tlemceniens qui avait la passion des animaux tant domestiques
(chats, pigeons, canaris…) que sauvages à travers la chasse (perdrix,
cailles, lièvres, sangliers…) et le goût taxidermiste (faucon ou aigle empaillé
en guise de bibelot. Un empailleur d’origine bulgare, du nom de Doumandji,
exerçait ce métier artisanal animalier.
Une association de chasseurs baptisée «El Hadjla» est domiciliée à Quebassa,
sous la houlette de M. Mourad Korso.
Quant à la Fédération nationale Sari, présidée par Djilali Sari (libraire),
ses activités sont gelées depuis 1992 en vertu de l’état d’urgence.
A propos de chasse, on raconte que sept frères auraient péri tour à tour dans
la forêt des Petits Perdreaux (à Lalla Setti) pour avoir violé le code «écologique»
en pareille circonstance, à savoir défier d’une part la nature hostile à travers la neige
et d’autre part sortir chasser du gibier vulnérable aux conditions météorologiques
ambiantes. Sans parler de l’état de conservation et des risques
de confusion entre espèces... Jadis,l’hiver portait le sceau de «sab’a
tloudj» : sept neiges «synchronisées» se relayaient dans la nature dans une
parfaite harmonie.
Les sept braconniers «pécheurs» reposent aujourd’hui en paix côte à côte
au lieu-dit Kef (terrain Klouche) à hauteur du mausolée de Sidi Abdelkader,
soit au niveau du cimetière de Sid Tahar (Boutiba) sur les hauteurs de la ville
en contrebas du lieu-dit Baâl, refuge troglodyte et site païen des Phéniciens…
Autrefois, la neige atteignait les «7 m», dit-on avec un tantinet d’exagération.
Le village d’El Eubbad était isolé de la ville. Nouri (Berrabah), le derwiche
se voyait privé de son parcours «mystique» entre Sidi Boumediène
et Aïn Ouazouta.
Une navette stéréotypée qui le menait jusqu’à Bab el djiad devant l’épicerie de hadj Bendra’,
au cours de laquelle il répétait «mécaniquement» : l’auto ! l’auto !
Un leitmotiv accompagné de l’onomatopée : Vroom ! vroom ! Il restait cloîtré dans
le mausolée de Sidi Abbed.
Contrairement à son alter ego,Ba’ Belarbi, un autre humble du quartier,
qui lui élisait domicile dehors sous la kerma (figuier) du Saint précité,
emmitouflé ou plutôt caché dans sa djellaba, refusant toute nourriture
malgré le froid glacial (neige), ascétisme oblige, nous racontera El Hadj
Hadjadj, un aïssaoui, ancien habitant d’El Eubbad …
On remarquera la récurrence du nombre «7» :
les sept dormants du Kef (Baâl), les sept neiges,les sept mètres de neige, la poignée
de sept escargots, la ruelle des sept arcades… (lire la suite) sans parler
de la légende des sept enceintes (siège mérinide de Tlemcen)…
Le «7»serait le chiffre indiquant, selon le dictionnaire des symboles, le sens d’un
changement, après un cycle accompli et d’un renouvellement positif…
SEBDOU ET LE MOULIN DE L’EMIR
Par ailleurs, l’histoire toponymique de Sebdou (située à 44 kilomètres au sud de Tlemcen
et 958 mètres d’altitude)est intimement liée à la neige, et plus exactement à cette fleur
blanche éponyme appelée «sebdah» ( la galanthus nivalis communément appelée
perce neige) qui parait la montagne Tafraoua enneigée (nom de la région
avant la période coloniale signifiant escarpement en berbère).
Notons au passage que la transcription coloniale du nom, à savoir «Sebdou»
est farouchement remise en cause par le chercheur Baghli Mohammed qui lui oppose
sa version originale, soit «Sebdah »
(en arabe le «waw’» final devrait céder sa place à la lettre «ha’») qui
effacerait une fois pour toute cette déformation phonétique et littérale.
Pour rester dans le domaine de la nature,il faut savoir que cette région abritait
jusqu’en 1950 un arbre historique (brûlé depuis) connu sous le nom de
«chêne Cavaignac» sous lequel le traité de la Tafna fut signé (30 mai 1837).
La distribution des eaux de Aïn Tagga se fait encore de nos jours, suivant le système
mis en place et officialisé par un acte signé de la main de l’Emir Abdelkader
en personne dont un ancien moulin hydraulique porte le nom : «Rha’t el emir».
Quand on évoque Sebdou, on ne peut ne pas avoir une pieuse pensée pour Cheïkh Ahmed
Bou’roug, un érudit, considéré comme l’un des premiers azhariens de son
époque qui fit le testament d’être enterré «loin» de Tlemcen (1928), le Dr Benaouda,
le médecin martyr exécuté au douar Ould H’lima (1956),Cheïkh Ben Al Hachem Tilimsani,
le premier libraire de Tlemcen, un érudit en matière de soufisme, natif de Sebdah (1881)
et décédé à Damas (1961).
Sans oublier l’Agha Benabdellah de derb Sid el Yeddoun assassiné en voyage par le
capitaine Doineau (1856).
DAR SBITAR,L’AUTRE MYTHE
Revenons à Tlemcen dans la vieille médina et suivons Mohamed Dib à «Dar Sbitar»
à Bab el hdid, voisine de la mosquée des Ouled el imam,pour prendre le thermomètre.
