Algérie

SDF : misère et complaintes


Des dizaines de sans-domicile plantent leurs abris de fortune, à proximité du barrage fixe des CRS.En cette douce nuit de janvier, sous l'un des arbres courant le long du marché des vêtements de M'dina J'dida, avenue des Martyrs, face au centre pénitentiaire d'Oran, un homme essaye de retenir ses larmes de couler puis, incapable de les réprimer, souffle un mot d'excuse et s'éloigne : c'est un SDF originaire de Tissemsilt qui, racontant aux journalistes les circonstances qui l'ont amené à quitter sa ville natale pour hanter les rues oranaises à la recherche d'un travail, craque à l'évocation de ses quatre enfants qu'il dit n'avoir vus que trois fois en trois mois. Lundi 22 janvier 2018. La commission intersectorielle d'aide aux personnes en difficulté, composée de représentants de la sûreté de wilaya, de l'APC, de la Dass, de la DSP et du Croissant-Rouge algérien, a organisé une énième sortie humanitaire visant à apporter un peu de réconfort aux sans-abri d'Oran. "Tous les jours, des opérations pareilles sont organisées, mais sans médiatisation. Aujourd'hui, nous avons décidé de convier la presse afin qu'elle rende compte de ce travail que la commission accomplit au quotidien", a expliqué le responsable de la communication de la sûreté de la wilaya avant le départ du convoi en direction des lieux de présence des SDF. Les responsables du Bureau d'aide sociale de l'APC confirment que ces opérations ont cours depuis 2015, date de l'installation de la commission, et ont permis de venir en aide à des centaines de sans-abri, soit par la distribution de repas chauds en période hivernale, soit par leur évacuation vers des centres de transit, ou encore leur transfert vers leurs wilayas d'origine. "Il reste le problème des malades mentaux auquel il faudra trouver une solution", relève une des responsables. Premier arrêt : l'incontournable trottoir du marché où des dizaines de sans domicile plantent leurs tentes en carton, à proximité du barrage fixe et sécurisant des CRS. "Ici, nous sommes en sécurité. Nous ne risquons pas d'être agressés comme ailleurs", confirme l'un des sans-abri à la caméra d'une chaîne de télévision. Pourtant, à l'arrivée du convoi mené par une voiture de police, gyrophare allumé, trois SDF ne peuvent résister à un ancien réflexe et prennent les jambes à leur cou. Il faudra à un policier des trésors de patience pour les convaincre que ce n'est rien d'autre qu'une opération de distribution de nourriture et de couvertures. "On a eu peur", avouera l'un des SDF, toujours sur ses gardes. La vue d'employés de la Dass distribuant des repas à ses compagnons d'infortune finira par les rasséréner...
"Ma mère m'a chassée de la maison"
Devant une fourgonnette de la Dass, une jeune femme réclame une seconde couverture. "C'est pour mon amie, elle n'est pas encore là", plaide-t-elle. Vêtue d'un imperméable marron, un foulard sur la tête, elle parle doucement, avec effort. "Je suis dans la rue depuis une année, soit depuis que l'on a découvert que j'avais un problème cardiaque. Dès cet instant, ma mère m'a chassée de la maison." Âgée de la quarantaine, les traits tirés, H. A. Nouria
raconte qu'elle était couturière et gagnait tant bien que mal sa vie avant que la maladie ne vienne lui gâcher la vie et la jeter dans la rue. "Je suis divorcée depuis bientôt 15 ans, et mon fils, qui vit chez ma mère, suit des études dans un lycée... mais personne ne demande après moi et ne vient s'enquérir de ma situation alors que je vis de la générosité des gens." Nouria affirme que même sa tante, qui travaille aux urgences du CHU d'Oran (à quelques dizaines de mètres de là), l'ignore et ne lui adresse jamais la parole. S'est-elle rendue coupable de quelque crime impardonnable ' "Je n'ai rien fait, c'est juste à cause de ma maladie. Les médicaments coûtent très cher, mais heureusement, certains bienfaiteurs sont sensibles à ma condition", souffle-t-elle. Après s'être quelque peu épanchée, elle traverse le boulevard, pose la couverture neuve contre le mur de l'hôpital et donne quelques coups de balai au bout de trottoir qui lui sert de lit depuis un an. Alors que les SDF racontent chacun