Algérie

Santé: En attendant une profonde réforme


Les assises nationales de la santé qui se tiennent depuis hier à Alger laissent septiques des spécialistes du secteur qui affirment «douter de leur aboutissement à un lancement effectif d'une profonde réforme, fondatrice de toute entreprise de modernisation».C'est le 1er ministre Aïmene Benabderrahmane qui a déclaré hier ces assises «ouvertes» au Centre international de conférences Abdelatif Rahal, après un discours de circonstance lu par le ministre de la Santé et de la Réforme hospitalière, Abderrahmane Benbouzid. En cette journée, des spécialistes du secteur devront débattre d'un certain nombre de problématiques liées à «la modernisation du secteur de la santé», comme le montre l'intitulé de ces assises. Des ateliers dont les recommandations doivent être remises au président de la République comme annoncé hier par le ministre de la Santé.
Abdelmadjid Tebboune est en effet attendu aujourd'hui dimanche au Palais des nations de Club des pins pour donner les orientations «nécessaires» aux gestionnaires d'un secteur qui peine toujours à garantir des soins convenables aux citoyens.
Le Professeur Mostefa Khiati a accepté hier d'en faire le constat en commençant en premier par noter que «ce ne sont pas les premières assises de la santé, chaque ministre qui reste deux ou trois ans tient ses assises, nous sommes ainsi aux 6èmes ou aux 7èmes assises». Les dernières, «c'est Boudiaf qui les a tenues, avant lui, Ould Abbes, Redjimi(...)». Le Professeur spécialiste en pédiatrie tient à expliquer que «lorsqu'on fait des assises, on est censé sortir avec une plate-forme qui doit être appliquée, or, depuis l'indépendance, toutes celles qui ont été faites se sont terminées en queue de poisson».
Il note ainsi que «toutes les recommandations qui sont retenues à la fin sont mises dans les tiroirs ou sur les étagères». Il souligne qu' «aujourd'hui, on est face à un problème très complexe, celui de la réforme de la santé ; le président de la République en personne a évoqué en mars 2020 lorsqu'il a visité l'hôpital de Beni Messous, l'impératif d'une réforme globale du secteur, donc il faut faire appel à des experts, mais parler de modernisation du secteur, c'est un subterfuge comme tant d'autres(...)».
«On aurait pu respecter la démocratisation du débat»
Normalement, dit-il, «les organisateurs de ces assises auraient dû déterminer au préalable des thématiques qui se posent aujourd'hui, les faire examiner par des groupes d'experts dont les travaux, une fois finalisés, doivent être mis sur une plate-forme qui doit être ouverte à tous les spécialistes de la santé». L'auteur du livre «Quelle santé pour les Algériens» paru déjà en 1989 pense d'emblée que «les thématiques ne doivent pas être décidées par la tutelle parce qu'on ne peut échapper dans ce cas à un parti pris et elles ne sont forcément pas des thématiques pertinentes. Avec un nombre limité d'ateliers, on ne peut tout examiner, il en faut au moins une vingtaine parce que chaque volet a son importance et son propre problème». Il estime ainsi qu' «on aurait pu respecter la démocratisation du débat en projetant une telle plate-forme pendant plusieurs jours pour que les spécialistes puissent donner leur avis, ensuite on essaie d'appliquer ce qui a été décidé notamment les questions sur lesquelles il y a eu consensus ou au moins l'expression de la majorité». En regrettant que «là, on est loin, très loin des objectifs recherchés», Khiati affirme qu' «il ne manque rien à la santé sur le plan matériel, mais ce qui lui manque ce sont les idées, le secteur est en panne d'idée, par exemple, le ministre aurait dû dès son installation il y a deux ans, activer le Conseil supérieur de la santé prévu par la loi de 2018 dont une des missions est de mener des réflexions sur les questions qui entravent le secteur». Il regrette que «ça n'a jamais été le cas, en deux ans, ils auraient pu préparer beaucoup de choses». Mais «là, dit-il, on se contente de tirer des documents administratifs qu'on va soumettre à des gens de tous bords, beaucoup n'ont pas les compétences requises pour les examiner, discuter, où va-t-on comme ça '». Selon lui, «on est à la croisée des chemins, un système de santé qui est obsolète, il faut commencer par introduire la numérisation, jusqu'à aujourd'hui on n'a même pas un dossier médical numérisé alors que la carte Chifa et la carte d'identité nationale ont été établies pour recevoir des documents ou des données mais elles sont vierges depuis leur mise en circulation». Est-ce normal ', interroge-t-il en répondant tout de suite «non et on continue à suivre des patients, à leur donner des médicaments mais on ne sait pas ce qui se passe exactement».
