Algérie

SETIF La loi de la jungle



L'affaire en question remonte à l'année 1992, quand l'Etat à vendu une parcelle de terrain d'une superficie de quatre hectares sise à la cité Laïd-Dahoui, à proximité du marché de voitures, à neuf coopératives immobilières afin d'y construire des logements (en verticale) pour leurs adhérents, des fonctionnaires de différentes administrations.
Après les travaux de viabilisation et d'aménagement effectués par les coopératives immobilières, le projet fut stoppé par l'APC de Sétif de l'époque en arguant le fait que la zone est devenue non pas urbaine mais artisanale, chose qui interdit toute construction. Dès lors, le terrain resté à l'abandon a suscité la convoitise des habitants d'une ferme coloniale jouxtant l'assiette foncière. Ces derniers qui occupent illégalement la ferme (après le relogement des anciens habitants par la daïra de Sétif en 1997) et ne possédant aucun titre de propriété s'accaparent du terrain et le transforment en un parking sauvage les jours du marché hebdomadaire de voitures. A raison de 500 DA la place de stationnement pour les véhicules légers, 1 000 DA pour les camionnettes et 1500 DA pour les bus, le terrain peut contenir jusqu'à 4 000 véhicules, l'activité est devenue très juteuse pour les indus occupants, on parle de deux cent millions de centimes de gain par semaine. Cette situation va durer jusqu'à l'année 2009, date à laquelle le nouveau PDAU (Plan directeur d'aménagement et d'urbanisme) de la ville de Sétif a approuvé de nombreux POS (Plan d'occupation des sols) y compris celui de la cité Laïd-Dahoui qui a retrouvé sa vocation initiale, à savoir une zone urbaine et habitable. Forts de leur droit, les responsables des neuf coopératives immobilières entament les démarches nécessaires pour l'obtention de leur permis de construire consécutif. Et ce n'est qu'en 2010 que les services concernés délivrent ce précieux document. Un ouf de soulagement sera poussé par les centaines de coopérateurs qui ont attendu près de 18 ans pour voir enfin leur rêve, celui d'avoir un logement, se réaliser. Ainsi et après le choix des entreprises de réalisation, et le paiement des quotes-parts de chaque adhérent, les travaux vont enfin commencer. Mais les coopérateurs vont vite déchanter, et leur joie sera de courte durée. En effet, en voulant débuter les travaux, les entreprises seront empêchées de force d'accéder au site par les indus occupants du terrain. Ces derniers voient en ces travaux la fin de leurs activités lucratives. Les «hors-la-loi» ont menacé de s'en prendre aux ouvriers et aux matériels des entreprises au cas où ils s'aventuraient sur la parcelle. Des menaces de mort ont même été proférées par ces énergumènes à quiconque entreprendrait des travaux. Ne voulant pas envenimer la situation et évitant d'entrer en conflit ouvert avec ces «illégaux», les coopératives immobilières concernées décidèrent de suspendre les travaux et portèrent l'affaire devant la justice en déposant une plainte au niveau du parquet de Sétif et de la police. Trois plaintes seront donc déposées auprès du procureur mais aucune d'elle ne va aboutir. Les plaignants n'auront aucune réponse. Reçu par le procureur, un président de coopérative se verra dire par le magistrat que la justice est impuissante : «Ce sont des ordres venus d'en haut. On doit éviter les problèmes surtout en ces moments de révoltes que vivent certains pays arabes.» Un aveu des plus significatifs de la faiblesse de l'Etat. «Nous avons saisi la police afin de nous protéger contre ces énergumènes qui n'ont aucun droit sur ce terrain. On espérait que notre appel de détresse allait être entendu par les services de sécurité, mais à notre grand étonnement un officier de police nous a rétorquait que ‘‘la police elle-même n'étant pas protégée, comment voulez-vous dans ce cas-là qu'on vous protège ''‘ Un autre aveu d'impuissance de la part d'un service censé appliquer la loi et faire respecter l'ordre», a affirmé Mme S., présidente d'une des coopératives. Et la présidente d'ajouter : «Nous avons fourni un dossier des plus complets comportant tous les documents prouvant notre propriété sur le terrain (acte de propriété, livret foncier, permis de construire, plans