Ils devaient discuter et mettre au point un plan de cohésion social dans une Amérique latine qui compterait plus de 200 millions de pauvres. Mais les 22 chefs d´Etat et de gouvernement réunis à Santiago, la capitale chilienne, entre le 8 et le 10 novembre, dans le cadre du XVIIème sommet ibéro-américain, eurent droit à l´étalage de dissensions bilatérales et au clivage idéologique naissant, ouvertement ou à mots couverts. Le différend opposant l´Argentine à l´Uruguay au sujet de la mise en marche d´une importante usine de pâte de cellulose ne put être évité. Mais le dérapage diplomatique le plus sérieux opposera la délégation d´Espagne à l´impétueux chef de l´Etat vénézuelien. Depuis 1991, l´Espagne contribue financièrement à la convocation du sommet ibéro-américain qui regroupe les anciennes colonies espagnoles d´Amérique latine, y compris deux pays des Caraïbes, Cuba et la République dominicaine, ainsi que le Brésil lusitophone. Sont également présents le Portugal et la Principauté d´Andorre. Présente culturellement bien entendu, l´Espagne n´a cessé d´accroître ses investissements dans une région aux grandes opportunités économiques avec un taux de croissance soutenu ces dernières années. Pour leur dix-septième sommet les chefs d´Etat et de gouvernement avaient choisi un thème qui ne pouvait qu´inviter au consensus. Il s´agissait, comme l´avait synthétisé la Présidente chilienne Michelle Bachelet, de définir un «pacte social» car «la pauvreté est la principale menace pour nos sociétés». Le Secrétaire général du sommet Enrique Iglesias, après avoir rappelé que «la pauvreté n´est pas une malédiction biblique», lança un appel en faveur de la promotion d´une croissance économique sans exclusion. Au nom de l´ONU Ban Ki Moon, invité à Santiago, affirma que «la cohésion sociale est un élément fonamental pour créer des sociétés stables, justes, sûres et tolérantes». La présence du monarque espagnol, Juan Carlos, a toujours donné un lustre particulier à ces rencontres au sommet où l´on apprécie particulièrement son ton modéré et son soutien aux propositions formulées par l´exécutif espagnol. Il rappela «la persistance d´inégalités poignantes et injustes», affirmant qu´il existe «un désir profond et partagé de mettre fin à l´inégalité et à l´exclusion». Faisant écho au message royal, le président du gouvernement espagnol Jose Luis Rodriguez Zapatero présenta une série de projets de coopération, notamment celui relatif à la création d´un fonds pour la provision d´eau potable auquel son pays contribuera pour un montant d´un milliard et demi de dollars. L´Espagne se propose de créer à Panama une base logistique destinée à l´aide humanitaire en cas de catastrophes naturelles, pensant notamment aux désastres saisonniers provoqués par les cyclones de la zone des caraïbes. Deux jours plua tard, Zapatero précisera lors d´un transit à Montevideo (Uruguay) que le programme espagnol de coopération et d´assistance sociale pour l´Amérique latine atteindra en 2008 le montant de deux milliards d´euros. «La politique sociale ne consomme pas la richesse... Elle aide à créer la richesse» dira Zapatero. «Quel sens ont nos vies quand celles de millions de citoyennes et de citoyens n´ont pas de sens...» ajoutera-t-il; «l´Espagne veut croître, mais pas seule, sinon accompagnée de toute l´Amérique latine». Bien entendu ce discours conciliant et présageant des bonnes dispositions de la principale puissance ibéro-américaine sera bien reçu à Santiago sans pour autant faire oublier des problèmes, voire des divergences locales à l´Amérique latine. C´est ainsi que l´Argentine et l´Uruguay ne purent épargner au sommet, notamment dans les couloirs, les échos de leur différend alimenté par la mise en fonctionnement dans la ville uruguayenne de Fray Bentos d´une usine de pâte de cellulose montée par la société finlandaise Botnia. Cette usine se trouve sur une rive frontalière du fleuve Uruguay à quelques encablures de la commune argentine de Gualeguaychu dont les habitants n´ont cessé ces deux dernières années de protester contre un tel voisinage porteur, affirment-ils, de pollution. Ni les techniciens finlandais ni les autorités uruguayennes ne réussirent à convaincre que cette usine utilise une technologie moderne compatible avec les exigences en matière d´environnement. Les parties en cause avaient demandé au Roi d´Espagne de «faciliter» les discussions conclues par un échec justement au moment du sommet de Santiago. Une autre préoccupation majeure est la tentative de débloquer la situation d´otages prisonniers des rebelles colombiens, les «forces armées révolutionnaires colombiennes», qui ont accepté de négocier leur sort par l´entremise du président vénézuelien Hugo Chavez. Cette sorte de médiation fut acceptée par le président colombien Alvaro Uribe. La présence parmi les nombreux otages d´une ex-candidate à l´élection présidencielle de Colombie, la Franco-colombienne Ingrid Betencourt, a donné une dimension internationale au problème. Jouissant de la confiance des rebelles, Hugo Chavez s´efforce ces jours-ci de rapprocher les exigences des uns et des autres, les FARC ne voulant relâcher certains de leurs otages qu´en contrepartie de la libération de 500 rebelles qui se trouvent entre les mains de forces armées régulières. Par-delà les problèmes ponctuels, une fissure semble se dessiner entre les tenants d´une gauche militante, au pouvoir en Bolivie, à Cuba, en Equateur, au Vénézuela, et ceux qui pratiquent la social-démocratie (centre-gauche) comme c´est le cas de l´Argentine, du Brésil, du Chili, de l´Uruguay. la Colombie et le Pérou ne cachent pas leur préférence libérale qui leur vaut les faveurs commerciales des Etats-Unis. Il est vrai que ces clivages politiques sont atténués par la volonté de l´Amérique latine de ne pas mettre en jeu les intérêts régionaux communs. Le sommet de Santiago vécut un dérapage dû à un excès verbal du Président vénézuelien qui fit perdre au Roi d´Espagne son sang froid et sa sérénité légendaires. Au cours de la séance de clôture, Hugo Chavez crut bon d´interrompre Zapatero en accusant le prédécesseur de celui-ci, Jose Maria Aznar, de «fasciste» pour avoir encouragé la tentative de coup d´état survenue en avril 2002 et dont fut victime Chavez. Alors que Zapatero réclamait au président vénézuelien du respect pour celui qui fut un chef de gouvernement élu par le peuple espagnol, le roi d´Espagne lança à l´adresse de Chavez :» por que no te callas!» (pourquoi tu ne te tais pas!), avant de quitter la salle de réunion. Mais le sommet eut droit à la Déclaration de Santiago qui prône un état fort capable d´accroître le niveau de la protection sociale, d´étendre l´éducation, de créer des emplois, d´améliorer le sort des plus pauvres, de moderniser les systèmes fiscaux en vue notamment de financer les réformes nécessaires pour combattre les inégalités.
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Posté Le : 15/11/2007
Posté par : sofiane
Ecrit par : Notre Correspondant à Buenos Aires : Mohammed Benamar
Source : www.lequotidien-oran.com