Dans un entretien qu’il a accordé à El Watan et à El Khabar, le PDG de l’anep, Larbi Ounoughi, a fait des révélations fracassantes et donné des chiffres hallucinants sur la gestion passée et scandaleuse de l’Agence nationale d’édition et de publicité.
Sans mâcher ses mots, direct et incisif, l’ancien directeur de publication du journal Ennasr à Constantine le dit sans ambages : «L’ANEP a fait l’objet de monopole par des groupes d’influence au pouvoir qui ont fait main basse sur l’ANEP». «Les services de l’ANEP étaient tellement dans une anarchie indescriptible qu’il est difficile de savoir ce qui s’y est passé.»
On n’imaginait pas que la gabegie, la déliquescence, l’anarchie pouvaient atteindre de telles proportions. La forteresse infranchissable, gardée par une impénétrable muraille depuis des décades, l’Agence nationale de l’édition et de la publicité (ANEP) cachait, on le devinait un peu, l’innommable, la prévarication, la prédation et le vice.
L’ANEP résume à elle seule le mal du pays. Lorsque son nouveau président directeur général, Larbi Ouanoughi, nous en a ouvert les portes, on a découvert un champ de ruines.
Une véritable dévastation. «Quand on a analysé la situation, on a trouvé que l’ANEP pouvait être tout sauf une entreprise», a annoncé d’emblée le nouveau patron de l’agence. «Cela ne veut pas dire, défend-il, qu’elle ne recèle pas de compétences jeunes ; elles étaient marginalisées.»
«C’est la gestion politique qui l’a mise dans cet état, elle ressemble beaucoup plus à une association caritative qu’à une entreprise économique et commerciale soumise aux règles et aux normes du marché», affirme Larbi Ouanoughi qui est vite allé dans le vif du sujet aussitôt qu’on a lancé la discussion avec lui.
Sans mâcher ses mots, direct et incisif, l’ancien directeur de publication du journal Ennasr à Constantine le dit sans ambages :
«L’ANEP a fait l’objet de monopole par des groupes d’influence au pouvoir qui ont fait main basse sur l’ANEP. Ils en ont fait ce qu’ils voulaient.» «Nous avons hérité d’une situation catastrophique avec de profonds dysfonctionnements de gestion. L’ANEP est un géant aux pieds d’argile», avoue Larbi Ouanoughi en annonçant au passage une très mauvaise nouvelle : «Les caisses de l’ANEP sont vides». Pourquoi ? «Le cumul de la mauvaise gestion a fait que l’argent de l’agence n’est pas dans ses caisses, il est à l’extérieur», explique notre interlocuteur qui est également conseiller du ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Amar Belhimer.
Il révèle que les créances de l’ANEP s’élèvent à plus de 4300 milliards de centimes. «Il est regrettable, dit-il, qu’une aussi florissante entreprise ne soit pas dans une dynamique de croissance». «La plupart des responsables qui ont défilé à la tête de l’ANEP n’ont travaillé que pour leur compte, leur clique et ceux qui les ont placés. C’est clair, net et précis», peste Larbi Ouanoughi qui est clairement engagé à donner un véritable coup de pied dans la fourmilière.
Selon lui, c’est la pandémie de la Covid-19 qui a retardé un peu son plan d’action. Bien décidé à aller jusqu’au bout des choses «quoi que cela puisse lui en coûter», le patron de l’ANEP affirme avoir quatre appuis : «La volonté, la protection de Dieu, un conseil d’administration très fort et le soutien indéfectible du président de la République qu’il lui avait demandé à sa nomination de faire vite et bien et sans arbitraire».
«C’est incroyable ce qui s’est passé à l’ANEP», lance son PDG qui parle d’«une transgression grave des lois, d’un recrutement qui n’obéit à aucun critère de compétence et de rendement». «Le résultat est là», souligne Larbi Ouanoughi qui compare l’ANEP à «une casemate».
«Les services de la gendarmerie et l’IGF enquêtent»
Selon lui, «plusieurs services enquêtent depuis plus deux mois sur les malversations qui s’y sont déroulées : les services de la Gendarmerie nationale et l’Inspection générale des finances». «Nous, de notre côté, indique-t-il, on a mis en place une commission d’enquête, un audit interne mené par des enfants de l’entreprise appuyés par des experts extérieurs».
Les premiers éléments et les premiers résultats sont effarants et effrayants. Les services de la gendarmerie de Bab J’did ont commencé à convoquer les cadres qui sont impliqués directement.
