Algérie

Sainte solitude



On dit que la solitude n'a jamais connu de changement depuis que l'homme est homme. On dit aussi que toute retraite volontaire, ostentatoire, a, de tout temps, donné lieu à deux choses paradoxales : égarement de l'esprit dans le pire des cas, ou, à l'opposé, régénération des facultés mentales et spirituelles au point de voir l'heureux élu se doter d'un statut à part et, souvent, gagner la notoriété et la reconnaissance.De ce fait, les prophètes, on le constate depuis les premiers écrits bibliques jusqu'au Saint Coran, ont tout d'abord fait figure de grands solitaires avant de prêcher la bonne parole. Sont venus à leur suite les poètes qui, eux, ont toujours eu cette capacité d'enjamber l'espace et le temps à leur façon sans pour autant pouvoir les changer.Si l'Algérienne Fathma N'soumer (1830-1863) n'avait à ses débuts rien d'une femme vaquant aux choses de la religion, elle jouissait en contrepartie d'une puissance de vision et d'un sens inné de l'organisation en rapport direct avec le milieu sociopolitique de son époque puisqu'elle est devenue, de son vivant, le symbole de toute une nation en lutte.A des milliers de kilomètres de là, Emily Dickinson (1830-1886), la recluse de la ville d'Amherst aux USA, était, de son côté, poétesse, mais une poétesse qui demeure inégalée dans toute l'histoire de la poésie anglo-américaine. Elle aurait fait pâlir Shakespeare lui-même.Ces deux femmes d'exception, ayant vécu à la même époque, devaient un jour sortir de leur coquille pour révolutionner, l'une, l'art de la guerre contre l'injustice et l'occupation, l'autre, l'art de faire les vers, c'est-à-dire, reconstruire la vie, ne serait-ce que dans l'espace limité de l'imaginaire.Dans sa Kabylie natale, Fathma N'Soumer est devenue leader spirituel et temporel, guerroyant durant des années contre - on l'oublie souvent - pas moins de sept généraux français de la colonisation ! Emily Dickinson, sans quitter sa petite ville véritablement, a transformé celle-ci en un monde à part par la grâce d'une poésie surpassant tout ce qui a été composé, avant elle, en langue anglaise. Avant cela, les deux femmes avaient été poussées à une solitude extrême, accentuée par un type d'ascétisme unique dans l'histoire du deuxième sexe.Quel avenir pouvait s'offrir à une jeune fille dans les montagnes de Kabylie au dix-neuvième siècle, sinon celui de garder son statut ancestral, celui d'une créature brimée ' Quel horizon pouvait encore s'ouvrir, en Amérique, devant un « bout de femme » au sein d'une société puritaine qui était encore à la recherche d'elle-même, et qui se refusait à lui accorder le moindre rôle 'En optant pour une retraite volontaire, ces deux femmes ont démontré que la conquête de soi est une condition sine qua non pour passer au grand acte et franchir le canyon des préjugés et le poids du passé. Elles ont en même temps prouvé que le statut de la femme - de toute femme - pouvait s'améliorer et changer à tout moment, avec de la bonne volonté et sans doute beaucoup de sacrifices.Même appartenant à deux sociétés diamétralement opposées, ces deux femmes ont réussi à faire, tout d'abord, de leur isolement voulu, un tremplin de départ vers des horizons insoupçonnables aux yeux de la gente masculine ainsi qu'au regard de toute la société en générale. C'est dire que là où il s'était commis tant d'injustices à l'égard de la femme, l'instrumentalisation à bon escient de la solitude a donné lieu à des fruits inattendus et à une contribution extraordinaire à la dignité ou l'imaginaire de leurs semblables.


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