« Mon cher fils,
tu es sur le point de terminer l'université (...). C'est pour cela que je te
parle avec amertume, pensant à l'avenir qui t'attend. Ce pays, ton pays, n'est
plus un endroit où il est possible de vivre avec fierté (...). Dans ce pays, si
tout va bien, tu commenceras par gagner un dixième du salaire de n'importe quel
porte-serviettes, le centième de ce que gagne une starlette de la télévision.
Pars. Prends le chemin de l'étranger, choisis d'aller là où la loyauté, le
respect et la reconnaissance du mérite et des résultats ont encore de la
valeur. ».
AU SECOURS PAPA !
Ces mots,
troublants, désespérants et pleins d'angoisses, émanent-ils d'un père à son
fils, ressortissants d'un pays du tiers-monde, lui prônant de fuir le pays en
proie à de continuelles difficultés d'un pays sous-développé ? Non.
Ce message est-il adressé par un ascendant à
son rejeton, habitants une de nos localités Algériennes ? Exceptionnellement
cette fois-ci: que Non !
Eh bien ce sont là, quelques passages de la
lettre qu'a écrite Pier Luigi Celli, directeur général de la LUISS (une grande
université privée de Rome spécialisée des études sociales) et néanmoins
ex-directeur de la RAI (télévision publique italienne) à son fils qui vient
juste de terminer ses études supérieures dans le pays. Cette lettre ouverte,
dont le titre est «Mon fils, quittes ce pays ! », a suscité un véritable cri de
détresse au sein de la communauté scientifique. Elle a été publiée le 30
Novembre dernier dans les colonnes du célèbre quotidien romain « la Repubblica
» très connu des initiés du pays transalpin. Une sensation de taille venant de
la cité romaine, nous surprend à plus d'un titre surtout émanant de l'un des
principaux leaders de la zone Euro en compagnie de l'Allemagne et la France.
UN PAYS QUI NE S'OCCUPE
PAS DE SES JEUNES EST UN PAYS EN DÉCLIN
Contacté par le
correspond à Rome du journal parisien « Le Monde», M. Celli explique qu'
«Aujourd'hui, en Italie, en raison de la crise, une génération entière de
jeunes diplômés va être sacrifiée. Un pays qui ne s'occupe pas de ses jeunes
est un pays en déclin. Les recommandations, les combines, les pistons sont un
folklore dont nous devons nous débarrasser.». Et vlan ! Des mots crus, qui nous
sont familiers, sont lancés en pleine figure dans la cité romaine. Cet ancien
dirigeant de grandes entreprises fait son mea culpa, signe d'une profonde
déception, en reconnaissant lui-même sa part de responsabilité en tant que
directeur de son université grandie sous l'aile de la « Confindustria »,
l'équivalent italien du Medef (Mouvement des entreprises de France). «Une
personne seule ne peut pas tout changer.», ajoute-t-il l'air impuissant.
Par ailleurs, cette missive a suscité une
quantité non négligeable de commentaires en ligne sur le site du journal de la
capitale italienne provenant d'intervenants dont la plupart approuvaient la
démarche de M. Celli en arguant, au passage, la faute au « système ». Encore,
un langage qui nous est particulier.
C'est donc un appel à une « Harga » typique à
l'italienne mais sans visa. Pas un aller sans détour en larguant les papiers à
la mer mais un aller avec un possible retour au bercail. Une nouvelle fois, on
se croirait dans les pays sudistes. Il n'y a que la façon qui diffère.
QUAND LA DEMANDE DÉPASSE
L'OFFRE ET VICE-VERSA
C'est incroyable
mais vrai. Le pays de Galilée, Fermi et Léonard de Vinci, l'un des plus grands
industrialisés du monde, qui contribue avec un taux à hauteur de 4% du PIB
mondial et membre du Groupe des 8 (G-8), est esquivé par ses diplômés comme
dans une région tiers-mondiste !
Comparativement à notre pays, l'Italie est
saturée de chercheurs mais dont la moyenne d'âge dépasse le seuil requis. La
sénilité ronge le pays. C'est donc un problème de renouvellement de générations
qui se pose de manière accrue. La production élevée de chercheurs de haut
niveau y est aussi pour quelque chose.
