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Sciences sociales



Sciences sociales
Pour certains, toute violence est légitime dès qu'elle est collective. Dans la foulée, ils définissent comme «citoyens» des gens qui ne savent même pas ce que signifient les mots citoyen et citoyenneté. Les réactions collectives et les mouvements de foule, vus toujours sous l'angle politique, n'apportent rien de nouveau et peuvent s'avérer dangereux.Gustave Le Bon et Sigmund Freud ont étudié «la psychologie des foules». Le Bon a dit : «Dans les foules, c'est la bêtise et non l'esprit, qui s'accumule.» Mais pour lui, ce n'est pas le nombre mais les réactions et le comportement qui font la foule. Ainsi des centaines, voire des milliers d'individus se trouvant au même endroit pour des buts différents ne forment qu'un agrégat, alors que quelques individus, dans certaines circonstances, constituent une foule.
«Des milliers d'individus séparés peuvent à certains moments, sous l'influence de certaines émotions violentes, un grand événement national par exemple, acquérir les caractères d'une foule psychologique. Il suffira alors qu'un hasard quelconque les réunisse pour que leurs actes revêtent aussitôt les caractères spéciaux aux actes des foules. A certains moments, une demi-douzaine d'hommes peuvent constituer une foule psychologique, tandis que des centaines d'hommes réunis par hasard peuvent ne pas la constituer», précise Le Bon.
«La foule psychologique est un être provisoire, formé d'éléments hétérogènes qui pour un instant se sont soudés, absolument comme les cellules qui constituent un corps vivant forment par leur réunion un être nouveau manifestant des caractères fort différents de ceux que chacune de ces cellules possède.»
L'individu en foule acquiert des caractères que l'on ne trouve que dans l'état de foule. C'est l'irresponsabilité. Dans une foule, «le sentiment de responsabilité» (de conscience morale pour Freud) disparaît. Du fait du nombre, un individu en foule peut ressentir un sentiment de «puissance invincible» et voir ses inhibitions s'effondrer. Il pourra accomplir des actions (bonnes ou mauvaises) qu'il n'aurait jamais accomplies seul. En foule, c'est la «contagion», car une même passion agitera tous les membres de la foule avec une grande violence. C'est enfin la suggestibilité. Ainsi, l'individu faisant partie de la foule voit sa conscience s'évanouir, comme s'il est hypnotisé. Il n'a ainsi plus d'opinions, ni de passions qui lui soient propres, ce qui explique que des foules puissent prendre des décisions allant à l'encontre des intérêts de leurs membres.
«Evanouissement de la personnalité consciente, prédominance de la personnalité inconsciente, orientation par voie de suggestion et de contagion des sentiments et des idées dans un même sens, tendance à transformer immédiatement en actes les idées suggérées, tels sont les principaux caractères de l'individu en foule. Il n'est plus lui-même, il est devenu un automate que sa volonté ne guide plus», écrit Le Bon.
«La première suggestion formulée qui surgit s'impose immédiatement par contagion à tous les cerveaux, et aussitôt l'orientation s'établit. Comme chez tous les êtres suggestionnés, l'idée qui a envahi le cerveau tend à se transformer en acte. Qu'il s'agisse d'un palais à incendier ou d'un acte de dévouement à accomplir, la foule s'y prête avec la même facilité. Tout dépendra de la nature de l'excitant, et non plus, comme chez l'être isolé, des rapports existant entre l'acte suggéré et la somme de raison qui peut être opposée à sa réalisation.»
La foule ne pense pas par des mots et des concepts verbaux, mais par des images. Ces images sont généralement moins celles observées que celles qui possèdent une forte puissance passionnelle. De là , de possibles hallucinations collectives dues à la suggestibilité, à la déformation et aux passions très fortes qui animent une foule. De là aussi certains phénomènes de foules connus, comme le lynchage.
«Quels que soient les sentiments, bons ou mauvais, manifestés par une foule, ils présentent ce double caractère d'être très simples et très exagérés. Sur ce point, comme sur tant d'autres, l'individu en foule se rapproche des êtres primitifs. Inaccessible aux nuances, il voit les choses en bloc et ne connaît pas les transitions... La simplicité et l'exagération des sentiments des foules font que ces dernières ne connaissent ni le doute ni l'incertitude. Elles vont tout de suite aux extrêmes. Le soupçon énoncé se transforme aussitôt en évidence indiscutable. Un commencement d'antipathie ou de désapprobation, qui, chez l'individu isolé, ne s'accentuerait pas, devient aussitôt haine féroce chez l'individu en foule.»
