Liberté : Ces derniers jours, l'on a constaté une recrudescence des cas de contaminés. Sociologiquement, à quoi renvoyez-vous cela 'Noui Djemai : Pour répondre à votre question, il faut savoir que chaque individu a sa propre représentation sur le risque. Si la notion de risque est présente dans la vie des sociétés occidentales par leur riche capital culturel dans tous les domaines, santé, environnement, risques nucléaires..., les représentations de l'Algérien se construisent au jour le jour, se déforment, se déconstruisent et se reconstruisent suivant les discours véhiculés au sein de la société. Cette culture est le produit d'une socialisation sociétale et politique, sans oublier le rôle des médias qui façonnent l'opinion publique autour des dangers et des risques.
Dans notre société, en revanche, l'absence de culture du risque due à une anthropologie fataliste, le risque dans la représentation sociale n'est évident que si l'individu le vit et est réellement menacé dans sa propre vie.
Au début de la pandémie, bien que les pouvoirs publics aient pris des mesures, dont, entre autres, le confinement, la fermeture des frontières ? même les citoyens rapatriés de l'étranger sont assujettis à un confinement ?, le taux de contamination et de citoyens décédés n'était pas aussi élevé. Mais ce taux a augmenté d'une manière significative après que les autorités ont décidé de lever les mesures de confinement.
Les citoyens sont revenus à leur vie normale. En dépit de l'aspect culturel de l'Algérien qui ne croit pas à la Covid-19, l'aspect sociologique objectif demeure un facteur déterminant dans la propagation de la pandémie ces dernières semaines, dans presque tout le pays, et à un degré élevé à Sétif, à Ouargla et à Biskra.
Pourquoi Sétif en particulier '
Parce qu'elle représente un carrefour vital. Tout transite par cette région. L'aspect commercial prépondérant lui donne le caractère d'une zone économique et industrielle par excellence car les plus grandes transactions commerciales s'y réalisent.
Il faut aussi prendre en considération l'aspect traditionnel de notre société ; la promiscuité familiale est la cause principale de la propagation. On peut citer les fêtes de mariage et de circoncision et les cérémonies funéraires où l'on constate des comportements irresponsables, le non-respect des gestes barrières édictés par le Comité scientifique malgré les appels et le travail des médias pour la sensibilisation.
Sans pour autant oublier les dégâts causés par le premier confinement sur les plans économique et social où 60% des Algériens vivent ? selon la sociologie du quotidien ? de l'activité informelle. Le confinement a fait qu'il y a une cessation d'activité sans pour autant qu'il y ait une aide consistante de la part de l'état. De mon point de vue, cela est imputable au manque de moyens matériels et humains pour affronter cette crise sérieuse et inattendue.
Quelle est votre appréciation du travail de sensibilisation '
On demande aux citoyens de rester chez eux, et en contre-partie, on constate l'absence des élus locaux, dont les APC, sur le terrain. Nous relevons l'absence de cellules d'écoute, de communication et de suivi avec le citoyen. Les tâches classiques, telles que l'approvisionnement en eau potable, l'ouverture des commerces, l'abattage des chiens errants, la désinfection des lieux publics, ne sont plus assurées. Fort heureusement, il y a ces solidarités mécaniques au sein de la société permettant à beaucoup de citoyens de maintenir un seuil minimal de vie décente. Voilà à mon sens pourquoi l'Algérien ne respecte pas les consignes. Face aux crises, il devient fataliste. Un grand travail devrait être fait dans le sens pédagogique de sensibilisation et dans un discours apaisé.
Il faut éviter de verser dans l'incrimination et la menace. Il faut plutôt privilégier un discours communicationnel de crise qui mobilise toutes le forces (état, institutions, citoyens) pour ?uvrer ensemble, afin d'endiguer cette pandémie.
Le Comité scientifique chargé du suivi de la pandémie doit-il revoir sa manière de faire '
Même si ce Comité fait du bon travail, mais à mon sens, toute crise nécessite une communication transparente sur les effets et conséquences de la crise. Des médecins ne peuvent suffire à eux seuls de communiquer, de sensibiliser et de mobiliser, d'autant que la Covid-19 n'a pas que des effets sanitaires ; elle a également des effets économiques, sociaux et même culturels. Après le coronavirus, notre société, à l'instar des autres sociétés à travers les quatre coins du monde, ne sera jamais comme avant. À cet effet, dès le début de la pandémie, on aurait dû associer des économistes, des sociologues et psychologues, ainsi que des spécialistes en communication.