«Les services de la gendarmerie m’ont surpris par leur connaissance du dossier et les informations qui sont en leur possession. Ce qui veut dire que même au temps de l’anarchie ils n’ont jamais cessé de travailler et gardaient les dossiers». En effet, «la crise de l’ANEP est multiple», explique M. Ouanoughi. «Commençons par l’affaire des créances», dit-il.
Selon lui, l’agence a des créances qui s’élèvent à 4300 milliards de centimes, plus ou moins recouvrables. «Depuis ma nomination, dit-il, j’ai constitué quatre groupes de travail de recouvrement, à l’Est, à l’ouest, au Centre et au sud».
Le président directeur général de l’ANEP souligne que dans un premier temps, l’objectif est d’abord de faire un rapprochement entre les services de l’agence et les clients. «Près de 5000 autres milliards sont définitivement perdus parce que ce sont des créances anciennes», ajoute Larbi Ouanoughi qui affirme que celles-ci remontent à la fin des années 90.
Elles sont, affirme-t-il, irrécouvrables pour avoir dépassé les délais de prescription. Elles ont, selon lui, plus de 15 ans d’âge. «La régie publicitaire et recouvrement n’a pas fait son travail, autant dire qu’elle n’a pas du tout fonctionné», indique notre interlocuteur.
Pourquoi n’a-t-on pas relancé les créances en les maintenant en vie par un simple envoi d’une demande de recouvrement ? S’agit-il juste le fait d’une mauvaise gestion, d’un manque de suivi ou tout simplement d’une malversation ? «Des indices penchent vers la dernière probabilité. On n’a pas trouvé la trace des bons de commande qui ont disparu», affirme le premier responsable de l’ANEP, selon lequel les premiers éléments des enquêtes démontrent que «les documents en question ont été sciemment et volontairement détruits».
«Ce sont des agissements graves», estime-t-il. C’est pour cette raison qu’on a installé une commission d’audit pour remonter toute cette histoire de bons de commande», indique Larbi Ouanoughi selon lequel «il se peut même que le recouvrement ait été fait sans qu’on ne le sache».
«L’ANEP fonctionnait au téléphone»
«Les services de l’ANEP étaient tellement dans une anarchie indescriptible qu’il est difficile de savoir ce qui s’est passé avec ces créances», soutient M. Ouanoughi qui tranche : «L’ANEP fonctionnait au téléphone». «On est en train de chercher. On ne sait pas qui est qui ou qui a fait quoi ?» s’interroge-t-il. «Beaucoup de ses cadres ont payé le prix de leur refus de cautionner la corruption», affirme le nouveau PDG de l’ANEP qui dresse un état peu glorieux de la gestion de ses prédécesseurs.
Ayant la ferme conviction que «toute cette anarchie a été prémédité», Larbi Ouanoughi nourrit des doutes sur la possibilité de recouvrer la totalité des créances. Mais s’il a tiré un trait sur les 4000 à 5000 autres milliards de centimes tombés sous le coup de la prescription, il espère néanmoins récupérer une partie des créances les plus récentes.
«On a ramené un bureau d’études qui va les identifier, les classer par tranches d’âge, par montant et par secteur», a-t-il affirmé. 50 à 60% concernent le secteur public, les collectivités locales, les directions exécutives. «D’ailleurs, j’ai eu une rencontre au ministère de l’Intérieur mercredi dernier et on leur a présenté le dossier des créances de l’ANEP», déclare le PDG de l’ANEP qui pense avoir trouvé de l’écoute du côté du ministère de l’Intérieur et des collectivités locales.
«Des instructions seront données pour récupérer les créances qu’il est toujours possible de recouvrer», souligne Larbi Ouanoughi qui cite aussi les secteurs de la santé, des travaux publics et des transports ainsi que celui de l’habitat à travers les OPGI et les DUCH : «Je ne pense pas que ce soient eux les mauvais payeurs, le problème, c’est l’ANEP qui n’a pas fait de démarches pour récupérer ses créances».
Comment l’ANEP assurait-elle l’équilibre de ses finances ?
«Il y avait beaucoup d’argent durant les années de pillage», lâche Larbi Ouanoughi selon lequel «même les cadres n’ont pas bénéficié de cette aisance». «Des responsables n’avaient pas de primes de responsables, et tout ce qui se faisait obéissait à la logique de l’allégeance aux directeurs, aux ministres et autres», peste le PDG de l’ANEP qui révèle qu’en arrivant, il a découvert que plus de 40 journaux sortaient sous des prête-noms.
