Algérie

Samir, le «courtier administratif» made in Algeria



Samir, le «courtier administratif» made in Algeria
Vous êtes né à Alger. Votre grand-père à Tébessa. Votre père à Souk Ahras. Vous avez besoin d’un certificat de nationalité en urgence ? Finis les voyages à travers les wilayas. Samir est là pour s’en occuper à votre place. Voyage au cœur d’un système parallèle engendré par la bureaucratie.


«Je suis en quelque sorte un intermédiaire administratif. Le métier n’existe pas en Algérie, je l’ai créé sans m’en rendre compte !» Samir, 28 ans, originaire de la wilaya de Tébessa est licencié en droit et sans emploi. Samir et d’autres jeunes ont, depuis un certain temps, trouvé un filon original pour gagner leur vie. Au tribunal d’Alger ou un peu partout dans les tribunaux algériens, ils proposent, contre une modique somme, de vous aider à récupérer les précieux documents administratifs dont vous avez besoin pour vos démarches. Et tout cela sans procuration écrite. «Certains citoyens n’ont pas le temps, d’autres ne supportent plus la bureaucratie.

D’autres, obligés de fournir des pièces à leur employeur, ne peuvent pas s’absenter pour aller dans leur wilaya d’origine. Ils perdent du temps mais aussi beaucoup d’argent. Pour un certificat de nationalité par exemple, il vous faut au minimum quatre jours entre le voyage et le dépôt de la demande», explique-t-il en connaisseur des rouages de l’administration. Pourtant, l’année dernière, le ministre de l’Intérieur avait promis, sur injonction du président de la République dans la foulée des émeutes de janvier, d’alléger les procédures administratives, estimées source de nuisance à l’ordre public. Une année après, rien ou presque rien n’a changé. La bureaucratie a donc généré tout un business. Nous avons décidé d’accompagner Samir dans son voyage administratif. Rendez-vous devant le tribunal d’Alger.


500 DA le dossier


Avec ses acolytes, ils abordent les «clients» que le guichetier du service «nationalité» renvoie, parfois pour des motifs saugrenus : «Votre acte de naissance a plus d’une année» ou encore «le cachet humide n’est pas clair», ou «il manque une signature». Le désarroi se lit alors sur les visages. «C’est à ce moment-là que j’interviens. Au départ, les gens ne me prennent pas au sérieux, puis je les rassure en leur expliquant mon travail», raconte Samir. Il demande alors à ses clients toutes les informations dont il a besoin : noms et prénoms des parents, lieu de naissance et les numéros des actes ainsi que le numéro de téléphone de l’intéressé. «S’il est né à Alger dans l’une des communes où j’ai des contacts, je m’occupe moi-même du dossier.»

A midi, Samir fait le tri par wilayas et communes et commence à appeler ses contacts un peu partout dans les quatre wilayas dont il a la charge : Tébessa, Oum El Bouaghi, Souk Ahras et Khenchela. Ce jour-là, il a récupéré dix-huit demandes, à raison de 500 DA le dossier. A 16h, ses contacts confirment presque tous la disponibilité des documents commandés. Ce n’est pas tous les jours le cas. «Parfois, nous faisons face à des problèmes d’archives. Pour certaines personnes nées avant 1920 par exemple, leur état civil a été déplacé d’une commune à une autre, notamment après l’indépendance. D’autres ont vu l’appellation de leur douar changé à l’indépendance. Cela freine notre travail, mais grâce à mon réseau, je peux détecter rapidement où sont transférées les archives de l’état civil», assure-t-il.


24h chrono


Samir nous convie à l’accompagner le lendemain matin. Rendez-vous à la station de taxis du Caroubier, 4h du matin. Notre «courtier administratif» travaille avec le même chauffeur de taxi depuis quatre ans. «Je lui fais confiance et, parfois, il me sert d’assistant, il récupère pour moi des documents quand je suis dépassé», confie-t-il. Nous montons avec lui dans le taxi. Samir en profite pour dormir. «Ce jeune est un vrai bosseur, il est tout le temps anxieux ; vous savez, avec l’administration on n’est jamais sûr…», témoigne le chauffeur de taxi. Et pour cause, certains de leurs contacts ont été mutés ou ont carrément quitté l’administration, pour délit de corruption ou falsification de document. «Mais je peux vous assurer une chose, Samir ne touche pas à cela, il est honnête et intègre, il ne fait qu’aider les gens.» Cinq heures plus tard, nous arrivons à Oum El Bouaghi. «La nouvelle autoroute nous a beaucoup facilité le travail. Avant, je demandais à mes clients un délai de quatre jours pour la délivrance d’un certificat de nationalité. Aujourd’hui le temps nécessaire a presque été réduit de moitié», constate Samir. Il est 9h quand son téléphone sonne. Un des agents de l’état civil de l’une des communes de la wilaya d’Oum El Bouaghi l’appelle. «Il me demande de passer le voir rapidement, car il commence à travailler à 9h et à partir de midi, il ne sera pas disponible», précise-t-il.


