Algérie

Si jeunesse pouvait...


Ils sèment leur désarroi dans les rues surpeuplées, puant le chômage et la corruption, unis pour le pire, s'alignant, adossés à des murs sales et décrépis, qui les happent comme des lézards à la recherche d'un bout de soleil, pendant que l'ennui les ronge, et que l'inactivité les réduit à de simples bouches ouvertes, dans l'attente d'un miracle incertain. Ni les programmes de développement qui prennent des détours inexplicables, ni les discours creux et irréalistes à la limite du mépris, ne sont venus à bout des chiffres de leur misère. De l'école fondamentalement obligatoire, au « haitisme » ou à la « harga », l'Etat ne voit rien venir préoccupé par sa seule survie, sans cesse sous perfusion, liée à un gazoduc et à une Histoire que tout le monde ne voit plus de la même manière. Ne lit plus avec les mêmes analphabétismes. Avec les mêmes mots et les mêmes mensonges. On a beau leur raconter les légendes de bravoures, de héros morts ou de lâches vivants, ils ne posent qu'une seule question : pourquoi tout ça ? Quoi faire de leur vie ? L'emmener ailleurs, n'importe où, mais ailleurs. A la promesse d'un avenir meilleur, ils ne posent qu'une seule question d'échéance : quand tout ça ? Quoi faire de leur avenir ? L'emmener loin vers leur rêve, pour rejoindre ceux qui l'ont fait avant eux, qui ont réalisé leurs images construites couleur après couleur, vague après vague. Rejoindre les rescapés qui reviennent pour quelques jours leur raconter de vrais rêves, de rues propres, de parcs anciens, tellement anciens, que leur verdure finit par dessiner un vrai drapeau, une vraie Histoire. Et ils les croient à leur descente d'avion, ou de bateau dès les premières paroles de leurs vêtements, de leurs sourires, de leurs poches, de leurs diplômes. Ils les croient parce qu'ils disent ne jamais revenir définitivement. Jamais, parce qu'ils ont fait de leur exil, un royaume avec un papier de qualité supérieure et parfois dans des pays qui, hier encore, nous étonnaient par leurs archaïsmes. Les jeunes sont nombreux dans les statistiques, nombreux dans la rue, nombreux dans l'attente aussi. Nombreux dans les prisons et dans le suicide, nombreux dans la misère sexuelle. Une étrangère venue pour la première fois en Algérie déclare avoir été surprise par la foule dans la rue et par la saleté des immeubles dans un aussi beau pays, aussi vaste. Un programme pour des gouvernants qui savent se mettre à l'écoute pour peu qu'ils arrêtent de parler. Premier regard pour ceux qui ont envie de relancer le tourisme. La démission des parents devant la pénibilité de la vie se traduit par l'échec des enfants. La rue récupère vite. Mais la rue c'est aussi la violence installée par la démission de l'Etat. La rue ce sont des informations qui arrivent de partout et de nulle part et qui prennent les déformations qu'elles peuvent, pour se traduire en pneus brûlés, en femmes agressées, en enfants kidnappés, en pédophilie, en prostitution, en poussée inquiétante de la mendicité. La rue, c'est la drogue qui circule dans les écoles primaires, dans la crise du logement, dans la taille de la famille, dans les classes surchargées, dans les gros trafiquants qui bénéficient de complicités. La drogue c'est le voyage à bas prix et la chaleur ovine du groupe pour chasser la solitude. La drogue c'est la destruction de la seule ressource qu'on refuse d'utiliser par peur qu'elle ne montre de quoi elle est capable : la ressource humaine. Mais la drogue, nous dit-on, est partout dans le monde. La violence et les autres maux aussi. Mais partout dans ce monde dit développé qui nous sert d'image, la mobilisation est générale aussi bien des institutions que des individus. Partout la confiance établie passe par la peur d'un électorat qui mandate en fonction de ses intérêts contenus dans des calendriers, et qui demande qu'on lui rende compte de l'usage du mandat. Partout dans ce monde-là, le mandat n'est pas un jeu d'hystérie collective, mais une épreuve de consolidation de la démocratie et la pensée libre. C'est d'une institution qu'il s'agit et non d'individus. Pourtant, nul n'en est pleinement satisfait, dans ces pays là. Quant à nos jeunes, ceux-là même qui sont classés dans la catégorie des moins de 30 ans, par soucis de comptabilité nationale, comment leur expliquer une place qu'il ne trouve pas, dans une société qui se recherche ? A plaindre pour leur incapacité ou à réprimander pour accepter leur situation selon l'angle dans lequel on se place, ils méritent tous que l'on s'intéresse à ce qu'ils pensent. Et qui s'y intéresse dans un pays où on se trompe de gagnant d'un « fennec » d'or soit-il. Dans un pays qui privilégie le burlesque déformant d'une réalité risible, au travail sérieux et durable. Mais lorsque des parents d'une génération ancienne racontent comment le pays était propre et ses habitants sales qui produisaient de quoi manger en demeurant affamés, qui disposaient de grands pâturages et ne consommaient pas de viande, comment leur expliquer l'indépendance ? Comment ? Comment leur expliquer des fortunes colossales accumulées grâce à des tours de passe-passe et sans effort, alors qu'ils ne trouvent pas de travail, pendant que d'autres jeunes roulent carrosse grâce à papa ou à maman ? Alors que tout le monde est d'accord sur la mascarade puisque cela dure depuis tellement longtemps, car nous avons appris à transformer nos richesses en calvaire au point où les jeunes générations ne croient plus qu'en l'argent ou à fuir le pays. Et elles ont peut-être raison, après avoir vécu le chômage et le mensonge politiques. Elles ont dû comprendre que le lien Etat-citoyens doit être définitivement rompu du fait que « viendra un jour où l'Etat ne pourra rien offrir » comme il ressort depuis quelque temps des discours. Pourquoi alors continuer à y croire ? S'il est un bilan qu'il faudra faire un jour, ce ne sera ni celui des plaques inaugurales, ni celui des discours, ni celui du nombre de courtisans qui ont défilé dans les spectacles de mauvais goût, mais plutôt celui de ce qu'auront laissé les gouvernants en projet social et en idées pérennes. Les jeunes contrairement à l'illustre tirade savent tout, mais que peuvent-ils faire pour regagner une place légitime au soleil ? Certainement pas ce qu'ont fait leurs aînés : tout accepter.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)