Des rats et des hommes
La compagnie Arc-en-ciel a réussi une ?uvre puissante et originale qui contraste avec le moule officiel des planches algériennes actuelles. Que reste-t-il d?un homme qui se déshumanise ? Que reste-t-il d?un homme qui voue toute sa vie au service de ce Léviathan qu?est l?Etat au point de se confondre avec sa fonction ? Le directeur du service de dératisation de la capitale, Alger, personnage central du surprenant monologue de Kamal Iaïche, joué jeudi à la salle Ibn Zeydoun et interprété par Samir El Hakim, tente d?y répondre en le payant de lui-même. Des années à traquer les rats qui rongent la cité, des années d?isolement affectif l?ont transformé en personnage névrotique déambulant dans le décor labyrinthique conçu par le talentueux Malek Yahia, artiste et scénographe. Le monologue, adapté du puissant roman de Rachid Boudjedra, L?escargot entêté (1977), s?inscrit dans une nuit particulière : celle de toute une vie et celle où le personnage décide de tout livrer : ses angoisses de responsable harcelé par un étrange complot et ses secrets consignés dans des milliers de petites feuilles cachées dans les poches secrètes de son manteau de fonctionnaire discipliné. L?occasion de tout déballer, avec une puissante énergie véhiculée par le jeu subtil du comédien. Tout déballer devant une société « qui dort sur de fausses gloires », face aux « citoyens modèles » et face à la défunte mère qui reste aussi présente dans la tête du personnage que l?obsession des rats et de l?escargot persécuteur. L?intrigue, qui rappelle les univers de Kafka, Enki Bilal, avec un zeste de l?atmosphère de Brazil de Terry Gilliam, reste d?actualité. L?Etat tout puissant écrasant l?individu, une société sans égards aux blessures de l?humain. Un système bureaucratique qui annule les scrupules, la technique ayant surpassé l?homme. « Je suis chargé d?exterminer les rats », dit le personnage avant d?ajouter avec un brin de cynisme : « Jusqu?à nouvel ordre » ! Un système qui ne sévit pas que le texte : il faudra croiser des doigts pour apprécier une prochaine représentation de ce spectacle dont la générale, jeudi, a tenu du miracle par manque de soutiens logistiques, n?étant pas labellisé « Alger 2007 capitale de la culture arabe ». Les salles étant réquisitionnées par la manifestation officielle et les troupes indépendante, telle Arc-en-ciel qui a monté le monologue, n?ont pas droit au chapitre. Face à l?escargot bureaucratique, il a fallu une belle dose d?entêtement à l?équipe du monologue pour monter son spectacle.
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Posté Le : 21/04/2007
Posté par : sofiane
Ecrit par : Adlène Meddi
Source : www.elwatan.com