son histoire aux journalistes, que les employés de la Dass distribuent repas et couvertures sous le regard vigilant des policiers, un cri déchire le silence de la nuit. "Vive Boukharrouba, lui c'était un homme ! Vive Boukharrouba !" Tous les regards se tournent vers l'homme, probablement aviné, qui vient de surgir de nulle part en hurlant le nom du défunt président Boumediene. Il est vêtu de haillons, son visage est ravagé par une barbe hirsute et ses cheveux sont en bataille. "Vive Boukharrouba !", crie-t-il à tue-tête, tandis que des "chut" fusent. "Venez me voir !", lance-t-il aux cameramen amassés autour du responsable de communication de la sûreté de wilaya qui donnait des détails sur le programme d'aide aux SDF et démunis. Et avant que qui que ce soit ne s'approche, l'homme disparaît, soudainement, au détour d'une rue. Il n'a pas pris de repas, ni de couverture, mais ses vociférations puissantes restent longtemps dans l'air et les oreilles. Lorsque quelques instants plus tard, des journalistes le cherchent pour l'interroger, ils ne le trouvent nulle part. Il a disparu comme il a surgi, de nulle part. Des hommes, quelques femmes, des jeunes, des vieux, plus ou moins correctement vêtus ou en guenilles, chacun raconte son histoire. L'un a fui une famille hostile, l'autre est parti à la recherche de travail, un autre encore vit dans la rue depuis si longtemps qu'il ne sait pas s'il a une famille quelque part. Celui-ci a fait de la mendicité une profession, celui-là a la tête pleine des vapeurs de la colle qu'il sniffe à longueur de journée, tandis que l'autre, là-bas, passe ses journées à fouiller dans les poubelles.
"Je ne vois que rarement mes enfants !"
Debout près d'un arbre, un homme, barbu, regarde en souriant les journalistes aller d'un SDF à un autre. Plus ou moins convenablement vêtu, il n'a pas l'air d'un sans-abri. Et pourtant ! "Je suis venu de Tissemsilt à la recherche d'un poste de chauffeur de poids lourds. Mais après trois mois, je suis prêt à travailler comme agent de sécurité", affirme-t-il le sourire aux lèvres. Mais ses yeux ne sourient pas. "De 1994 à 2000, j'étais garde communal à Tissemsilt, mais lorsque les choses se sont calmées, j'ai quitté de mon propre chef", raconte-t-il avec regrets. À 53 ans, H. Salah pense quitter Oran pour aller "n'importe où, pourvu que je trouve du travail !" Sa famille, ses quatre enfants ' "En trois mois, je les ai vus trois fois. Et ce n'est pas facile", souffle-t-il. Ce n'est d'autant pas facile qu'il ne peut leur avouer qu'il est à la rue. "Ce sont des adultes et le dernier a 21 ans. Comment leur avouer que je suis livré à la rue '", demande-t-il avant que sa voix ne trébuche et qu'il ne s'éloigne pour cacher ses larmes. On ne le reverra plus de la soirée.
Fou à en perdre la Qibla
Après cette halte de l'avenue des Martyrs, le convoi s'ébranle vers d'autres endroits connus pour être fréquentés par les SDF. Un bref arrêt au boulevard Mascara (depuis la réalisation de la ligne de tramway, les lieux de stationnement se font rares) pour distribuer des repas à des sans-abri qui cachent rapidement des bouteilles à la vue de la police, et la petite caravane repart en direction de la place Kahina (autrefois place de la Cathédrale) où un jeune homme attire les regards en faisant la prière face à l'ouest et chaussures aux pieds. Un employé de la DASS saute rapidement du véhicule pour aller le chercher. "C'est un jeune malade mental qui vit à Eckmühl. Ce n'est pas un SDF, il vit chez les siens, mais il souffre de troubles psychiatriques. Nous le connaissons depuis longtemps", explique-t-il. À la place Kahina, dans le centre-ville encore fréquenté par de nombreux passants, les organisateurs annoncent que c'est la fin de l'opération, alors que l'on pensait qu'il y aurait distribution de repas. "Cette petite sortie médiatisée est destinée à montrer aux Algériens que les autorités se soucient du confort et du bien-être des sans-abri. Ce n'est pas une opération isolée, mais nous en organisons une tous les jours de l'année", insiste le responsable de la sûreté de wilaya, à l'origine de l'initiative.
S. Ould Ali
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