Algérie

Saignements et réconciliation





Paris. De notre correspondant


Pour les intervenants et pour la salle, le constat est unanime : il y a bien un blocage des mémoires et l’Etat français refuse d’intégrer la guerre d’Algérie dans le récit national, républicain. Le fondateur de Mediapart, Edwy Plenel, avec son style direct, relève qu’il ne faut rien attendre du gouvernement actuel pour la réconciliation des mémoires en notant que le ministre de la Défense, Gérard Longuet, est plus occupé à satisfaire les revendications de l’OAS et des pieds-noirs. Et de souhaiter vivement l’arrivée de François Hollande à l’Elysée, en rappelant que la première sortie du candidat socialiste a été pour commémorer le massacre du 17 Octobre 1961. Les mémoires saignent, les blessures saignent toujours, diagnostique pour sa part l’historien Benjamin Stora : «Il n’y a pas de récit républicain unificateur. L’Etat est silencieux sur cet épisode. Sans parler de repentance, la France se doit de montrer du respect aux 400 000 morts algériens. Côté algérien, l’enfermement dans une mémoire héroïsée est une impasse de l’avenir, il empêche l’Algérie de se projeter dans le futur. L’Algérie risque de perdre sa révolution en ratant le train des révolutions arabes.» L’auteur de La Gangrène et l’oubli se désole de la communautarisation des mémoires et regrette le vide intellectuel causé par la disparition des grandes voix (Germaine Tillon, Pierre Vidal-Naquet, etc.) qui se sont battues contre le système colonial. Mehdi Lalloui souhaite que le temps politique soit dissocié de l’histoire : «Tant que les politiques auront pour ligne d’horizon les élections, il sera difficile d’avancer dans l’apaisement et la réconciliation. En 2001, Jospin était prêt à faire un pas vers la reconnaissance du 17 octobre, mais son directeur de communication de l’époque, Emmanuel Valls, a jugé que c’était trop tôt. La meilleure des justices est de libérer la parole et d’ouvrir une nouvelle page. Comme en Afrique du Sud, la justice passe par la parole et la mémoire.» Le réalisateur insiste sur le travail de mémoire. La question des harkis demeure très sensible. L’écrivaine Fatima Besnaci-Lancou souhaite que l’Etat algérien fasse un geste envers eux : «Les autorités algériennes refusent le retour des vieux harkis qui demandent à revenir sur la terre de leurs ancêtres. Il faut sortir du manichéisme. De son côté, le président actuel a fait plein de promesses pour les harkis et rapatriés pendant sa campagne électorale, mais une fois élu, il s’est empressé de les oublier. En 2007, le Parti socialiste a reconnu la responsabilité de l’Etat dans l’abandon des harkis.»   Florence Dosse, auteure des  Héritiers du silence-Enfants d’appelés en Algérie, revient sur un événement peu connu : les enfants des anciens appelés : «Il y a eu plus d’un million d’appelés en Algérie, mobilisés pour ce qui, alors, n’était pas reconnu comme une guerre. Pour beaucoup d’entre eux, l’expérience marquante, voire traumatisante, de ce conflit sans nom et sans gloire est restée enfouie dans le silence. Elle n’avait pas de place dans l’histoire officielle et suscitait plus de gêne que de curiosité. Leurs proches, eux-mêmes, posaient peu de questions. Au fond, personne ne souhaitait vraiment entendre leur récit et ils ont préféré se taire, durablement.»


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