Leurs propriétaires n’ont aucune relation avec la presse. Pourtant, la loi est claire en définissant qui a le droit de créer un journal et qui ne l’a pas, dit-il. L’ANEP est devenue, par les jeux d’influences, d’allégeances, de cupidité, de prédation, une vache à traire.
Les conflits d’intérêts et la villa d’El Biar
La manière dont a été gérée l’ANEP lui a engendré d’énormes pertes au niveau de ses filiales qui ont contracté des marchés avec Le Métro d’Alger, Condor et Iris, indique son le PDG qui évoque encore le problème récurrent de l’absence de bons commande pour les prestations accomplies.
Ce dossier fait aussi l’objet d’une enquête menée par les services de la gendarmerie. Pour Larbi Ouanoughi, l’Agence était une niche de la corruption et de la gabegie. Les dossiers son lourds, lâche-t-il, en soulignant que d’anciens directeurs ont pris des décisions impensables.
Le symbole de cette gabegie, indique-t-il encore, est la villa louée par l’ANEP à El Biar pour 30 millions de centimes par mois pendant deux ans, sans qu’on n’en connaisse le bénéficiaire.
Pour se défendre, les anciens responsables disent tous qu’ils ont reçu des instructions. «De qui ? De Saïd Bouteflika, le frère cadet de l’ex-Président ? Du ministre de la Communication ?
D’Ali Haddad ? Je ne sais pas, mais ce qui est sûr, c’est que tout ce beau monde gérait l’ANEP», soutient Larbi Ouanoughi, révélant que l’ancien ministre de la Communication, Djamel Kaouane, figure dans le registre de commerce du groupe 'Le Temps' de Ali Haddad.
«Le conflit d’intérêts est flagrant», estime le PDG de l’ANEP. Selon lui, le ministre en question était en même temps dans la fonction publique et dans une entreprise économique privée.
Même la fameuse villa d’El Biar, c’était en son temps, précise Larbi Ouanoughi qui souligne que «les cadres de l’ANEP sont des victimes».
Il y en a eu, révèle-t-il, ceux qui étaient nommés avec effet rétroactif. Notre interlocuteur parle également d’un autre cas de conflit d’intérêts.
Il s’agit de l’ancien DG de l’ANEP, Amine Ichikr, dont l’épouse est propriétaire du journal Reporter qui a bénéficié entre 2016 et 2019 d’une manne publicitaire de 54 milliards de centimes.
Chiffres clés :
- L’ANEP a eu à gérer un portefeuille de plus
de 15 000 milliards de centimes ces 20 dernières
années.
- Près de 5000 milliards de centimes de
créances perdues
- 347 agréments ont été attribués depuis 2012
- 107 titres ont cessé de paraître
- 40 titres appartiennent à des prête-noms
- Plus de 4000 milliards de centimes distribués sur la presse écrite depuis 2016
- Ennahar (journal) 120 milliards de centimes
entre 2012 et 2015 et 115 milliards de centimes, entre 2016 et 2019 (235 milliards de centimes).
- Le journal El Bilad, 40 milliards de centimes
entre 2016 et 2019.
- El Balagh, 30 milliards de centimes.
- La Dépêche de Kabylie, 23 milliards de
centimes.
- Reporter, 54 milliards de centimes.
- Le journal El Hayet, 12 milliards de centimes.
- La Tribune des lecteurs : plus de 28 milliards
de centimes entre 2016 et 2019 et 31 milliards
entre 2012 et 2015.
- Manbar El koraa près de 32 milliards entre 2016 et 2019, 19 milliards de centimes entre 2012 et 2015 (110 milliards de centimes).
- El Adjouaa, 6 milliards de centimes.
- Le Jour d’Algérie, près de 46 milliards de
centimes entre 2016 et 2019 et 46 milliards
entre 2102 et 2015, et Les débats, 43 milliards de centimes entre 2016 et 2019.
- La Tribune qui a cessé de paraître en 2017, 56 milliards entre 2012 et 2015.
- La Nouvelle République a reçu 43 milliards de centimes en publicité entre 2012 et 2015.
- Le journal Echourouk a bénéfi cié d’une manne publicitaire de 140 milliards de centimes entre 2012 et 2015 et plus de 39 milliards entre 2016 et 2019.
- El Khabar, près de 35 milliards de centimes
entre 2016 et 2019 (173 milliards de centimes).
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 06/08/2020
Posté par : patrimoinealgerie
Ecrit par : Saïd Rabia
Source : El Watan