de réalisation…) au wali et aux différents services de police (police de l'urbanisme, 4e et 10e Sûreté urbaine, procureur de la République) mais rien n'a été fait. Nous pensons réellement que l'Etat légitime l'illégalité sinon comment expliquer que ces gens, de surcroît indus occupants, nous empêchent par la force d'accéder à notre terrain et en même temps ils l'utilisent pour amasser des fortunes sans être inquiétés par qui que ce soit.» Un autre président de coopérative affirme pour sa part : «Nous avons toujours respecté la loi et nous avons agi dans la légalité, mais personne ne veut nous venir en aide. Nous n'avons rien demandé, juste qu'on nous laisse construire nos logements. Le terrain nous appartient, nous l'avons acheté et nous avons attendu longtemps pour pouvoir prétendre à un logement, puis à la fin des gens étrangers viennent pour nous déposséder de nos biens et nous spolier sous le regard des pouvoirs publics. L'un des «hors-la-loi» m'avait même apostrophé en me disant que nous n'allons rien faire, car ici c'est la loi de la jungle. C'est inadmissible, mais il a parfaitement raison, c'est la loi de la jungle qui sévit actuellement à Sétif.» Il y a deux semaines, un conflit avait eu lieu entre l'adjudicateur du marché de voitures et les habitants de la ferme sur les droits de parking. En effet, ces derniers s'adjugeaient les droits d'entrée au marché, chose qui a déplu à l'adjudicateur qui avait déboursé plus de 12 milliards de centimes de droits d'exploitation du marché de voitures payés à l'APC de Sétif. S'ensuivra alors une véritable bataille rangée entre l'adjudicateur et ses employés d'un côté et des habitants de la ferme de l'autre et qui a failli provoquer des morts. Et c'est le branle-bas de combat des autorités locales, notamment service de police et APC. Devant cette situation, les policiers avaient pris la décision d'interdire temporairement le marché de voitures durant deux semaines. L'APC, quant à elle, et devant les menaces de l'adjudicateur qui exigeait la résiliation de son contrat et son remboursement intégral, va l'autoriser à utiliser les terrains des coopératives sans prendre l'aval de ces propriétaires. «Dans ce pays, tout est permis, d'un côté on nous empêche de construire sur nos terrains et d'y accéder et de l'autre on permet aux étranger d'en profiter», affirme, dépité, un président de coopérative. Et d'ajouter : «Nous pensons faire confiance à la justice de notre pays, mais en réalité c'est la loi du plus fort. Nous avons introduit une affaire en justice, au niveau de la section du foncier, contre les ‘‘hors-la-loi'', et un jugement a été rendu en notre faveur stipulant que ces gens-là devaient nous laisser entamer les travaux, mais ce jugement a été cassé, à notre grand étonnement au niveau de la cour pour on ne sait quelle raison ou dessein inavoué. La cour a aussi infirmé le premier jugement. C'est une justice de la honte. Nous sommes dans notre droit, c'est notre terrain, et la justice donne raison aux envahisseurs. C'est comme si on empêche une personne d'accéder à son propre logement. C'est désolant pour notre justice, pour un pays qui se dit un pays de droit, mais l'Algérie est devenue un pays de non-droit », dira-t-il avec amertume. Face à cette impuissance criante des pouvoirs publics, et face à ce déni de justice, la situation risque de prendre des proportions des plus alarmantes quand on sait que les trois cents familles ont décidé de se battre jusqu'au bout, y compris en utilisant la force pour récupérer leur bien spolié par une poignée de gens sans scrupules. «Il ne nous reste qu'à nous battre, y compris d'utiliser la force pour recouvrer nos droits. Faire confiance à notre justice ou aux autorités ne sert à rien ici à Sétif. La seule solution qui nous reste est devenir des voyous comme ces «hors-la-loi», seule alternative pour faire entendre nos voix comme l'ont fait les habitants de la cité Kérouani, qui après avoir épuisé toutes les voies réglementaires ont décidé de recourir à la force, chose qui a fait réagir les responsables y compris le wali et ils ont pu avoir gain de cause», conclut un groupe de présidents de coopérative.


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