Au niveau des «b’rarek» d’El Medress,Ba’Benaouda Kaïd Slimane assisté de Benabbou,
alias Sordo, proposait son savoureux «sfendj» de bon matin avant de changer
de registre gastronomique avec «karen» dès le lever du jour… El Hachemi Benamar (Bensbaâ),
un Marocain, offrait lui aussi ses beignets «souaqi» en bas du cinéma Colisée à la rue
Lamoricière…
Plus tard, c’est Ennedroumi de la rue Kaldoun, adossé à la zouiya Moulay Tayeb, qui
prendra le relais…
Quant à la «calentita» (de l’Espagnol Caliente, qui veut dire chaud), on ne pouvait
résistait à son odeur caractéristique qui excitait nos papilles gustatives.
Avant l’indépendance, cinq figures se partageaient le métier : Ba ‘Mostefa
à Bab Sidi Boumediene,Ammi Benaouda à El Medress, Feroui à Bab Ali,
«Papa» à Triq T’tout devant l’école Pierre Curie et son frère (Boughazi) à R’bat
à côté de l’école de la Gare qui ne manquaient pas de nous offrir une «abassia»,
un morceau supplémentaire gratuit du fameux gratin en guise de «bonus».
Après 1962, la corporation s’étoffera avec la venue de Omar à R’hiba, son frère
Moulay (Sahraoui) à El Blass devant le musée, Sbaïhi à la rue Benziane…
En outre,des marchands ambulants offraient leurs «torraïcos» et autres
«homoss camoun» (tayeb oua skhoun !) chez l’Espagnol avec son amusant avertisseur,
«Beriedj» ou Benyounès du Colisée…
Au chapitre des gargotiers appelés à l’époque «hammas», qui servaient la fameuse
«h’rira» bien chaude et bien épicée, on évoquera Hammou el marroqui de la Qissaria en
face du marché couvert, El Gosbi avec Bouhdjar (Kada Kloucha) de derb Zirar voisin de
K’chaïri el brachmi, Bahlouli d’El Medress, Negadi de la rue Basse (El Medress),
Touhami de la rue Lamoricière (mitoyen au cinéma Colisée), Settouf el hali (le musicien) de
Blass el khadem (hôtel Majestic), Mustapha el moghrabi de la rue Belle vue,
Rahal à Nedroma à côté du marché…
Notons que ces restaurants étaient destinés aux voyageurs de passage dans la ville
(fellahs ou artisans de la région), aux «zoufria» (manoeuvres ou portefaix).
Sans oublier les deux gargotes jumelles (anciennes vespasiennes désaffectées)
à l’entrée du marché couvert, spécialité poissons frits, tenues par Nini et Hamid (Bessaâd).
L‘HIVER, SES PLATS,SES PROVISIONS
Ceci dit, voir quelqu’un qui a un foyer fréquenter une gargote était mal vu par la société
de l’époque.
Un comportement immoral, estimait-on, rimant avec un acte d’infidélité conjugale.
D’ailleurs, le «marginal» était systématiquement exclu de toute cérémonie ou procédure
comme témoin, sa crédibilité étant entamée par cette mauvaise habitude.
Dans ce contexte, ceux qui cassaient la croûte ne le faisaient pas en public (chemin faisant)
mais allaient s’installer à cet effet et par discrétion sur la «a’tata» (banc surélevé ouvragé)
situé à l’entrée du foundouq…
Chez soi, le registre culinaire était plus varié même s’il était frugal.
Parmi les soupes qui attestent de l’authenticité paysanne, citons «Dchicha bel guemh»
(on prononce T’chicha»), «Dchicha be’zaâter» (possédant une vertu antithermique,
appréciée par le malade grippé), «Dchicha bel mermez» (Hami oua ourgouss, une soupe
qui réchauffe le corps et fait danser).
Aussi, ces soupes sont en général consommées en hiver.
En matière de provisions, on conservait dans «beït el aw’la» ou «sedda» (grenier) de
la viande boucanée (kheli’), du beurre , de l’huile, de la farine, la semoule,
des légumes secs comme les fèves et les pois chiches ainsi que les oignons et l’ail…
La «tabria» (jarre) était destinée pour les aliments (viande, beurre,olives) et
le «qazane»(récipient) pour les gâteaux (griouèche ou maqrout);le «tarchi» (poivrons verts
au vinaigre en conserves),«felfel m’raqed fi zit»(poivrons rouges à l’huile), «smen»(beurre),
«zitoun m’tamar» (olives en conserves), «karmouss bi zit zitoun» (figues sèches trempées
dans l’huile d’olive),«qedid bel bid» (omelette traditionnelle),cette alléchante viande séchée
qu’on faisait cuire avec des oeufs : un plat des plus appétissants surtout en hiver.
Cet aliment traditionnel («qedid») était par ailleurs «prisé»,lyriquement parlant, à travers
la comptine de la cigogne :
«Bou Chaqchaq,twil echaq, abbani and amratou, a’tatni qadida malha oua djida,
khawnet hali el qatta, ana nadjri oua hiya tadjri hatta bab el a’kri, khit ahmar oua khit
asfar oua khit maâmar bel djouhar»
(Bou Chaqchaq aux longues pattes m’a emmené chez sa femelle, elle m’a donné un morceau
de viande séchée,salée et fraîche, mais le chat me l’a volé, il court et je cours après lui jusqu’à
la porte rouge brique, fil rouge,fil jaune et fil rempli de perles)…
«Ya nass tlemcen, h’diw khli’koum li’ayalkoum,ma’chtat tlmcen hiya r’bikoum»,
interpellait Bent el khass, une duchesse du terroir.