«Où est la carte sanitaire '»
Pour lui, «il y a un problème d'information dans le système de la santé, depuis 2003, il n'y a pas eu de publication sur les chiffres de la santé, sur le nombre de médecins, leur lieu d'installation, le nombre de lits disponibles, leur taux d'occupation, la performance ou non des hôpitaux, on aurait pu faire une classification des services des CHU et des services de santé publique pour créer une dynamique...». Il rappelle que «lorsqu'il y a eu des investissements dans le secteur, on a ouvert près de 27 centres de lutte contre le cancer, Alger qui a 5 millions d'habitants a été doté de deux accélérateurs linéaires, deux autres à Annaba, deux à Ouargla et deux à Tlemcen(...)». Des accélérateurs linéaires qui servent, expliquent-ils, à «localiser la tumeur pour permettre l'envoi des rayons gamma». Il signale qu' «il y a des patients qui attendent 6 mois, un an, pour avoir un rendez-vous, sur quelle base il y a eu une telle répartition '». La carte sanitaire pousse le Professeur Khiati à demander à son propos «où est-elle '». Il estime que «cette carte devait prendre en compte les structures, les hommes et les équipements, leur répartition à travers le territoire national d'autant qu'on sait les disparités sont encore plus importantes dans les Hauts Plateaux et le sud du pays». Il interroge encore sur sa lancée «on a des services orthopédiques, un à l'hôpital Zmirli, un à Ben Aknoun et un autre à Douera, c'est-à-dire que la partie ouest d'Alger est très bien lotie mais de Zmirli jusqu'à Bord Bou Arreridj, il n'y en a aucun !». Ce qu'il qualifie de «problème réel de répartition de structures» résulte, dit-il, «de cette volonté de régler les problèmes de personnes et non ceux de santé publique, on répond aux doléances des amis qui veulent être dans des services précis...». Il pointe aussi du doigt «le problème des hôpitaux qui ne sont pas exploités, des équipements, la répartition des IRM, des scanners(...), des services de réanimation...». Il synthétise ses propos en soulignant que «le problème de la santé, c'est son évaluation, elle n'a jamais été soumise à une quelconque évaluation, ce qui n'est pas normal». Il relève en outre «l'absence d'un système de certification» pour indiquer que «quand on ouvre un quelconque service, si on voit qu'après deux ou trois ans, il n'est pas rentable, on doit lui retirer la certification et le transformer en un autre, mais il n'y a pas de normes, c'est à cause de cela qu'il y a des erreurs flagrantes au niveau des services».
«Les décès de médecins est dû à un problème d'organisation des hôpitaux»
Khiati aborde alors la question de la pandémie du coronavirus et affirme que «nous avons en Algérie le taux le plus fort de décès de médecins dans le monde». Son explication, «c'est dû uniquement à un problème d'organisation au niveau des hôpitaux, il n'y a pas de couloirs dédiés à la Covid, pas de couloirs d'entrée et de sortie des personnes atteintes, pas de couloirs du linge propre et du linge sale, pas de couloirs pour les maladies autres (...), il n'y a pas d'organisation». Parfois, dit-il, «c'est une question de compétence, parfois le manque de moyens mais c'est très rare, parce qu'on peut toujours en trouver». Il note que par exemple «on n'a jamais vu des appels d'offres pour des postes de DS (directeur de santé de wilaya), on n'a jamais mis en avant en premier leurs compétences, les soumettre à une commission, ça n'a jamais été le cas, alors que c'est un domaine éminemment technique, en principe, on ne devrait pas faire rentrer la politique dans la désignation des techniciens parce qu'on doit les considérer en tant que tels».