Si l'Italie avait besoin de chercheurs autant
que l'Algérie, il y a longtemps qu'elle aurait changé de cap et de politique.
Dans la péninsule italienne, il semble que c'est la demande qui dépasse
l'offre. Cette situation peut expliquer les bas salaires proposés en début de carrière
pour les jeunes chercheurs. Tandis qu'en Algérie, non seulement, l'offre existe
mais avec des salaires et des conditions dérisoires très en deçà de ceux
offerts en Europe ou en Amérique du nord. Les deux cas mènent au même effet
mais les causes sont complètement distinctes. L'Italie se retrouve avec un
plein de vieux chercheurs chevronnés, le notre est à sec avec un manque
flagrant de chercheurs de qualité.
DÉPENSER SANS COMPTER
ET CUEILLIR SANS LIMITE
Le peu
d'enseignants chercheurs algériens qui sont restés au pays font de la recherche
sans aucune âme à cause des innombrables problèmes socioprofessionnels. L'état
va doubler le budget de la recherche pour le prochain plan quinquennal
(2010-2014) par rapport à l'enveloppe financière allouée au programme 2005-2009
comme le souligne le chef de l'état lors de l'ouverture de la présente année
universitaire. Il est à craindre que cet argent frais va être encore une fois
jeté par les fenêtres, car les acteurs que sont les enseignants chercheurs sont
sous évalués, non seulement par rapport à leurs collègues du nord mais
relativement à leurs voisins immédiats marocains et tunisiens.
Si les joueurs, l'encadrement technique et
administratif de l'équipe nationale de football n'avaient pas été récompensés à
leur juste valeur à coup de milliards en plus des moyens de Pros mis à leur
disposition, jamais nous aurions rêvé atteindre les résultats escomptés. Il
faut se poser des questions sur les différences astronomiques entre les
indemnités d'un médecin de l'équipe nationale et celles de son pauvre confrère
de la santé publique exerçant dans un coin reculé du pays sans aucun avantage
particulier et dans les conditions les plus pénibles. L'état a dépensé sans
compter pour l'équipe nationale et il a récolté de beaux fruits mûrs en
abondance et sans les peser. Un gracieux investissement mène toujours à de
grosses perspectives.
LE COPIER-COLLER TECHNOLOGIQUE
Chaque année,
comme le rapporte le journal le monde dans la même édition, selon l'italien
Sergio Nava auteur d'un livre sur la question et intitulé: « La fuite des
talents », ce sont 110 000 (Cent dix milles !) diplômés d'université qui
quittent chaque année l'Italie. Un milliard d'euros est ainsi dépensé par an
pour la formation des exilés scientifiques.
Chez nous, aucun chiffre officiel n'est
avancé sur la question de ce qu'on appelle impudiquement la fuite des cerveaux.
En Italie, le diagnostic est sanglant pour ce phénomène qui est qualifié de
véritable exode dont les causes nous rappellent celles de notre pays: bas
salaires, gérontocratie, hiérarchies immobiles, faible mobilité sociale,
système universitaire souvent gangrené par les passe-droits, etc...
Plus grave et inquiétant, c'est lorsque le
piston bat son plein chez nos voisins nord- méditerranéens. En effet, une
enquête italienne de cette année révèle que la moitié des professeurs de la
faculté de médecine de l'université sicilienne de Messine ont un lien de
parenté avec le restant de leurs collègues. Une parfaite histoire de familles
qui possèdent désormais beaucoup de cousins par alliance en Algérie. Du
copié-collé technologique translaté avec une réussite admirable du Sud vers le
Nord.
UNE SEMENCE RÉCOLTÉE
AILLEURS
Toujours selon le
quotidien «Le Monde», le professeur Marc Lazar de Sciences Po de Paris et
spécialiste de l'Italie mentionne que» l'Italie est au bord d'un clash de
générations». «La frustration de la jeunesse est immense, explique-t-il, et ne
trouve aucun débouché. L'Italie a manqué son rendez-vous avec la société de la
connaissance alors que la France, l'Allemagne ou l'Angleterre en ont fait une
question centrale. Toutefois, des îlots d'excellence demeurent et malgré ces
défauts, ce système archaïque produit des talents extraordinaires qui, malheureusement,
vont s'exprimer ailleurs.».
