Algérie

Sandrine Malika Charlemagne, écrivaine, à L’Expression «J’ai écrit sur la splendeur de l’Algérie»




Publié le 03.09.2024 dans le Quotidien l’Expression

Sandrine Malika Charlemagne est une écrivaine, actrice et réalisatrice de père algérien, originaire de Makouda (Tizi Ouzou). Elle nous parle de son dernier roman La Traqueuse, de ses anciens livres ainsi que des films auxquels elle a participé.

L'Expression: Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?

Sandrine Malika Charlemagne: J'ai passé ma petite enfance en Picardie à la campagne, une bourgade du côté de Bohain. Jusqu'à environ quatre ans, ce sont mes grands-parents maternels, qui se sont occupés de moi. Je me souviens du chant du coq, très tôt le matin. Ma mère était venue à Paris chercher du travail, mais au début, c'était compliqué de jongler entre l'éducation et le boulot. Après, je suis revenue dans la capitale. Mon père, Algérien, était originaire de Makouda, une commune dans les montagnes.

Comment êtes-vous venue à l'écriture?

Les voies du hasard. Je suivais des cours d'art dramatique chez Véronique Nordey à Paris, tout en travaillant en parallèle, c'était ma passion. Avec le jeu, il y a eu la découverte des grands textes, j'ai étendu le champ de mes lectures, je lisais, je lisais, je lisais...

Puis un jour, un déclic... Pouvez-vous nous parler de votre roman La Traqueuse?

Il n'est jamais évident pour moi de parler de mes romans. J'invite au passage à Souffle inédit, en ligne sur le Net. Il évoque mon livre, découvrir la chronique de Lazhari Labter dans le magazine d'art et de culture, d'une manière que je ne saurai sans doute égaler. Mais en quelques mots... J'ai d'abord voulu écrire une histoire de femmes, de femmes fortes et maîtresses de leur destin. Alètheia, brillante cheffe d'entreprise, suite à un accident, se retrouve dans le coma. Tout part de là. Elle est à la fois encore dans ce monde et ailleurs. Aussi active et volontaire dans notre monde que dans l'autre. Emma, la collaboratrice, va prendre en main sa vie, de son côté. D'abord en portant à son achèvement l'oeuvre d'Alètheia qui fut son mentor. Ensuite, en s'émancipant d'un amant dont le seul mérite était d'espérer hériter de sa femme. Enfin Coumba, la mère d'Alètheia, se battra jusqu'au bout pour empêcher que sa fille soit débranchée et pour s'opposer aux manigances de son beau-fils visant à s'accaparer la société de sa femme, alors qu'il n'est qu'un patron incompétent. J'ai voulu, à partir d'une philosophie aussi obscure que celle de Heidegger, il en est question dans l'ouvrage, écrire un livre qui soit accessible au grand public. J'ai aussi voulu camper un personnage de chat qui soit autre chose qu'une charmante petite boule de fourrure. J'adore les chats! J'espère avoir créé une aventure dépaysante et optimiste.

Dans votre roman, vous faites côtoyer plusieurs mondes différents, parlez-nous de cet aspect de votre livre...

Dans le domaine du fantastique, il est fréquent de voir dépeints d'autres mondes, voire même, l'Autre-monde. Un exemple célèbre, La divine comédie de Dante. Souvent, ces ailleurs permettent d'illustrer des idées ou des principes qui nous tiennent à coeur. Dans mon roman, dans cet «autre côté» décrit, dans la Cité céleste, on découvre ce que pourrait être le monde si l'on parvenait à échapper à l'égoïsme et à l'attrait de l'argent pour laisser s'épanouir l'altruisme et l'entraide. La Cité est en quelque sorte l'inverse de notre monde où même des personnages forts et positifs comme Emma ont bien du mal à échapper aux séductions de la richesse et du pouvoir. J'ai aussi profité de cet autre monde pour décrire une forêt où se cache un certain philosophe, Heidegger, qu'une envoyée de la Cité céleste, tient à tout prix à retrouver. Et celle qui sera chargée de cette mission sera Alètheia. Là-bas, la carte est le territoire, chacun crée sa propre réalité. Et c'est dans cet univers notamment que le lecteur évoluera.

En écrivant ce roman, quelles ont été vos sources d'inspiration?