L'individu en foule redevient «primitif». Les passions qui se transmettent sont extrêmes et ne connaissent ni la pondération ni le juste milieu. Les passions simplistes et extrémistes des foules, leur incapacité à penser rationnellement, les rendent dangereuses autant que profitables pour qui sait en tirer parti ou les manipuler.
La foule a besoin d'un meneur (ou leader) pour l'organiser et la faire subsister. Le meneur a d'abord été lui-même «mené», comme n'importe quel autre membre de la foule, avant d'acquérir un rôle de premier plan dans l'organisation sociale.
Gustave Le Bon distingue deux types de meneurs : les rhéteurs et les apètres. Le rhéteur n'est pas entièrement acquis à la cause qu'il prétend défendre. Il peut y croire, mais il défendra aussi ses propres intérêts en même temps. Son influence, qui peut être décisive, ne sera qu'éphémère. Un «apètre», par contre, est entièrement convaincu par l'idée qu'il défend. Prêt à se sacrifier pour son idée, il peut mener la foule aux plus grands excès, tant héroïques que cruels.
Plus répandus que les apètres, les rhéteurs sont vite oubliés une fois que leur influence ne se fait plus sentir. Les «apètres» sont beaucoup plus rares, mais ont un poids social beaucoup plus important et laissent en général un souvenir important dans l'histoire.
Celui qui ne sait guère penser par lui-même, ou qui manque de volonté, se retrouve rapidement sous la coupe d'un meneur. Le meneur n'est pas un «homme de pensée», mais d'action : il sait créer la foi, flatter les désirs et les passions de ceux qui l'écoutent. Il est comparable au démagogue.
Les meneurs ont trois moyens d'action et de persuasion : l'affirmation, la répétition et la contagion.
L'affirmation est une proposition simple, imagée, énergique. Pour être la plus efficace possible, l'affirmation doit être dégagée de tout raisonnement et de toute preuve. Plus l'affirmation est concise, plus elle est dépourvue de toute apparence de preuves et de démonstration, plus elle a d'autorité. Pour être efficace, l'affirmation doit être répétée de nombreuses fois. Peu à peu, elle finit par être acceptée comme une vérité. Ceci suppose, enfin, que la croyance, c'est-à-dire autant l'idée que la façon dont on la considère, soit partagée.
Pour les différents types de foules, Freud distingue celles avec ou sans meneur et le lien libidinal (affectif) vertical vis-à-vis du chef et horizontal avec les «frères», les autres membres de la foule. «Les foules ne connaissant que les sentiments simples et extrêmes ; les opinions, idées et croyances qui leur sont suggérées sont acceptées ou rejetées par elles en bloc et considérées comme des vérités absolues ou des erreurs non moins absolues. Il en est toujours ainsi des croyances déterminées par voie de suggestion, au lieu d'avoir été engendrées par voie de raisonnement... N'ayant aucun doute sur ce qui est vérité ou erreur, et ayant d'autre part la notion claire de sa force, la foule est aussi autoritaire qu'intolérante. L'individu peut supporter la contradiction et la discussion, la foule ne les supporte jamais», écrit Gustave Le Bon.
Le Bon se méfie aussi de la tyrannie que des foules puissantes peuvent engendrer plus tard. Ainsi, non seulement de telles passions sont très susceptibles de mener à des actes violents, mais de plus les foules se lassent elles-mêmes de leurs propres débordements. Elles se dirigent alors vers la «servitude», qui leur fournit un certain repos après la toute-puissance d'une passion très forte
Le Bon explique ainsi les raisons qui ont fait que dans l'histoire de la France, certains jacobins, durs et cruels sous la terreur (après la Révolution), aient accepté si facilement d'obéir à Napoléon 1er alors même qu'ils envoyaient à l'échafaud toute opposition à leur régime quelques années plus tèt. Que reste-t-il au mythe de «la foule qui a toujours raison» '


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