L’adage «Mars boutloudj » était là pour le confirmer.
LES APOTHICAIRES ET LES PHARMACIENS
S’agissant de la médication, on recourait aux plantes médicinales, à savoir le thym (zaâter),
la verveine (louiza),la menthe puliot (fliou), l’armoise (chih), le romarin (aklil)…
La visite au cabinet des Dr Foudyadiss (Bab el djiad), Merabet (derb el yhoud), Kara Mostafa
(Blass), Zerdjeb (idem), Tebal (El Medress), Gaouar (idem), Hassaïne (Bab el hdid),
Baba Ahmed (Kalaâ), Allal (Tafrata), Yadi (EPS), Hamidou (idem),…,se faisait tardivement.
Tarif de la consultation : 500 fr(anciens francs) du moins pour celui pratiqué par ce dernier.
Quant aux pharmaciens, en l’occurrence les Klouche (Bab El djiad), Benalouia (Souk el Ghzel),
Triqui (Tafrata) et Mered (El Blass), ils étaient «concurrencés » par les apothicaires de la rue
de la sikak dite «Triq el achabine», qui avaient pour nom Nedjar, Baba Ahmed,Benyahia, Dekak,
Sekkat… Signalons au passage que ce dernier, alors maire de Tlemcen dans les années 70,
avait fait une chute en glissant sur la neige à l’entrée du derb Sid el Ouazzane où il habitait,
un accident qui lui valut une longue immobilisation…
ANTIQUES CAFÉS
Qu’il neige ou qu’il pleuve, les cafés ne désemplissaient pas.
Les «Bensalem,Douidi, Tizaoui, Tchouar, Reguig,Kazi, Ben Hadj Allal, Lagha, El G’laïlya…»
d’El Medress accueillaient chaleureusement leurs clients dans une ambiance conviviale.
Outre le café «na’qos» fumant ou le thé à la menthe «m’chahar», il était loisible à l’habitué
des lieux de fumer la «renguila»(narguilé), bercé par une musique de fond dédiée à Cheïkha
Tetma ou Mohammed Abdelwahab...
Les soirées du Ramadan hivernal étaient animées par les Cheïkh Bensari,
Dali, Benkebil, Brixi, Benguerfi, Nekkache, Benzerga, Mellouk ainsi que Ghaffour et
Moulay el h’bib dans les cafés parallèlement au «nawadi»,tels la SLAM avec Cheïkh Bouali
et Belkhodja ou Gharnata avec Cheïkh Aboura et Bouhsina …
sans oublier,en privé, Mamoun, Hamid (Texas),Sellem, Mustapha (el moughrabi), El
Habouchi, Benazza, Sid Ahmed Belaïdi,Ghouti Addad…
Au pittoresque café Romana de la rue Basse (décrit par Mohammed Dib dans La Grande
Maison), Ammi Khelil, muni de son «oujak» (percolateur) et son «ibriq» (cafetière),
servait telle une offrande son typique café turc aux habitués de parties de dominos…
Le café maure des «Ouled Djebbar» de la «tarbia» à Nedroma réunissait autour d’un thé ou
café les Rahal, Ghozali, Ghaffour,Djebbar, Midoun, Ghomari, Belazaâr (Bouteflika), Zerhouni,
Bouri, Boudaoud,Senhadji, Djezzar,Khelifa, Kedjar,Taleb, Nadjem, Khiat, …
Le café «El Ghazia» du centre-ville était lui aussi un havre de convivialité pour les clients
nédromis ou des environs (Djebbala)…
Le café de maison, on le torréfiait au moyen d’une «hammaça » rudimentaire.
Plus tard, c’était chez les Berrahil (chahid) de Djamaâ Chorfa, Gaouar «le Centaure»
de Sidi Hamed ou son voisin Benkalfate…
Pour les besoins aussi bien de la cuisson que du chauffage ou du séchage, on allait
chercher du «r’bou» ou «bougha»(braise) chez le «tchah’tchah» (chauffeur d’étuve)
de Hammam Benouis.
On enviait un tantinet son «confort» hivernal.
Certaines familles «émancipées » possédaient déjà «el machina ta’chicht» (un petit réchaud
à pétrole avec piston, muni d’une aiguille appelée «chouka» pour dégripper le bec).
A titre de prestation occasionnelle, son voisin Khiyou de Hammam Bellahcène de la rue Kaldoun
«servait» la «tandjia » (plat copieux)...
A l’occasion du Sabbat où le feu est proscrit à domicile,des clients de confession israélite
lui commandaient quant à eux la «d’fina » (plat cuit sous la braise).
Cette technique de cuisson était connue dans le bassin méditerranéen depuis l’Antiquité.
Les Romains la connaissaient probablement aussi, mais sous un autre nom, puisque Apicius
mentionne,dans son traité d’art culinaire, un thermospodium, réchaud à braises similaire au «kanoun».
Ce mot qui désigne le mets cuit sur le «kano un» ou dans le «fernaq», et qui signifie «enterrement
», suggère une antique technique de cuisson, antérieure au trépied et qui consistait à enfermer les
aliments crus dans un four creusé dans la terre et empli de braises, une technique
connue aujourd’hui encore dans certaines zones de l’Afrique (chez les Touaregs, entre autres).