Il rebondit sur une autre question, celle de dédier l'ensemble des services d'un hôpital aux seuls malades de la Covid-19. «C'est une erreur centrale, nous avons marginalisé un grand nombre de malades et on les a laissés sans soins, beaucoup en sont morts, c'est pour ça qu'il faut une évaluation, combien sont-ils morts, combien ont-ils vu leur maladie se dégrader à la suite de la non prise en charge de leurs problèmes '». Des instructions sont, dit-il, «toujours données pour certains services et ce, en fonction du nombre de contamination, plus il est élevé, plus on l'exige». A ce sujet, il fait remarquer que «les chiffres des cas contaminés ne concernent que ceux testés par PCR mais lorsqu'on consulte les chiffres donnés par l'INSP, on retrouve ceux détectés par le scanner, on se rend compte que c'est le double, c'est-à-dire que nous sommes à peu près à 500.000 personnes qui ont été touchées par la Covid-19». Mais, se désole-t-il, «aucune publication sur ce nombre de contaminés !». Il reprend «la dernière déclaration du ministre de la Santé qui estime que 90% des personnes atteintes qui sont décédées n'étaient pas vaccinées» pour interroger «sur quelle base ce décompte a-t-il été fait'». Un discours occidental ' «Absolument ! On a l'impression d'écouter un ministre européen, ce n'est pas possible de continuer comme ça», répond-il.
«On est en train d'évoluer du pire de la pandémie vers le moins»
Mais, tente-t-il de rassurer, «heureusement qu'on n'a pas eu l'intensité des différentes épidémies qui se sont succédé, on n'a pas eu beaucoup de cas, ni beaucoup de décès mais là encore, on n'a pas fait d'études, on aurait pu ouvrir ça aux universitaires et aux centres de recherche pour expliquer toutes ces questions, mais ce n'est pas le cas, on n'a pas capitalisé, c'est comme s'il n'y a eu aucune expérience».
Le manque sur le marché d'un grand nombre de médicaments pousse le Professeur Khiati à rappeler qu'«il y a un conflit entre le ministère de la Santé et celui de l'Industrie pharmaceutique, et le ministère de la Santé s'est opposé à la publication de plusieurs décrets pour l'importation de médicaments qui sont en attente depuis mai». Il y a à ses yeux «un problème entre les deux ministères qui n'a pas été réglé, en principe, il y aurait eu un CIM (Conseil interministériel, ndlr) qui aurait dû le faire».
Khiati réagit par ailleurs sur la loi sur la santé à propos de laquelle le ministre de tutelle estime qu'elle nécessite des amendements. Il note ainsi que «l'adoption de cette loi a été faite sans tenir compte du fait qu'elle contient certains aspects qui ne peuvent être appliqués. Mais si certains nécessitent amendements pourquoi pour tout le reste des dispositions on n'a pas fait de textes d'application alors qu'il y a au moins une trentaine qui doit l'être '». C'est pour lui «une carence parce que c'est le ministère de la Santé qui aurait dû normalement préparer ces textes et les présenter au Secrétariat général du Gouvernement».
Omicron, le dernier variant du coronavirus ' «C'est possible» nous répond-il en soulignant que «certains optimistes le disent, mais on pense qu'on n'en est pas loin de la fin de la pandémie parce que lorsqu'on voit la gradation des variants, on est en train d'évoluer du pire vers le moins pire, Bêta était beaucoup plus dangereux que le Delta parce que c'est lui qui a causé le plus de morts aux Etats-Unis». Omicron donne, dit-il, «l'impression qu'il y a une évolution qui va vers la dégradation du virus lui-même puisqu'il perd progressivement ses capacités meurtrières, mais ceci n'empêche pas qu'il y ait un autre variant qui pourrait poser le problème d'un record...».
Le Professeur Khiati veut quand même rester optimiste et affirme que «dans l'évolution globale telle qu'on l'a connue dans la virologie, peut-être que nous ne sommes pas loin de la sortie de la crise».
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