A titre d'exemple, le CNRS (Centre National
de la Recherche Scientifique) Français a recruté, en 2007, 30 % de candidats
italiens. Une vraie aubaine pour la recherche de l'hexagone comme elle l'est
pour de nombreux compatriotes scientifiques. Ces enrôlements me rappellent le
discours du président de la République lors de cette fameuse cérémonie
d'ouverture du 12 Novembre dernier à Sétif. Il a annoncé, ce jour, devant un
parterre d'enseignants chercheurs médusés : «tout ce que nous semons, est
récolté par les autres.». Une phrase lourde de sens dont les conséquences ont
été et le sont toujours graves et menaçants pour l'avenir du pays. Une
véritable révolution s'impose pour mettre à l'abri d'abord le pays en conservant
ses meilleurs atouts scientifiques.
Pour garder sa place au sein de l'Europe et
de l'industrie mondiale, le gouvernement italien va présenter une réforme de
l'université, qui sera discutée en février 2010 au Sénat. Cette réforme tiendra
compte des critiques sur la fuite des compétences et sur le choix de
recrutement des jeunes chercheurs. Le projet de loi prévoit que les futurs
chercheurs» seront choisis selon des procédures publiques».
Juste après la lettre ouverte citée plus
haut, une quinzaine de jeunes diplômés transalpins, travaillant sous d'autres
cieux avec un attrayant salaire au départ, saisissaient, le 3 décembre dernier,
le vieux président de la république italienne, Giorgio Napolitano pour accuser
l'Italie d'être »le pays le plus immobile d'Europe». La réponse du président
est venue rapidement le 22 Décembre passé en écrivant aux révoltés : « Je
comprends vos raisons, Mais j'espère que dans un futur assez proche les
conditions seront réunies pour votre retour.».
C'EST POUR QUAND
LA FIN DE LA FUITE DES CERVEAUX ?
Quant à la
réalité de notre pays, je vous cite un passage du discours présidentiel dans la
capitale des hauts plateaux où le Président Abdelaziz Bouteflika annonçait
solennellement que: « L'Etat poursuivra son effort en matière de promotion de
l'enseignement supérieur et de développement des ressources humaines dans les
domaines de la recherche scientifique sans occulter la nécessité de réunir tous
les moyens indispensables à l'amélioration de la qualité et de l'encadrement,
et de créer un climat socioprofessionnel aux enseignants-chercheurs qui leur
permet d'accomplir leur mission dans de bonnes conditions. Il convient aussi
d'adopter des systèmes compensatoires plus attractifs et plus incitatifs dans
le but de renforcer les capacités scientifiques et techniques nationales et
d'éviter le phénomène de la fuite des cerveaux et des compétences.».
Les enseignants-chercheurs attendent avec une
grande impatience la traduction de ce discours politique et sa concrétisation
sur le terrain de la réalité. Est-ce que ce discours sera un prélude
annonciateur d'un régime indemnitaire conséquent et des conditions de travail
socioprofessionnelles attractives faisant bouger les « Einstein » Algériens de
l'ère 2010 ? Surtout après cette fameuse grille nationale des salaires,
décevante sur tous les plans et où l'échelle des valeurs n'a plus aucune
valeur.
Après que la
grille nationale des salaires ait été très décevante sur tous les plans et où
l'échelle des valeurs n'a aucune valeur. Il n'y a que le miracle de la matière
grise qui ne tarira jamais contrairement à la matière noire, symbole des
hydrocarbures, qui s'amenuise par malheur d'année en année. A quand le réveil
salutaire tant proclamé ? La balle est toujours dans le camp des pouvoirs
publics.
(*) Universitaire
et syndicaliste
du CNES.
Références :
-
http://www.repubblica.it/2009/11/sezioni/scuola_e_universita/servizi/celli-lettera/celli-lettera/celli-lettera.html
-
http://www.lemonde.fr/europe/article/2009/12/24/l-italie-voit-un-signe-de-declin-dans-l-expatriation-de-ses-jeunes-diplomes_1284583_3214.html#xtor=
RSS-3208
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 31/12/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohammed Beghdad*
Source : www.lequotidien-oran.com