Au lieu du mot «medjmer» ou «nafekh», la communauté israélite utilisaient le vocable «kanoun»
pour désigner ce «petit four de terre cuite à trois pieds, où on mettait des braises de charbon
dont les fumigations s’échappaient par une ouverture en face, sur lequel on déposait des marmites
de ragoûts qui cuisaient pendant de longues heures…»
Pour l’éclairage, on utilisait «chamaâ» (bougie), «el haska» (candélabre : «A’saqi baqi ma’ qarrab
haskatou…»,chantait Cheïkh Salah), «qinqi» (quinquet) ou «lam’ba ta’ carbil» ( lampe à
carbure)…
En matière de réparations (réchaud ou lampe), on allait chez Ba’ Miloud el m’asakri,
le «chauffagiste» de la rue Belle treille (BMC), Chaoui de derb Sidi Saâd ou Filozora, un Italien,
à Tafrata, voisin du café Reguig.
Quant à Ba’ Mustapha Settouti, le «qazdirou » de la rue Benziane, il proposait la plomberie…
Correspondant au camion Naftal d’aujourd’hui , le tombereau de Ba’ Qorro faisait le tour des
huileries de Tlemcen, des Hadj Eddine (Haï louz), Boudjakdji (Riat el hammar),
Lachachi (El kalaâ), Benkalfat (Sidi Boudjemaâ) pour collecter du «fitour» (grignon) qui servait
de combustible pour «el fernaq» ( foyer ou chaudière) des bains maures…
L’huile d’olive, elle, outre son usage culinaire (cuisson, assaisonnement) servait pour
le massage musculaire (à tout âge) en cas de bobo.... La «terrada» pour le trid, la «ga’saâ»
dédiée au couscous et le «tadjine» destiné au m’bessess ou matlou’ faisaient partie du décor
de la «kh’zana» avec son «marfa’» (étagère) et sa «doukana» (potager) ainsi que la «fréna»
(four pour la cuisson de khobz dar ou zra’) dans les h’waz.…
LES HAMMAMS DE TLEMCEN
Les hivers rigoureux qui sévissaient sur la ville poussaient les gens, notamment les vieux, à aller se
réfugier dans les bains maures : «Na’mchi lal hammam sekhane a’dami» (Je vais au bain
pour me réchauffer les os), disait-on.
Destination : Hammam Tchiali dit el hofra de la rue Belle vue (Ras el b’har), Hammam Bensmaïne
de la rue des Forgerons (Hart r’ma), Hammam Boutmène de derb Ouled El imam, Hammam Bahlouli
(Bab Zir), Hammams Mami et Salah (quartier Sidi Brahim), Hammam El Korso (El Kalaâ),
Hammams Benouis et Laïdouni (Bab Ali), Hammam Lachachi et Haffaf de la rue Belle Treille
(Bab Sidi Boumediène), Hammam Boudghène (R’bat), Hammams Benqetita et Sari (Agadir),
Hammam Brixi (Souiqa), Hammam Korso (Les Cerisiers), Hammam Boualala dit Hammam El Yhoud
(Blass), Hammam Boudjakdji (El Kalaâ),Hammam Bendimered (La Metchkana),Hammam Baba Ahmed
(Bab el hdid) Hammam El Yeddoun de derb Essedjene (rue des Almohades),Hammam Belkhodja
(R’hiba),Hammam Benabadji (Bab el djiad),Hammam Slimane de la rue Lamoricière,
Hammam Benkalfat (derb Sidi Hamed), Hammam Sebbaghine dit Sidi Bellahcène des Trari
(Qorane esseghir),Hammam Tchiali dit el hofra de la rue Belle vue (Ras el b’har)…
Deux légendes sont tissées par la mémoire populaire autour de ces deux derniers.
Le premier fut le théâtre d’une «transmutation» d’un serpent intrus en bijou (cravache) qui sera
dérobé par la «tayaba».
Un acte qui serait à l’origine du refroidissement du bain malgré les efforts colossaux du
«tchahtchah».
Signalons que depuis cet incident insolite, le bain ouvrait ses portes exclusivement aux hommes.
Par ailleurs, Hammam Brixi servait de lieu d’hébergement nocturne pour les SDF, «abir sabil» (voyageurs
de passage) ou «zoufria» (portefaix).
Le réceptionniste de fortune ramenait chaque soir le registre d’accueil au commissariat
central pour être visé.
Pour le second,il s’agit d’une apparition anthropomorphique (djîn aux pattes de bouc)
qui provoquera une certaine désaffection, superstition aidant…
Hammam el Ghoula (sur le site de l’antique Agadir), à l’emplacement de
dar el Asakri, a complètement disparu…
A Nedroma, on fréquentait Hammam el ba’li au lieu-dit «eterbi’a» derrière la grande mosquée,
Hammam Chekroun à côté de Djamaâ el kebir,Hammam el manqouchi…
Les «kies» (masseurs) étaient très sollicités dans la salle chaude dite «skhoun».
On citera entre autres Abadji, Kabrane, Ali Nigrou…
Un code de communication était en usage entre le «mucho» ( préposé) et son maâlem (gérant) :
«m’sired » (tarif massage), «t’chouf»(encaisse en plus une savonnette)…
Les places prisées étaient celles de «el ousta» (centre) et proche de la «borma» (étuve)…
Une fois dans la salle de repos (l’apoditerium des bains maures), on avait le loisir de commander
un café chaud ou un thé à la menthe ou à la «chiba» (absinthe); certains bains offraient
l’exotique narguilé…
On s’y rendait aussi pour se guérir d’un rhume ou d’une indisposition musculaire.
