Algérie

Salles des fêtes: Les cérémonies de mariage se professionnalisent



Dans son film «Le Bal» datant de 1983, Ettore Scola a tenté de tracer l'histoire contemporaine de l'Europe à travers la fête. A voir de plus près, nous pouvons transposer cette démarche sur les fêtes de mariage chez nous. Depuis qu'elle a déserté les terrasses des immeubles, à cause d'un déficit de sociabilité, la fête a élu domicile dans les salles. Elle se professionnalise de plus en plus et du coup elle subit des empreintes venues d'ailleurs.

Vendredi 9 septembre. Vers 21h 30, le cortège nuptial arrive devant une salle de fête très cotée à Oran. Dès cet instant, les familles des nouveaux époux sont écartées de la direction de l'entreprise. C'est une armada de jeunes travailleurs de la salle qui mèneront la danse dans ses moindres détails. Les concernés, à commencer par les parents des époux eux-mêmes, seront réduits à de simples observateurs ou, au mieux, de simples exécutants. Ainsi, c'est un agent de la salle en question qui dictera la démarche à suivre pour faire sortir la mariée de la voiture qui l'a ramenée. Il exigera la mobilisation de deux enfants pour se charger de sa robe pour ne pas la laisser traîner par terre. Du déjà vu dans les films et dans les cérémonies de mariage des femmes et hommes médiatiques. Un autre demandera à des parents du marié de s'acquitter du rituel de la datte et du verre de lait. Pour mettre de l'entrain ce sont encore une fois, les agents de la salle, rompus à l'exercice, qui donnent le coup d'envoi aux youyous et aux formules de bienvenue. Après ce cérémonial, on dégage la voie aux mariés pour accéder à la salle. Encore une fois, on désigne deux accompagnateurs pour s'occuper des bougies. Grâce à l'habilité de ceux qui se sont acquittés de la réception des nouveaux mariés, l'accès à la salle s'est passé sans le moindre encombrement. Bien évidemment, ce sont les femmes qui se sont engouffrées pour grimper les quelques marches en compagnie des heureux élus. Les hommes, restés en retrait, rejoindront la salle, une fois la voie totalement dégagée. Soulignons que certains d'entre eux étaient encombrés de valises contenant les tenues de rechange pour leurs femmes. Autre changement d'attitude que la fête dans les salles a fini par faire admettre aux mâles.

Une fois l'essentiel des membres des deux familles ainsi que les invités ait pris place dans la salle, on accorde un moment de répit à tout le monde pour pouvoir faire connaissance. Le DJ, chargé de la question musicale, propose des morceaux du répertoire andalous, histoire de conférer une sorte de solennité et de sérénité à l'atmosphère. Quant aux deux époux, à peine ayant repris leur souffle, ils sont sollicités à l'incontournable séance de photo. A quelques exceptions, tout le monde aspire à immortaliser le moment en leur compagnie, amis comme membres de la famille. A chacun, Yacine et Fatima doivent trouver la formule la mieux appropriée pour le remercier. Une véritable épreuve, notamment pour la mariée qui a dû subir une autre auparavant pour porter la robe de mariée et l'apparat qui l'accompagne. Ce manège durera un bon moment. A ce niveau les agents de la salle, préoccupés par la préparation du service du dîner, n'interviendront pas. Pour casser la monotonie, de temps à autre, un joueur de luth relayera les morceaux de la musique andalouse. A part ses notes, sa présence dans un coin n'a attiré l'attention de personne.

Les deux époux n'auront droit à un face-à-face qu'au moment du dîner. Installés à une table, ils seront servis par deux agents de la salle portant gants blancs. Cette présence a dû les empêcher de se livrer aux premières confidences sur ce qui se passe autour d'eux. Mais une fois les tables débarrassées, on passe à la partie que Sabrina, Bouthaina, Immen, Hadjer et consorts attendent depuis un moment. Place à la danse donc. On passe allègrement du raï à d'autres styles. La scène centrale est envahie, y compris par certaines dames qui viennent à peine de revenir de La Mecque où elles ont accompli leur « Omra ». Qui osera prétendre à ce moment précis trouver une incompatibilité entre le partage de la joie et la religion ? De temps à autre, l'envoi des décibels s'arrête pour permettre à la mariée, accrochée au bras de son mari, de parader avec une nouvelle robe. Ce tour de tables se termine toujours par des youyous ou des applaudissements. Evidemment, le photographe et le cameraman, un service indépendant des prestations qu'offre la salle, ne ratent pas ces moments. Soulignons que les invitées, y compris les fillettes, ont fait de même. A croire que la fête ne peut plus faire l'économie de l'ostentatoire. Mais le moment le plus fort et le plus amusant c'est quand Yacine en premier lieu et Fatima dans son sillage se sont volontairement apprêtés à la cérémonie dite des « negaffates », d'origine marocaine. Une autre prestation assurée par une équipe étrangère à la salle. Quatre jeunes hommes bien portant, habillés de burnous et de tarbouches se sont employés à porter le marié sur une sorte de fauteuil en bois. Auparavant, Yacine s'est débarrassé de son costume pour des habits traditionnels, marocains, il faut le noter. Pendant que les quatre hommes portant « Moulay Sultan » dansaient en tournoyant, d'autres membres de l'équipe soufflaient dans des instruments traditionnels. La scène était tellement accrochante que rares sont ceux qui sont restés à leur place. On répètera exactement le même cérémoniale pour la mariée. Avec cependant plus d'aisance et de grâce parce qu'elle est moins lourde à porter. La fête continuera en alternant musique locale et musique étrangère. Ce sont les jeunes qui se sont illustrés par leur endurance. Oussama et son frère venus d'Alger se sont sérieusement éclatés, de leurs propres dires. Un dernier cérémonial signalera que la tombée du rideau est pour bientôt. C'est quand on ramènera la pièce montée. Un autre moment marqué par l'intervention directe des agents de la salle. C'est l'un d'eux qui prendra la main de Yacine et de son épouse pour simuler de couper le fameux gâteau. C'est lui qui servira une tranche de cette immense tarte dans une assiette et recommandera à Yacine d'offrir un bout à Fatima et vice versa. Les deux époux, comme dépossédés de leur volonté, s'appliqueront sans la moindre contestation. Au fait, ils n'ont fait que suivre l'exemple de leurs parents qui se sont éclipsés pour céder la direction de la soirée à d'autres. Des inconnus de surcroît. Une prestation de service chèrement payée.

Yacine et sa femme offriront-ils le même type de fête à leur progéniture ? Pas sûr puisqu'à chaque époque, sa propre fête.




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