Il est difficile pour moi d'identifier clairement ce qui m'a inspiré au cours du processus d'écriture. En ce qui concerne La traqueuse je peux néanmoins citer trois sources. La première est le film Coma de Nikita Argounov qui nous présente une intrigue se développant dans le monde réel et dans une sorte d'autre monde, dont la réalité est créée par des personnes dans le coma. La deuxième source est citée dans mon roman, il s'agit du livre de Frédéric de Towarnicki, À la rencontre de Heidegger. L'auteur y raconte sa quête, en 1945, alors qu'il faisait partie des forces françaises qui occupaient la Forêt Noire, du fameux philosophe. Enfin, la troisième est le livre que Georges Steiner a consacré à Heidegger et qui m'a frappé par sa clarté. Pour le reste, l'imagination a fait son oeuvre.

Peut-on avoir une idée de vos préférences littéraires, vos écrivains préférés, les romans vous ayant le plus marquée?

Il y en a beaucoup, ce n'est pas simple. Parmi les disparus, je pourrais évoquer Marguerite Duras dont l'oeuvre m'a bouleversée, que ce soit L'Amant, La douleur, Hiroshima mon amour, Le ravissement de Lol V. Stein, Agatha. Cette façon de magnifier le quotidien et sa puissance à raconter l'amour, Violette Leduc et Grisélidis Réal pour leurs radicalités féministes. Pier Paolo Pasolini et Jean Genet pour leurs engagements politiques. Albert Cohen pour sa Belle du seigneur, la découverte d'une société qui m'était étrangère avec L'homme sans qualités de Robert Musil, la fulgurance de l'écriture de Kateb Yacine dans Nedjma. Jack London et son magnifique Martin Eden, John Kennedy Toole qui n'écrira qu'un seul livre, publié après son suicide, La conjuration des imbéciles, où l'on voit l'existence totalement loufoque d'un jeune homme à la Nouvelle-Orléans, Christian Bobin pour la simplicité et la profondeur de ses mots et aussi l'univers SF et fantastique, avec Georges Orwell, Isaac Asimov, Clifford D. Simak, le Frankenstein de Mary Shelley ou Le loup des steppes d'Hermann Hesse. Je pourrais en citer d'autres, il y en a tant. La lecture a toujours été pour moi une passion. Sans oublier la poésie.

Que représente l'écriture pour vous?

Elle permet de créer des mondes - du plus quotidien au plus baroque - elle aide à se construire - à se tenir éveillé - à s'émerveiller - et parfois elle guérit l'âme en souffrance. C'est aussi le lieu du secret. Une toile où l'on découvre mille et un paysages. Avec l'écriture, on va partout. Un peu comme dans un film. Les personnages deviennent éternels. On respire autrement. On pense autrement. On diversifie notre approche de la langue. On aime peut-être aussi autrement.

Vous êtes également comédienne et réalisatrice. Parlez-nous de ces autres facettes...

Comédienne, au cinéma parfois et un peu au théâtre aussi. J'aimerai davantage mais... les rencontres, les circonstances, les coups de chance, des facteurs que je ne maîtrise pas. J'ai joué dans Certifiée Halal de Mahmoud Zemmouri, Le chant des cigales d'Ali Berkennou, dans un téléfilm de Samy Allam, Imeslav. La réalisation... J'ai suivi une formation aux ateliers Varan autour de la pratique documentaire. Avec le réalisateur Jean Asselmeyer, nous venons d'achever Deux vies pour l'Algérie et tous les damnés de la terre, un film de 70 minutes, consacré au parcours de Gilberte et William Sportisse, communistes algériens, membres du PCA, nés en Algérie, et qui ont quitté leur pays à plus de 70 ans, en 1994. Le film a été produit par K2 Productions en France et par Picture Box à Alger. Il sera distribué par Les Films des deux rives. Nous espérons bien sûr pouvoir le projeter en Algérie. Mais il nous faut pour cela l'accord des autorités compétentes.

Pouvez-vous nous donner un aperçu des autres livres que vous avez publiés avant La Traqueuse?

Celui qui me tient très à coeur, c'est Mon pays étranger, publié aux Editions de La Différence. L'intrigue se passe en Algérie en l'an 2000. La narratrice part en quête de ses racines, mais il y est aussi surtout question d'une rencontre avec le peuple algérien, le monde du théâtre, celui du journalisme et la splendeur du pays. Mon père est enterré en Algérie, et c'était une façon de renouer avec lui au travers de cet ouvrage.

Y a-t-il une part d'autobiographie dans tous vos textes?

Souvent, je m'inspire de personnes que j'ai croisées ou d'expériences que j'ai vécues. Ensuite, je mêle réalité et fiction. C'est le matériau de mon écriture oscillant entre le vrai et l'imaginaire. J'aime regarder, écouter les gens.
Aomar MOHELLEBI



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