D’où le surnom de «Et’tabil el Abkem » (le médecin muet) que l’on entendait donner au bain maure…
La plupart de ces établissements d’hygiène corporelle ont fermé leur porte pour cause de contentieux
entre le gérant et les héritiers.
Période : les années 40. Saison : l’hiver.
«Aïni déposa au milieu de la pièce un brasero bourré de poussière de charbon
qui brûlait difficilement. On pensait : c’en est fini du froid ; puis l’hiver faisait un brusque
retour sur la ville et incisait l’air avec des millions d’arêtes tranchantes.
A Tlemcen, quand en février la température tombe, il neige sûrement…
Omar appliquait sur le carreau ses pieds, qui étaient de glace.
Les jambes nues jusqu’aux genoux,vêtue d’une mince tunique retroussée par-dessus
des pantalons de toile, les épaules serrées dans un fichu en haillons, Aïni grondait, prise
d’une agitation fébrile… L’enfant couvait le brasero. Il en remua le fond.
Quelques braises vivotaient dans la cendre. Il se rôtissait les mains, qui blanchissaient peu à peu,
énormes comme des fruits blets, et les appliquaient sur ses pieds.
Le dallage faisait mal à voir. Omar se recroquevilla devant le fourneau… Le brasero défaillait
dans la chambre sombre et humide. Omar ne réchauffait que ses mains ;
ses pieds le démangeaient irrésistiblement.Le froid, un froid immobile,lui griffait la peau.
Il cala son menton sur ses genoux. Accroupi en chien de fusil, il amassait de la chaleur.
Ses fesses posées sur une courte peau de mouton pelée étaient endolories.
Il finit par somnoler, serré contre lui-même… La matinée, grisâtre, s’écoulait minute après minute.
Soudain,un frémissement lui parcourut le dos : il se réveilla, les jambes engourdies
et pleine de fourmillements.Le froid pinçait intolérablement. Le fourneau avait disparu : Aïni l’avait
emporté…
A l’autre extrémité de la pièce, assise en tailleur, le brasero posé sur une de ses cuisses,
elle marmonnait toute seule :- Voilà tout ce que nous a laissé ton père : la misère
! explosa-t-elle… Aïni versa le contenu bouillant de la marmite, une soupe
de pâtes hachées et de légumes :
une «tarechta» sans pain. Omar, Aouicha et Meriem lapaient en silence,
avec une régularité mécanique, la soupe qui leur ébouillantait la bouche :
une sensation de bonne chaleur leur descendait à l’intérieur du corps.
C’était bon la soupe de l’hiver…même si le piment paprika de Cayenne leur cuisait la langue…».
LES METS DE L’HIVER
Un tour maintenant du côté de Bab Ali. Avant l’indépendance. La neige tombait.
Ne faillant pas à la tradition,Kheïra Bent el Bekkaï concoctait sa hrira el k’bira assortie
de légumes secs (fèves, haricots…). Alors que M’a Fatma Bent Benchenafi de Hart r’ma
préparait son «s’fendj ba zbib» (beignets aux raisins secs) et Ma’Tabet de la rue Benziane
sa «kabouya bsibsi be’sfisef» (citrouille aux jujubes). Et pour cause. «Teldj ra’layeq».
Une expression typiquement féminine en référence à la laine cardée.
S’exhalant de la «k’zana» (dont le mot cuisine est a priori tiré), les effluves de l’huile communiaient
avec les flocons de neige…
Ma’Chaâbana (Guellil) de derb Sid Sasli apprêtait quant à elle un bon ragoût
de «batata bel khli’» pour dar Kouider Saïb. A dar Fiddah de derb el qadi, on préparait pour la
circonstance un plat de «loubia bel ker’ine» (pattes de veau aux haricots). Mama Djebbari
de Nedroma apprêtait sa «osbana » ou sa «kefta bel khli’»…
D’autres plats «adaptés» à la saison étaient au menu, tels «berkoukes», «t’chicha»,
«ba’bbouch ba’ zaâtar» (escargots au thym), un plat très épicé.
On faisait jeûner les gastéropodes plusieurs jours, parfois on les nourrit à la farine
pendant trois jours avant d’être préparés en sauce piquante.
On prononçait pour la circonstance une formule incantatoire avant de les plonger par
poignée de sept (encore !)dans la marmite pleine d’eau bouillante
: «D’bihtak ya ghlal bel ma’ wa mleh wa zaâtar, bismilah Allah akbar !...»
(ô gastéropodes, vous allez mourir, non égorgés comme le mouton ou le coq,mais
ébouillantés par l’eau avec du sel et du tym, au Nom de Dieu, Dieu est Grand)…
A la maison, on utilisait «el msekhna», un sèche-linge traditionnel en forme
de cloche àclaire voie fabriqué avec du fil de fer, posé sur une «tabouna»
(fourneau). Ce qui n’était pas sans causer des dégâts si on ne faisait pas
attention :
la pauvre Ma’Tabet en fit les frais lorsque la blouse de maquignon de son
mari Sid Ahmed dit B’ni faillit brûler mais fut tout de même abîmée…
avec à la clé une scène de ménage violente…
Un échantillon offert par Hamza Cherif Abdelaziz (ex-responsable de la
culture auprès de l’APC) est exposé comme relique au musée…
A défaut de braise gratuite, on s’achetait du charbon de Beni Ournid du côté
d’El Medress, la Souiqa ou la rue basse. Pour les braseros (poterie des Traras
ou de Khemis), on pouvait se les procurer chez les Abbas, Benyahia, Seqqat,
Deqqaq de la rue de sikak (El mawqaf). Les «hsirat» (nattes en alfa),les tapis
en laine teintée et les «m’sekhnat » de Beni Snous étaient exposées à la
vente au foundouq de Djamaâ El Benna ou au foundouq Rostane
(caravansérail désaffecté) de Tafrata…
Telles les vestales de Rome, nos vieilles mères entretenaient «el a’fia»,
le feu utile…
Lequel alimentait le bûcher pour la lessive dite «sabboune» où le
«crichtoune» (déformation de «cristaux » d’alun) et «r’mad» (cendres) étaient
utilisés en guise de détergents classiques :
«ous’dar» (patio) se transformait pour la circonstance en une véritable
buanderie à ciel ouvert (El Ourit et Saf Saf constituant des lavoirs estivaux :
«El Ourit, El Ourit …sabt chabbet ya’rkou s’wabène fi’h/
J’ai découvert aux cascades des jeunes filles qui faisaient la lessive…,
d’après un haoufi)…
Comme tenue d’intérieur,les femmes portaient un caftan et étaient coiffées
d’un cône, même quand elles faisaient le ménage dit «nouba».
