Sa voix est connue des auditeurs de la radio kabyle. Son trait de dessinateur l'est beaucoup moins. «J'avais le don du dessin», reconnaît Saïd Zanoun, en ajustant la casquette qui couvre le haut de son crâne. La voix chevrotante, le regard perçant et le geste alerte, Zanoun garde la ferveur de ses vingt ans.Natif du quartier La Redoute (Alger) en 1934, ce fils d'instituteur originaire des Ouadhias (Tizi Ouzou) suivra une scolarité normale, comme une partie des petits Blancs de l'Algérie coloniale. Mais la Seconde Guerre mondiale et le débarquement des Alliés l'a contraint à abandonner l'école et à rejoindre le lumpenprolétariat des villes coloniales. Il deviendra coursier dans une officine à l'ex-rue Burdeau (Frères Khalfi). «Le frère du patron de la pharmacie de l'ex-rue Burdeau connaissait le fils du rabbin, Bertrand Friedman.Devenu un bon copain à moi et connaissant mon don, Bertrand m'a conseillé d'entrer aux Beaux-Arts. Ma réponse était que je n'avais pas d'argent. Bernard m'a alors apporté le bon d'entrée aux Beaux-Arts d'Alger (1951)», raconte Zanoun, qui suivra les trois mois de stage de la fin de l'année 1951.A l'école, située dans des locaux de l'actuelle rampe Ben Boulaïd à Alger-Centre, l'aspirant-peintre s'est retrouvé avec d'autres apprenants plus âgés, parmi eux le directeur général du Crédit Lyonnais, en retraite. Son enseignant, Nicolaï, homme rugueux et de petite taille, a commencé par repousser son indigène d'élève avant de finir par reconnaître ses talents. «T'as apporté ton matériel, du fusain, du papier bristol ', m'a interpellé le maître placé devant ses élèves assis en demi-cercle. Je n'en avais pas.Avec le matériel qu'on m'a donné, j'ai commencé par faire sans trop me forcer un premier dessin réussi. Nicolaï m'a alors donné à représenter l'écrivain Jules Verne. En un quart de tour, j'ai dessiné au fusain le modèle avec sa barbe et ses cheveux fournis. J'ai même aidé le vieux directeur du Crédit Lyonnais, qui n'allait pas au bout de son travail, après trois jours, rendant furieux le maître», se rappelle tout sourire Zanoun. Connaissant ses dons, Alphonse, le patron d'un salon de coiffure de l'ex-rue Burdeau, commanda au coursier de l'officine voisine le dessin d'une femme à mettre en vitrine.Le jeune coursier s'exécuta de bonne grâce. Et rendra la commande. Son modèle : la pin-up Veronica Lake. «J'ai dessiné le portrait de l'actrice Veronica Lake. Et tellement le dessin a plu, le patron l'a mis en vitrine.» Il se trouve que le directeur du quotidien L'Echo d'Alger était un client du salon. Il a demandé à voir le dessinateur qui s'est présenté à la rédaction du journal de la gauche radicale d'Alain de Sérigny, devenu ami des ultras durant la guerre.La chance du coursierLorsque le patron a su que j'étais algérien, il m'a demandé de laisser mes coordonnées. «On vous fera signe», tranchera-t-il. Je suis revenu voir le patron du salon, M. Alphone, qui m'a dit de m'adresser à Dimanche Matin qui dépendait de L'Echo d'Alger. On m'a, là aussi, servi la même réponse. Quelques jours après ces déboires, le jeune coiffeur, qui était un ami, m'a dit que ces gens-là sont racistes et qu'ils ne voulaient pas m'engager parce que j'étais un Arabe.Pour la grande chance du jeune coursier, le patron d'un autre titre algérois, le Dimanche Magazine, était également un habitué des lieux. Informé par le gérant du salon de ses déboires, Pierre Jakarez, responsable de l'hebdomadaire qui dépendait du grand concurrent de L'Echo, La Dépêche quotidienne, lui demanda de venir à la rue Monge (actuellement sergent Abdoun) où sont installés les locaux du journal. «Au premier étage où je me présente, je trouve Pierre, qui me met immédiatement à l'essai.Je serai immédiatement pris par l'hebdomadaire où je connaîtrai des dessinateurs, à l'instar d'Albert Adret, Jean-Jacques, Edmonde Tadié, dont je serai très proche. Je deviendrai rapidement le chouchou du journal», sourit Zanoune, qui explique son début dans le métier de dessinateur par «la concurrence et à la jalousie» entre les patrons de presse. Commence alors pour le jeune Saz -devenues ses initiales- une carrière où il sera sollicité, il croquera l'actualité durant les années 1952-53. «La rédaction en chef mettait en valeur mes dessins. J'avais le bon coup de crayon», s'enorgueillit le dessinateur.La collaboration avec La