Service commandos

«La fin justifie les moyens.» Machiavel
«Si nous avons un exécutif communal qui a décidé de s'attaquer à l'habitat précaire, on peut dire alors qu'on est vernis et que nous avons les meilleurs édiles sur l'axe Dunkerque-Tamanrasset. Mais je croirais à cette fable quand je verrais notre cité propre, et sans commerce informel. L'existence de ce fléau africain (il paraît qu'il est en train de gagner l'Europe), est la preuve que toutes nos institutions ne fonctionnent pas bien ou ne fonctionnent pas du tout.»
Cet arrêt radical, ce jugement définitif venait de Ammi El Hocine dont les neurones fonctionnent toujours à merveille. C'est normal, il a été formé à l'école cartésienne. Méziane le clando fit un sourire amusé à son vieil interlocuteur et lui répondit: «Tu as raison, ya Ammi! Tout esprit naïf croirait que la lumière divine a soudain éclairé ces cerveaux ravagés et obscurcis par l'appât du gain. Il n'en est rien! Ce n'était qu'un calcul machiavélique de la part de ces succubes de Satan. Je vous avais parlé tout à l'heure de la soudaine et massive tentative d'occupation des caves par des énergumènes qui étaient venus armés de barres de fer, prêts à semer la confusion dans une cité qui ne connaissait que le désordre. Eh bien, ces gens qui étaient venus, organisés en commandos, avaient été encouragés, pour ne pas dire envoyés, par ces mêmes édiles dont le rôle serait d'assainir cette cité en proie à mille fléaux. Ils ont dû leur dire tout simplement: «Si vous voulez bénéficier d'un logement social, il va falloir que vous soyez déjà logés dans un habitat précaire. Si vous ne l'êtes pas actuellement et si vous avez vraiment besoin d'un logement, il va vous falloir créer cet habitat précaire. Comme vous habitez dans une cité dont les immeubles ont été pourvus de caves, il ne vous reste plus qu'à occuper les lieux qui sont encore vacants. Mais faites-le sans heurts ni violences. Et surtout, n'allez pas répéter que c'est nous qui vous avions montré le chemin. Discrétion, rapidité et exécution!».
«Mais c'est une honte que ce stratagème. Ces bâtards vont encourager les gens à se mettre hors la loi pour pouvoir bénéficier d'un avantage social somme toute, légitime. Mais vous me direz que c'est toujours la politique du fait accompli: on viole la loi et la morale et ensuite on rend licite ce qui ne l'est pas. Cela va pénaliser une fois de plus ces pauvres épargnants qui attendent un logement depuis plus de deux décennies!» Ammi El Hocine, indigné avait soudainement interrompu Méziane qui continua sur le même ton: «Toutes les rumeurs émanant de ce nid de vipères concordent pour dire que cela s'est passé ainsi. Moi, quand j'ai entendu cela, je me suis dépêché de trouver mes deux voisins avec qui nous partagions une cave insalubre où nous entreposions tous les objets qui ne trouvaient plus place dans l'appartement. Ils ont été très compréhensifs et ils m'ont cédé leurs parts parce qu'ils avaient eu vent (tout se sait dans le voisinage) de l'ambiance familiale dans laquelle je me débattais. Depuis que je suis né, jamais je n'aurais cru qu'un jour, je serai amené à habiter une cave, et de surcroît avec ma femme et mes enfants. Pour moi, les caves, c'était synonyme de rats, de moustiques, de cafards, de saletés, de mauvaises odeurs, enfin, de toutes les choses désagréables. Surtout que les conduites d'eaux usées aboutissent dans ces caves qui subissent, de temps en temps, des inondations nauséabondes.».