Cette corvée à tour de rôle de la grande maison (dar el djirène) se muait en
touiza collective quand il s’agissait de dégager la neige de la cour ou
de dessus la terrasse fragile vulnérable aux infiltrations…
DJELLABAS, «BOURABAH»,MUSIQUE ET CHECHIA…
Pour les djellabas et autres burnous,une bonne adresse: derb Moulay
Tayeb et derb Sidi Saâd près de Souq el Ghzel.
Si Abdelkader Bensenouci est le dernier des «Mohicans»,
pardon des «brachmia».
Assis en tailleur dans sa modeste échoppe, il «perpétue» vaille que
vaille le métier tout en préparant la relève à travers son fils Sidi Mohammed,
fort de l’adage p opulaire :
«Ya f’na mel el djeddine, wa’tabqa san’at el yeddine»
(Les biens des grands parents disparaîtront mais pas le métier qu’on
aura appris).
Il se dit prêt à assurer à ce titre un apprentissage au niveau d’un CFPA…
Les «bourabah» sans dessins (mharbel) ou à deux coloris (hachaïchi),
eux, étaient fabriqués chez les Bentabet (Benzizou),Meliani, Benguella à
El Medress,Ba Hamou Karaouzène (le dernier des Mohicans dans ce métier)
à Hart r’ma,Cheïkh Benmehter el eubbadi à la rue basse (Blass el khadem),
Aboura à Bab Zir, Hadjoui à Bab el djiad, Cheïkh Brixi (le dernier maillon encore
en vie de la chaîne des musiciens de l’andalou) à Sidi Braham…
A propos de musique,il faut savoir que l’hiver était synonyme de vaches
maigres pour les «haliyines» et la fameuse boutade de Cheïkh Larbi Bensari
illustrait à juste titre cette situation de chômage technique :
«Fal mechta, n’aleq r’bab m’a bçal»+
( En hiver, j’accroche mon rbeb avec les oignons)…
Déjà, dès que l’automne pointe à l’horizon, nos chouyoukh musiciens
commençaient à ressentir ce syndrome qui transparaît à travers
ce hawfi tlemcenien :
«Hazzat (habbat) larieh wa t’fakar el maskine, bi’ou nasf hada el khrif
wa ksou el ouryane» (Les vents d’automne soufflent à tout secouer et
le pauvre se souvient de ses malheurs; vendez la moitié des fruits de
ce verger et habillez l’homme en guenilles)…
Baba Ould Fréha, le jovial boute en train des soirées des mariages prenait
lui aussi son congé, rangeant temporairement ses «mawawil» orientaux et
ses boutades spirituelles…
A la rue Kaldoun, Si Bouri (Boumediene) proposait ses manteaux cachemire
chauds, ses bonnets passe montagne en laine et ses «patogaz».
Non loin, au foundouq Mansour, des artisans marocains résidents vendaient
les «chechias» (calottes en feutre).
Dans la cité de Abdelmoumene Ben Ali, les «brachmia» dont
les Ghomari exerçaient du côté de la «tar’bia», Beni Zid ou les «zneq».
Quant aux figures du tissage, elles ont pour nom Djebbar(i), Ghaffour, Niar…
avec leurs pittoresques couvertures à rayures dites «la moda».
Le trousseau de la mariée «el khroudj» comptaitinévitablement la pile
de «bourabah» (de un à sept selon les possibilités).
Aujourd’hui, c’est les couvertures, version Angora, qu’on exhibe lors
du «tabi’ed el ferch» (exposition du trousseau chez la belle famille);
le chauffage central et le gaz de ville ont supplanté à ce titre le système
traditionnel…
Le tapis (zarbia) se fabriquait à domicile via «el m’ramma»
( le métier à tisser, qui servit de titre à l’un des romans de sa trilogie) et
plus tard par «b’nat zrabi » dans les ateliers des Meziane (Djamaâ Chorfa),
Gaouar (La Gare), Hadj Slimane dit «el bouchoune» (El Hartoune)…
Côté culte, lorsqu’il neigeait beaucoup «ka’liqa» ou pleuvait en trombe («zarra»),
on accomplissait en même temps à Djamaâ el kébir, les deux dernières
prières el maghrib et el ichaâ, nous dira El Hadj Abdesselem.
