«La démocratie est l'institutionnalisation de l'incertitude», a affirmé William B. Quandt aux journalistes qui l'ont rencontré, lundi dernier, au siège de l'ambassade des Etats-Unis à Alger.Spécialiste du Moyen-Orient, Quandt définit ainsi la démocratie en soulignant que «l'incertitude s'explique par le fait que ceux qui sont au pouvoir ne savent pas quand vont-ils partir et ceux qui veulent le prendre ne savent pas quand pourront-ils l'avoir.» Quandt connaît aussi l'Algérie pour l'avoir visitée, selon lui «au moins une vingtaine de fois.» Les séjours qu'il y a passés lui ont permis d'observer pendant une trentaine d'années, l'évolution politique et sociale du pays. Il s'est fait des amis et a même appris des mots en algérien. Il parle l'arabe, bien sûr. Le plus important est qu'il a écrit, en 1998, un livre sur l'Algérie qu'il a intitulé «Société et pouvoir en Algérie : la décennie des ruptures». Sur le site Amazone, il est noté que «cet ouvrage s'applique à cerner les facteurs politiques qui ont amené l'érosion d'un régime autoritaire, le virage vers la démocratie au début des années 1990, et le déchaînement de la violence à une époque plus proche de nous.» Le site dit de William Quandt que, «contrairement à d'autres analystes, il ne prévoit pas la victoire des islamistes radicaux (en Algérie ndlr), il n'envisage pas non plus l'éventualité d'un retour à l'ordre ancien.» Il estime que les problèmes que connaît l'Algérie «sont représentatifs de ceux que rencontrent les pays sortant d'un système autoritaire».Lors de sa rencontre lundi avec quelques journalistes, il a dit de l'Algérie que «sous Boumediene, ce n'était pas une dictature, ce n'était pas Saddam Hussein, on savait qu'il y avait un pouvoir, quelles étaient ses limites et quelles étaient ses règles.» L'ouverture «démocratique» en Algérie, Quandt l'ajuste à 1988 mais, précise-t-il «même avec une presse libre, c'est un début d'ouverture, vue de l'extérieur, l'Algérie a fait un pas en avant, mais ce n'est pas assez.» Le politologue américain explique sa vision des choses en affirmant que le pouvoir entretient un flou important sur sa manière de gouverner. «Qui sont les décideurs '» interroge-t-il et indique que «dans la rue, on connaît le visage du président Bouteflika mais on n'a aucune photo des autres décideurs.» Il affirme alors «il y a cette incertitude de savoir comment fonctionne le système politique algérien.» Bien qu'il reconnaît qu' «il y a différents modèles de démocratie», il fait savoir qu' «un processus de démocratisation, c'est toujours difficile à mener».L'ALGERIE A VECU, DES SON INDEPENDANCE, «UN CONFLIT ENTRE LES ELITES.»Son exemple : «le système américain ne marche pas très bien pour nous, il répond plus à des intérêts fédéraux, notre société est très hétéroclite, c'est un pays très compliqué, c'est de temps en temps que ça marche, notre système de démocratie n'est donc pas à exporter,» a-t-il dit. Pour lui, l'Algérie a vécu, dès son indépendance, «un conflit entre les élites.» La légitimité révolutionnaire avait pris le dessus. «Ceux qui avaient pris le pouvoir pensaient que faire de la politique était un luxe pour un pays qui venait d'avoir son indépendance ; en un sens, ça a réussi à stabiliser l'Algérie même si le système était assez rigide.» Il pense d'ailleurs que «c'était ça le message de 88, c'est-à-dire casser cette rigidité.» Interrogé sur le fait qu'il a été pratiquement le seul américain à affirmer que les islamistes algériens n'allaient pas prendre le pouvoir dans les années 90, Quandt répond «c'est parce qu'il n'y avait pas d'intégristes dans le système, l'Etat ne pouvait pas fondre sous la pression du Fis.»A propos de ce qui est appelé «printemps arabe,» le politologue américain pense que «lorsque le système étatique existe, il peut jouer un rôle de stabilisateur de part l'existence de ses institutions.» Ce qui est le cas, selon lui de l'Egypte, de la Tunisie «mais pas celui de la Libye qui s'est effondrée.»Dans la fiche de lecture de son livre sur l'Algérie, il est noté que «l'Algérie peut changer sans révolte.» Quandt en explique le sens en notant que «le facteur démographique joue un rôle important dans les révoltes, la jeunesse algérienne s'est révoltée en 88, elle a canalisé toute ses forces dans ce mouvement de contestation; aujourd'hui, elle ne le refera pas.» Est-ce que l'existence de l'Etat serait aussi pour quelque chose dans cette «maîtrise de la situation '», lui avions-nous demandé. Il esquissera un large sourire et lancera, «on laissera la réponse pour la prochaine fois.»Quandt aborde par ailleurs la crise en Irak et avoue que «l'intervention militaire était un désastre, ça a coûté très cher en vie et en argent.» Les Etats-Unis ont-ils créé ce qui est appelé Daesch et semé le chaos dans plusieurs pays arabes ' «Non», répond-il convaincu «le conflit israélo-palestinien compte pour quelque chose dans «le glissement de l'image des Etats-Unis chez les peuples arabes, surtout après l'échec de Clinton dans la résolution du conflit et après lui celui de Bush.» Daesch est financé, selon lui, par les pays du Golfe. Mais il avoue qu' «il est vrai que sans notre intervention (les Américains ndlr), il n'y aurait pas eu de Daesch.» Il en tire la conclusion que «l'islamisme a été crée par les Saoudiens pour contrer le panarabisme.»LE GMO ET LE BUDGET «MINUSCULE» DU TRESOR AMERICAINQuandt affirme que la crise en Irak est «à cause du vide qui a été créé par le départ des Américains en laissant le pouvoir aux Chiites, ce qui a laissé une partie du pays sans aucun avantage, à savoir les Sunnites et les anciens du Baâth.» C'est aussi parce qu'a-t-il dit «Nouri El Maliki, l'ancien 1er ministre irakien était très sectaire.» A propos de la relation entre les USA et l'Iran, Quandt déclare que «Obama est convaincu qu'il faut trouver un moyen pour avoir des relations stables avec l'Iran, ce serait une normalisation progressive et c'est nécessaire.» Au plan géostratégique, il place l'Iran comme étant «un Etat assez stabilisé, un Etat sophistiqué qui a un leadership.» Il pense d'ailleurs que «si les négociations sur le nucléaire échouent, il y aura des éléments négatifs un peu partout dans la région.»Interrogé sur l'existence ou pas du GMO (Le grand Moyen-Orient), William B. Quandt reconnaît quand même que «le budget qui lui est réservé par le Trésor américain est minuscule par rapport à celui de la défense.» Il rappelle que l'initiative a été prise au temps de Bush avec comme idée de fond «de faire émerger des petites démocraties dans le monde arabe à l'image de l'Europe après la 2ème guerre mondiale.» Il dit cependant être persuadé que le GMO s'est dissous dans les nombreux conflits qui minent particulièrement le monde arabo-musulman. Le politologue n'expliquera pas pourquoi le schéma du GMO ressemble-t-il aussi étrangement à cette idée de fragmentation des Etats de la région en question. Idée qui prend toute son ampleur depuis qu'Américains et Israéliens ont dessiné la nouvelle carte d'un Middle East allant de Kaboul à Tanger. C'est ce qu'ils appellent bien le Grand Moyen-Orient…
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Posté Le : 29/04/2015
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Ghania Oukazi
Source : www.lequotidien-oran.com