Mais hélas, nous assistons au déferlement des mêmes experts prétendant tout connaître et dans tous les domaines, mémoire et histoire, management...
C'est à eux et à eux seuls qu'on fait appel. Or, dans une crise, les citoyens ont besoin d'un véritable débat contradictoire dans l'espace public, qui aura certainement un effet positif. Il aurait servi à instaurer un climat de confiance entre l'Etat et le citoyen. J'ajouterai que l'absence de professionnalisme dans le domaine de la communication a fait que le citoyen vit dans le désarroi.
Il est ballotté entre un discours d'un côté rassurant, affirmant que l'Algérie maîtrise la situation, les moyens sont là, des chiffres avancés font croire que la situation est maîtrisable et, d'un autre côté, les déclarations des médecins et des paramédicaux qui estiment que les moyens rudimentaires, pour ne citer que les tests, l'oxygène, les lits et même les moyens de protection individuelle, ne sont pas disponibles. Dire la vérité aux citoyens facilitera la gestion de la crise.
L'Etat a pris des décisions qui visent à durcir le confinement ainsi que le respect des mesures barrières dont le port du masque. La manière est-elle adéquate '
Prendre des décisions, c'est ce que le peuple demande car cela relève de la présence de l'Etat. Mais durcir les mesures et d'une manière subite sans concertation avec les commerçants et sans sonder l'opinion publique, cela risque de générer du mécontentement au sein de la population.
Car interdire les déplacements entre wilayas sans permettre aux citoyens de rentrer chez eux, sans permettre aux commerçants et aux industriels d'écouler leurs marchandises, notamment celles périssables, et de se préparer à ce confinement partiel peut engendrer des désagréments.
Verser aussi dans des propos qui ne devraient pas être dits dans une telle situation de la part de nos politiques publiquement, va certainement attiser la colère des citoyens. Nous avons vu aussi que le scanner était un moyen pour tester les citoyens atteints de la Covid-19, approuvé au début par le Comité scientifique, et puis d'un coup, le ministère de la Santé a mis fin à cette pratique en disant que le test par le scanner n'est pas fiable. Ces exemples illustrent la mauvaise gestion d'une crise psycho-sociale et sanitaire qui sévit dans notre société.
Ne faudrait-il pas associer le mouvement associatif dans la gestion de la crise, y compris dans les établissements de santé '
D'abord, je teins à rendre hommage au corps médical qui a prouvé que l'Algérien, sans verser dans le populisme, est capable de dépasser les crises. Il fait son travail avec abnégation et avec beaucoup de sacrifices. Selon les statistiques officielles, 1 700 personnes du corps médical sont atteintes. Faut-il rappeler le sacrifice suprême consenti. Des médecins et paramédicaux qui ont laissé leur vie en faisant face à cet ennemi invisible. À ce stade, nous avons le devoir de dévoiler et de dire la vérité.
Tant que notre système sanitaire est défaillant et dépourvu de moyens, la crise ne connaîtra pas un dénouement rapide et sans grands dégâts. Il est plus qu'urgent d'avoir une volonté politique et une vision stratégique pour que nous puissions ?uvrer pour une prise en charge de la crise. C'est la condition fondamentale pour assurer un système de santé performant.
La rentrée scolaire prochaine a été retardée. Est-ce une bonne décision '
Oui, certainement. Retarder la rentrée scolaire est une décision qui s'imposait. On ne peut mettre en danger la vie et la santé de nos enfants. Mais vu l'évolution de la contagion, il faut songer à anticiper les protocoles sanitaires lors de la rentée universitaire et scolaire. Je pense que nos universités et nos écoles n'ont pas les moyens d'appliquer des protocoles simples.
Est-ce qu'ils peuvent procurer des masques à 8 millions d'élèves ' Est-ce que nos communes possèdent les moyens nécessaires de désinfection des écoles ' Toutes ces questions et autres méritent des réponses. Un protocole sanitaire ne se fait pas sur papier, il s'applique sur le terrain.
Entretien réalisé par : Faouzi Senoussaoui
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Posté Le : 14/07/2020
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Faouzi SENOUSSAOUI
Source : www.liberte-algerie.com