«El wali»


Samir nous demande de l’attendre dans un café du centre-ville, pour protéger l’identité de son contact. Quinze minutes plus tard, il revient, et nous répétons la même opération dans trois communes. Le voilà interrompu par un autre coup de fil : un de ses clients lui aurait donné un faux numéro d’acte de naissance, son contact vient de l’appeler pour vérifier l’exactitude des informations. Samir vérifie les informations auprès de son client «Les clients se trompent parfois dans les informations, m’obligeant à vérifier moi-même, cela me fait perdre beaucoup de temps.» Nous arrivons à Tébessa à 13h. Pas de répit pour Samir. Il doit encore aller faire le tour des APC. Jusqu’à 16h, ses deux téléphones n’arrêtent pas de sonner. «Un est destiné à mes contacts, l’autre à mes clients», précise-t-il. Surnommé «El Wali» par ses pairs et ses collaborateurs, Samir enchaîne ses rendez-vous. Sa journée ne se termine pas aux horaires de bureau.


Sur les traces des archives


Il doit encore se déplacer à Souk Ahras pour récupérer deux actes de naissance. «Nous les avons cherchés pendant une semaine ! Les archives de l’état civil ont été transférées…, nous informe-t-il. La cliente qui m’a confié cette mission est prête à débourser 5000 DA, car elle en a besoin de toute urgence.» Un élu local de l’APW de Tébessa nous confie «ne pas voir d’inconvénient à ce que des intermédiaires comme Samir aident les citoyens dans leurs péripéties administratives». Et se déclarer même prêt, s’il devenait député lors des prochaines législatives, «à plaider sa cause et réglementer son travail». Le temps d’une discussion avec l’élu local, Samir revient de Souk Ahras avec un large sourire. «Rien qu’avec cet acte de naissance, je couvre une semaine de frais.» Car des dépenses, Samir en a beaucoup. «Je paye le taxi, les clandestins, mes contacts… à raison de 200 DA le document… Ce n’est pas de la corruption, je me débrouille pour régler les démarches administratives de mes concitoyens, il ne s’agit que d’un carnet d’adresses !», se justifie-t-il.


«la procédure»


Prochain rendez-vous : à nouveau 4h du matin. «Le retour vers Alger prend plus de temps à cause des embouteillages et je dois me présenter au tribunal avant midi», résume-t-il. Durant le retour de cette virée express à l’ouest du pays, Samir nous raconte sa vie. «Après l’obtention du baccalauréat, je me suis inscrit à la faculté de droit d’Alger. Je travaillais dans un café au square Port Saïd, à proximité du tribunal d’Alger. Et là-bas, je croisais quotidiennement des magistrats, des avocats, des importateurs, des banquiers mais aussi des trafiquants. Un jour, j’ai fait la connaissance d’un jeune Kabyle qui faisait le courtier pour les gens qui ont des difficultés à se déplacer pour récupérer des documents. J’ai voulu faire comme lui : il m’a montré la procédure à suivre, m’a conseillé d’être discret, de constituer un réseau. Comme j’étais étudiant en droit, certains de mes amis avaient regagné leur wilaya d’origine après la licence.» La majorité, inscrits dans le cadre du pré-emploi, a été engagée comme agent administratif.

«Cela constitue mon premier cercle», révèle-t-il. Au fur et à mesure, le cercle s’est élargi. «Aujourd’hui, je peux vous assurer que je connais au moins un agent dans chaque commune des wilayas de l’Est, ce sont des gens de confiance, on s’entraide. Moi, je ne pouvais pas revenir à Tébessa, il fallait bien trouver un travail…». Mais Samir compte arrêter ce «boulot» et envisage de passer le relais à quelqu’un d’autre. Nous arrivons à Alger. En bas de l’hôtel où il loge depuis quelque temps au cœur d’Alger, Samir distribue les certificats accompagnés des actes de naissance originaux à ses clients et encaisse l’argent, 500 DA par personne. Les clients sont satisfaits. Ce jour-là, Samir a gagné 12 000 DA. «Pour une dernière mission, j’avoue que c’est une belle somme. J’ouvre mon petit magasin la semaine prochaine, mais avant… je dois solder mes comptes avec mes contacts», confie-t-il avec un clin d’œil.




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