Le regretté Moulay Driss (Tabet Aouel), le sympathique «brachmi» (brodeur)
de la rue Benziane, ne ratait jamais son mélodieux adhan depuis la terrasse
de Djamaâ Chorfa à l’instar de Hadj Abdelkader Mohammed de Djamaâ el Kébir
(un témoin oculaire de l’assassinat de l’imam Benosman par la soldatesque
française un 4 juin 1957 à côté du mihrab), Si Ghouti Benallal, un non-voyant,
de la mosquée de Sidi Boumédiène qui ne se lassait pas de gravir en dépit de
sa cécité cinq fois chaque jour que Dieu fait les marches en colimaçon jusqu’au
lanterneau pour lancer son appel à la prière, Tianti de la grande mosquée de
Nedroma…
Tout petits,on se disputait la planche de pain garnie de «khobz man’out» (galettes
marquées) qui était déposée devant les portes.
C’était à qui la porterait le premier au four banal de Si Boumédiène dans le
quartier de Sid el djebbar,lequel était assisté de H’mida et Loulou.
Une aubaine pour humer l’odeur du pain cuit et s’imprégner de la chaleur du
«ferrane» avec en prime un morceau de pain accompagné d’un poisson frit
ou du poivron cuit offert par la maîtresse de maison en guise de récompense.
Pendant les vacances d’hiver, on se donnait rendez-vous dans une maison
en ruine sise à «Qua’ chkara» pour jouer à cachecache ou aux billes;
Zrigui, un portefaix populaire, nous gratifiait à chaque fois d’un chaleureux
feu de camp.
Une sorte de rite initiatique au credo de la bande.
A la maison, les «Blec le Roc, Zembla, Akim, Mandrake,Capt’ain Swing et
autres Pampa, Rangers, Kassidy, Ombrax, Kiwi, Rodéo,Nevada, …nous tenaient
compagnie. La télévision n’était pas encore introduite dans les moeurs
des foyers de la vieille médina. Mais il y avait en contrepartie le cinéma avec
ses salles sombres et feutrées: Rex, Colisée et Lux.
Une fois, je me rappelle comme si cela datait d’hier, c’était juste après
l’indépendance, fuyant «el qatra» (infiltrations de pluie) et le froid qui sévissaient
dans notre vieille maison de la rue Benziane (El Medress), je me trouvai refuge,
bien au chaud, au cinéma Lux où était projeté ce jour-là un film de Mustapha Badie
«La nuit a peur du soleil» (1965)…
INTÉRIEURS TÉLEMCENIENS
Faisons une virée extra muros chez «Ma’ Khiti» à Aïn El Hout. «Malgré la rigueur
des hivers, aucune cheminée n’était aménagée dans les chambres; les habitants
ne se chauffaient qu’avec le brasero, le fameux «medjmer», placé au milieu de la
pièce…
Dans un coin, séparé par un rideau, on y trouvait la natte d’alfa, le tapis de laine
ancien et les coussins…
Sur le mur une planchette supportait les lampes à acétylène, à gaz et à pétrole.
Les verres avaient noirci à l’usage.
Rien qui pût aviver le faible rayonnement de la lumière:
Même les murs, blanchis avec une chaux de fabrication locale,avaient une teinte
grisâtre.
Le plafond, en branches de palmiers soutenues par une poutre de cèdre, léché
par la fumée, au long des journées d’hiver, était comme revêtu d’un manteau blanc...
Dans les chambres, des tapis de laine,des matelas, des couvertures, des étoffes
aux brillantes couleurs recouvraient le sol et les murs…»,
se souvient Fodil Benabadji.
L’intérieur des chambres était divisé en deux parties, l’une réservée au
rassemblement de la famille où s’asseoir (séjour), une autre appelée «srir»
(alcôves) représentant une anti-chambre (à coucher) décorée; un voile «h’djeb»
séparait les deux parties. Le srir se situe toujours à un niveau (élevé) de
la chambre, il marquait la hiérarchie et la dominance du chef sur les membres
de la famille; c’était là où s’installait le grand lit «n’moussia» de chaque chef de
ménage…, (d)écrira Khaldoun Abderrahim, urbaniste…
Le couchage au niveau du «sérir» consistait en des peaux de moutons «h’yadar »
sans drap posés à même le sol , sur une natte en alfa «h’sira».
On se serrait les uns contre les autres. Pas de chauffage.
Les épaisses couvertures étaient tendues d’un bout à l’autre.
Sur lesquelles les chats domestiques venaient se blottir.
Outre le confort thermique non négligeable que procurait les indispensables
«bourabah», cette chaleur animale venait s’ajouter à celle du braséro qui
trônait en maître des lieux au milieu de la «qoubba» (chambre collective).
Pas de fenêtres. Pas d’aération. Les portes étaient fermées à cause du froid.
Le spectre des accidents par asphyxie au monoxyde de carbone planait toujours.
Pas de pyjama, ni robe de chambre.
On gardait tous ses vêtements y compris les chaussettes, la nuit au moment
de dormir.
Tout juste si on enlevait la ceinture.
Dans ces conditions, la crainte de voir débarquer un hôte en vue d’un séjour
ne pouvait être que des plus «légitimes ».
Et pour cause. «Dif el machta m’a fi’h r’bah, ya’zel el medjmer oua el bourabah»
(La visite d’un hôte en hiver ne peut apporter que désagrément puisqu’il va
«s’accaparer» du braséro et des couvertures destinées à la maisonnée),
disait-on à ce propos. Quand bien même «Dif n’bi telt ayem».
