Algérie

Sana Ben Achour : « Les femmes ont joué un rôle majeur dans la révolution tunisienne »


Professeure de droit à Tunis et dirigeante de l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), Sana Ben Achour rappelle l'implication des militantes féministes dans la révolution tunisienne dès le début des contestations de Sidi Bouzid, ainsi que le « rôle majeur » qu'ont joué les Tunisiennes dans les mobilisations qui déboucheront, le 14 janvier 2011, sur la fuite de Zine El Abidine Ben Ali en Arabie Saoudite. Elle plaide pour la « constitutionnalisation des droits des femmes » afin de garantir l'égalité totale entre les deux sexes, sans réserve aucune au nom des « priorités de développement » ou des « spécificités culturelles ».
Maghreb Emergent: Comment l'Association tunisienne des femmes démocrates s'est-elle impliquée dans la prise en charge des victimes de l'ancien régime '
Dès le 9 janvier 2011, des informations alarmantes parvenaient sur la recrudescence des actes de violences et les atrocités de la répression. Les militantes de l'ATFD ont décidé, dès lors, de mettre en place une Commission indépendante qui enquête sur les violences et les violations des droits humains. La mort à Rgueb de Manel Allagui, mère de deux enfants, ravie à l'âge 26 ans aux siens ; la mort par intoxication à Kasserine de la petite Yaqin Guermazi, un bébé de 6 mois; les nouvelles sur les viols des femmes à Kasserine ont accéléré la mise en place de la Commission enquête et vérité de l'ATFD.
Le contact direct avec les « sit-inneurs » de la Casbah et la médiation qu'ils ont assurée a facilité notre rencontre avec les victimes des régions les plus touchées. L'équipe de l'ATFD a été la première à se rendre sur place dans les régions, foyer de la révolution d'où sont parties les premières étincelles, et aussi la première à offrir une écoute solidaire aux victimes et à leurs familles. Elle a été chaleureusement accueillie. La population exprimait une forte demande d'écoute, de témoignage sur les violences et les différentes exactions mais aussi sur toutes les injustices subies depuis l'indépendance. Les liens de confiance et de solidarité tissés avec les victimes et leurs familles ont fait que la mission de l'ATFD ne s'est pas limitée au recueil des témoignages, mais s'est élargie à l'acheminement et à l'accompagnement des blessés et des familles de martyrs dans les hôpitaux et devant les tribunaux.
Vous avez rédigé un rapport sur ces exactions. Pouvez-vous nous en dire plus '
Effectivement. Au cours de la finalisation de notre rapport, nous avons rencontré et surmonté beaucoup de difficultés du fait de la multiplication des entraves au processus de vérité et de justice, de l'avènement de nouvelles formes de violences, de la dévalorisation, du dénigrement et parfois de l'instrumentalisation des victimes et de leurs familles. En tant que témoins des luttes, des sacrifices, des attentes et des déceptions des victimes et de leurs familles et en tant que bénéficiaires privilégiées de la confiance dont elles nous ont honorées, nous leurs sommes redevables de faire connaître la vérité, de porter leurs voix et de contribuer à formuler et à faire aboutir leurs revendications légitimes. Sur le chapitre des recommandations, nous avons surtout retenu la constitutionnalisation des droits des femmes en garantissant leur pleine dignité et l'égalité totale en droits et dans la loi sans réserve au nom des priorités de développement ou des spécificités culturelles
Vous avez été l'une des corédactrices du rapport. Quelles ont été vos observations '
Durant notre enquête nous avons constaté que les femmes ont joué un rôle majeur dans cette révolution en tant qu'actrices à part entière. Ce sont elles qui ont réalisé le concassage des pierres, moyens de défense des jeunes de Thala ; ce sont également elles qui ont apporté les premiers soins aux blessés et assuré leur transport à l'hôpital ; enfin, elles ont surtout été aux premiers rangs des manifestations.
Malgré leur forte implication et leur omniprésence, ces femmes, victimes directes ou indirectes, ont subi encore une fois des discriminations, notamment au niveau des compensations accordées par l'Etat. Une grande déception et frustration les a gagnées, suite au déni de leurs statuts de blessées et de martyres de la révolution. Différentes raisons ont contribué à l'aggravation de cet état. En effet, la prise en charge médicale a été défectueuse par manque de moyens alloués spécifiquement à ce genre de victimes et blessés. Les différents procès des auteurs des exactions ont été très en deçà des attentes.
Propos recueillis par Rayane Djerdi
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