Algérie

Scénario pour film arabe


Pendant que se tient le festival arabe du cinéma ou plutôt du cinéma arabe dans les hôtels huppés d'Oran, les Oranais continuent leur train-train quotidien aux alentours de rues sombres, d'immeubles crasseux et de chaussées trouées d'averses hivernales.

Entre-temps, les discours sur la refonte de ceci ou de cela continuent de transformer cette oralité héréditaire et immatériellement maladive en images déplorables de services publiquement dépassés. Sujet: une annexe de l'APC. Peu importe laquelle, elles se ressemblent toutes comme une reproduction à l'identique de bâtiments, de gestes, de foule. A Oran, on a tenu depuis déjà longtemps à décorer les entrées des annexes de deux lions chacune, dont on doit imaginer qu'ils sont en bronze et asexués, ce qui reste à vérifier. Cette tradition du lion oranais qui commence à devenir douteuse, date en fait de la colonisation et de l'époque des grands maires qu'a connus la ville. Il est vrai que le nom de Wahran ferait référence à quelques lions tartaranesques dont il ne reste que quelques légendes mal habillées d'une langue que personne ne parle plus, depuis l'arrivée de nos amis les Turcs et de leurs moustaches portées jusque dans leurs noms. Mais les lions en bronze de l'hôtel de ville (c'est le nom colonial du siège de l'actuelle APC) sont datables et bien en bronze. Il leur arrivait même de «cracher» de l'eau jusqu'aux premières années de l'indépendance. Les toutes premières.

Cet héritage colonial de la représentation du lion oranais se retrouve devant les annexes de l'administration communale à laquelle nous, pauvres citoyens, demandons qu'elle nous délivre des pièces administratives, pour extraire notre naissance ou notre situation familiale aux archives de la ville dans laquelle nous avons choisi ou pas d'y vivre. Entrons. La foule, nombreuse à solliciter les services communaux ne fait qu'obéir à l'obligation de répondre à la constitution de dossiers qui finissent par se perdre et qu'il s'agit en un supplice de Sisyphe de reconstituer. A chaque fois. Le décor intérieur semble avoir adopté un concept unique et généralisé qui consiste à placer de la menuiserie aluminium pour former des guichets qui n'auraient rien perdu en restant ouverts ne serait-ce que pour la circulation de l'air que bloquent des vitres tellement épaisses que même le son ne traverse pas.

Entre le comptoir et les vitres un petit espace permet aux préposées de communiquer avec le public en l'obligeant à se plier en deux pour exprimer sa demande. Une façon de faire sentir le pouvoir communal à la foule qui sue en deux chaînes, l'une pour les femmes et l'autre pour les hommes. Une séparation dont on ne sait trop quel en est le sens si l'on n'a pas vécu une période qui a failli faire porter à tout le monde un kamis ou un djilbab selon le sexe de chacun. Les préposées, elles, remplissent des papiers manuellement en continuant à commenter le dénouement du dernier feuilleton brésilien de qualité égyptienne en ignorant qu'Alejandro n'est qu'une image de tube cathodique, pour nourrir leur espoir pendant que les années passent et que le piège du célibat risque de se refermer sur elles définitivement. Ignorant qu'aucun Alejandro ne viendra demander un papier dans une annexe de l'APC d'Oran. L'inconvénient c'est que par acte manqué nous, pauvres citoyens et victimes involontaires de tous les Alejandro, risquons de repartir avec des pièces administratives pleines d'erreurs et qu'il faudra revenir faire la chaîne pour en retirer de nouvelles. Une fois remplies, les pièces doivent être signées par une personne à l'écart du groupe des préposées aux écritures erronées, probablement un chef ou une cheftaine selon le cas. D'ailleurs cette personne a pour seule fonction l'apposition d'une signature sur les documents remplis. Une véritable machine ergonomiquement préparée à lever les yeux de temps à autre sur un planton qui dépose du papier sur le bureau et qui attend de le reprendre signé pour le remettre aux intéressés censés reconnaître leurs documents à travers vitre.

Dans le hall, il fait chaud et le bruit de la foule se fait de plus en plus épais. Des regards s'échangent, des mous dubitatives trahissent les visages de ceux qui n'ont rien compris au système et les sièges sont insuffisants pour contenir la patience de tous. Mais comme disait Fernandel: «Si les trains étaient à l'heure, les gares seraient moins grandes». Et comme pour mieux marteler un retard de train qui ne semble s'expliquer que par l'intérêt porté à la seule menuiserie aluminium, les chefs ne sont pas visibles pour deux raisons. D'abord parce que leurs bureaux sont à l'étage, inaccessible par la grâce d'une personne constituée ergonomiquement pour ne laisser passer que ceux que les chefs veulent bien recevoir et qui n'accorde à toutes les questions qu'une seule réponse. Ensuite, ils ont oublié les missions pour lesquelles ils se sont élus. Et puisque nous n'avons su substituer au lion colonial un autre symbole comme par exemple une tortue d'eau douce, il est inexplicable de continuer à régresser alors que le temps de l'informatique a traversé deux siècles en nous laissant dans le premier. Le cinéma des arabes à Oran nous aura au moins permis de rédiger le synopsis de l'administration la plus proche de nous. Scénario complet suivra.




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