Des souvenirs évoqués de son vivant par Si Djelloul Benkalfate, lui qui
naquit dans le vieux quartier de Sidi el ouazane du Tlemcen médiéval, et plus
exactement au sein de derb Méliani tant chanté par Cheïkh Bensahla dans
«Ya daw ayani » (ô lumière de mes yeux)…
VÊTEMENTS D’HIER
Le Tlemcenien redoutait le froid. Il se couvrait beaucoup en hiver, il ne
changeait guère son linge de corps qu’au bain maure, tant il craignait d’être
«frappé par le froid», selon l’expression commune.
Les hommes de la classe aisée ou bourgeoise (kourouglie) portaient d’ordinaire,
en hiver, un premier burnous de laine blanche ou un «haïk», une «r’lila»
(veste de drap ou de toile) ou «balto» (déformation de paletot), deux «maqfoula»
( gilets)dont un ouvert, une veste courte brodée,une «qmedja» (chemise en coton),
un tricot de peau (manches longues,fermé par devant), un «çraoul»
(un large pantalon bouffant) descendant au-dessus du genou, une ceinture
en soie enroulée «h’zem», un caleçon en coton de même forme que le pantalon,
des «q’charet» (chaussettes)et une paire de «çobbat» (
souliersdécouverts);quelquefois, un caftan-burnous de même drap.
Comme couvre chef, la typique «chachiya» pour les jeunes et le «qolah’»
entouré d’un ruban et recouvert d’un «chèche» (pièce de coton) dont beaucoup
se recouvraient la tête.
Dans la classe ouvrière humble, les hommes portaient la djellaba marocaine
de laine ou quelquefois de drap (buvard avec temps de pluie) avec au-dessous
un ou deux gilets, une chemise et un pantalon en laine grossière.
Quelques-uns portaient à la place de la «djellaba» un pardessus court
avec manches longues et capuchon nommé «kabbout».
Les ouvriers mettaient presque tous le «chèche» et la corde en poil de chameau.
Quant aux chaussures, ils portaient des souliers box-calf «zagaya».
Peu ou pas de chaussettes, même en hiver (pieds rougis par le froid).
Les enfants étaient chaussés, à leur corps défendant, de souliers noirs
à gros clous monoformes faits pour durer, signés Bouayed de Souk el Ghzel ,
Benzizou de Bab Ali, Abdelah el a’bd de Sidi Hamed, Hadjadj Mohammed à Maghnia…
Après usure de la semelle, on refait une demi-semelle chez les frères
Benchenafi(Madjid et Moulay) de Hart R’ma, Mrabet(Abderrahmane) et
Bendermel de derb Sedjane, Benzizou de Bab Ali , Ziri «l’sen el kelb»
de Bab Sidi Boumediene : ne disait-on pas «lima raqa’ ma’ lbess»
(celui qui veut s’habiller, doit se faire réparer ses souliers ou raccommoder
ses habits) ? Idem pour le parapluie qu’on faisait arranger chez Ba’ Klouche
de la rue de l’Abattoir (R’bat). «La femme musulmane pour sortir est
entièrement cachée sous une large bande d’étoffe de laine fine,
sans couture, le ksa ou h’aïk, qui lui recouvre même le visage.
Sous le h’aïk, la femme porte une chachïya cônique, qu’elle doit poser
bien droite sur la tête, si elle ne veut pas passer pour une dépravée.
Cette chachïya est elle-même recouverte d’un mendil (foulard de soie brodée d’or)
pour les jeunes mariées; ce foulard, pour les autres femmes, est en soie de couleur,
non brodée, et se nomme baïta; pour les pauvres, il est simplement en laine ou en
coton et s’appelle hendiya (qui était par ailleurs utilisée par les hommes comme
filet pour le marché, chasse mouche et éventail, n.d.l.r).
Les femmes et les fillettes portent encore la frimla, ou gilet très court,
sans manches, se boutonnant sur le devant par un seul bouton, et dessous
plusieurs abayaa, ou chemises sans manches, un cafetan à manches courtes,
une chemise de dessous (qmedja) et un pantalon.
Elles sont chaussées de sandales noires sans talon…», selon Alfred Bel,
ancien directeur de la Medersa de Tlemcen.
On remarquera au passage que les vocables de «haïk», «caftan», et«kmedja»
ainsi que « hendïya» ne s’appliquent pas exclusivement aux habits traditionnels
féminins.
A Nedroma, «en ce qui concerne (toujours) l’habillement, il y a une cinquantaine
d’années, très peu d’hommes portaient l’habit européen.
Il était honteux de remplacer la djellaba,la gandoura ou le seroual par le pantalon
qui moule les formes.
Actuellement le costume européen est porté par la majorité des habitants
d’origine citadine ou campagnarde. Seuls les hommes âgés marquent encore
une préférence pour l’habit traditionnel. Quant aux femmes citadines, elles
étaient tenues de porter le voile, même jeunes, mais les rurales pouvaient
sortir en dehors de leurs maisons et venir au souk de Nédroma, découvertes,
dans leurs costumes de campagnardes.
Celles-ci, habitant en ville actuellement adoptent le voile, elles aussi et
l’évolution du costume féminin se fait de la même façon pour toutes, vers
son abandon progressif par les jeunes filles et les jeunes, sa conservation
n’étant observée que par les plus âgées et les plus vieilles d’entre elles…»,
témoigne Si Mohamed Benamar Djebbari, écrivain. A
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Posté Le : 22/08/2020
Posté par : tlemcen2011
Ecrit par : Par Allal Bekkaï
Source : Le Quotidien d'Oran Mercredi 17 février 2010