Dépêche n'a pas duré longtemps, puisque Zanoune suivra son recruteur dans un nouveau périodique, Fantazia, dont les locaux de l'hebdomadaire étaient à la rue Marey Belcourt. Pierre Jakarez ne s'est pas entendu avec le patron du quotidien financé d'abord par le gros colon Henri Borgeaud, avant de devenir la propriété de l'armateur Laurent Schiaffino. «Pierre m'a demandé si je voulais venir avec lui. Je lui ai dit que je le suis puisque c'est lui qui m'a recruté».A cette période, le dessinateur croquera le personnage populaire de Djeha. «J'étais le premier à le faire. Je m'inspirais des contes du terroir. J'étais aussi le premier à croquer des personnages avec l'habillement algérien», rappelle-t-il une lueur dans les yeux, en appuyant de son indexe sur des dessins. Une volonté à toute épreuve permettra à Saz d'assimiler vite les techniques du métier, l'encrage du dessin, le cadrage, la mise en page de la planche? La collaboration inédite d'un Algérien dans la presse colonialiste ne dura pas.Djeha dans un canard colonialLe dessinateur finira par délaisser le crayonnage pour rejoindre la radio kabyle, après une rencontre fortuite avec Ourida, chanteuse et femme de radio, connue à cette époque. Originaire comme lui du quartier de la Redoute (El Mouradia), l'épouse de Haroun Rachid le convaincra de rejoindre l'équipe des Elak (émissions en langue arabe et kabyle) pour y faire carrière. «Ourida m'a présenté à Saïd Rezzoug, à qui j'ai montré mes plaquettes publiées. Saïd avait une émission, Sahra n'dourt (La revue du dimanche).J'avais pour mission de traduire en kabyle les articles, ce que je faisais dans le journal et de les adapter pour la radio tous les dimanches. Ma surprise était immense en entendant mon nom dans des pièces jouées par Nabti Rezki, Ali Abdoun, cheikh Nouredine, Ouarab Hocine, Larbi Zekkal, des acteurs dont la réputation était déjà assise», raconte Zanoun. A partir de cette époque, le dessinateur, plus habitué à tracer au tire-ligne ses vignettes, se mua en scénariste, et créa rapidement le policier algérien.Empruntant leurs techniques aux auteurs des polars, et n'ayant rien à envier aux Simenon et autres Hitchcock, Zanoun aura lui aussi son commissaire : Amar Saïd, et plus tard, Vururu (hibou). «J'ai créé le genre policier. J'ai toujours lu beaucoup de littérature noire. J'ai créé ce nom du commissaire Amar Saïd, à partir du nom de mon père et celui de mon oncle décédé.» Le jeune scénariste sortira des sentiers battus en renouvelant les sujets proposés aux éditeurs de la chaîne kabyle. «On parlait inlassablement du mariage, de la bru, ou même de l'amour immodéré pour le poulet.On nous a mis dans une boîte de chique, alors qu'on sait que tous les Algériens, particulièrement les Kabyles, sont des voyageurs au long cours. Donc, il fallait sortir des cadres convenus et innover. Le policier nous y aide», estime Zanoun. A l'indépendance, l'auteur créera l'opérette El Djoundi El Djazaïri, diffusée en arabe et en kabyle «avant même la nationalisation de la RTA». Qu'en est-il du dessin ' Décidant du lancement de la première revue de bande dessinée, M'Quidech, Abderrahmane Madoui (1925-2013), éditeur à la Sned, a contacté le scénariste.Mais l'entente ne s'est pas faite et Saz ne rejoindra pas les grands précurseurs, Maz (actuel dessinateur d'El Watan), Slim, Aïder et Aram qui lanceront en février 1969 la première revue de BD algérienne. Raison : les salaires offerts aux collaborateurs. «Une planche de 9 dessins était à 90 DA, une autre colorée à 120 DA. Pour faire des dessins, il faut trouver l'idée, croquer les personnages, utiliser l'encre de chine, le sécher et mettre des textes dans les phylactères (bulle). La revue sort une fois par mois. J'avais refusé.J'ai préféré rester à la Radio», explique Zanoun. Le succès de l'enfant de la Redoute s'installe durant de longues années parmi des générations d'auditeurs. L'ancienne ministre de la Culture, Khalida Toumi, a décidé de «donner la doyenneté» lors d'une édition du Festival de la bande dessinée (Fibda) en 2009. Le Haut-Commissariat à l'amazighité (HCA) s'est occupé de la publication de ses pièces. Zanoun ne veut pas en rester là. Il écrit ses mémoires?
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Posté Le : 12/01/2017
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Nadir Iddir
Source : www.elwatan.com