À la question de savoir s'il renvoyait Bouteflika et le DRS dos à dos, Sadi précisera qu'il les mettait plutôt tous les deux dans le même sac.Le docteur Saïd Sadi, qui a décidé en 2012 de se retirer de la présidence du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) pour devenir un simple militant, était hier l'invité du Forum de Liberté. Sollicité à s'exprimer sur son long silence, l'ancien candidat à l'élection présidentielle, une figure de l'opposition s'il en est, a expliqué qu'il n'avait été, à aucun moment, absent, ni lui ni sa formation politique. "Que voulez-vous ' On est interdit de télé, de marches pacifiques, de réunions... Dites-moi, qui habite 24h sur 24 la Télévision nationale où il n'y a plus aucune place pour les autres '" Mais que devient véritablement le Dr Sadi dont l'absence semble cruellement manquer au débat national. "Le RCD se porte bien, notamment depuis mon départ. Je paye régulièrement mes cotisations et je n'ai jamais assisté à une réunion de la direction du parti. Cela dit, depuis deux ans, je suis en retrait, mais pas en retraite. Aujourd'hui, je m'acquitte de mes devoirs de militant de base en écoutant, en lisant et en écrivant. Je peux même rassurer tous ceux qui s'agrippent au pouvoir en leur disant que le rôle de militant n'est pas plus difficile ni moins intéressant que celui que confère la responsabilité de dirigeant." Le ton est donné. Loin de paraître comme un homme usé, Saïd Sadi n'a, semble-t-il, rien perdu de sa verve ni de son humour. L'affluence même au Forum de Liberté témoigne, si besoin est, que cet orateur hors pair garde aujourd'hui tout son crédit, et ce, malgré toutes les tentatives de diabolisation dont il a été l'objet.Il faut dire que le contexte actuel, porteur de tous les dangers, ne laisse personne indifférent. Intervenant en tant qu'observateur "avisé" de la scène politique nationale, selon le modérateur du Forum de Liberté, Sadi a, d'emblée, rappelé que sa dernière sortie publique remonte à la visite du Premier ministre français en Algérie, Jean-Marc Ayrault, lorsqu'il s'était fendu d'une contribution exclusive parue dans Liberté où il déniait, à cette occasion, au président français, François Hollande, sa proposition de réhabiliter, à partir de Tlemcen, Messali Hadj. "Mais de quoi tu te mêles '" a-t-il interpellé le chef de l'Etat français, soupçonné, selon lui, de vouloir jeter "l'hypothèque" sur l'histoire nationale. Sur ce registre des relations controversées avec l'ancienne puissance coloniale, Sadi s'offusque également du fait que le sceau officiel de l'Etat algérien soit sorti du pays pour être apposé sur des actes et des décisions prises dans l'enceinte même d'un hôpital militaire français.À titre d'exemple, les journalistes algériens n'auront pas eu, hélas, la primeur de leur "Journée nationale de la presse", décrétée, faut-il le rappeler, à partir de Paris, par le chef de l'Etat algérien, sur son lit d'hôpital. Cette entorse qui a, du reste, été très peu signalée est pour le docteur Sadi, assurément, "anticonstitutionnelle". S'agissant des multiples contradictions et autres joyeusetés illégales ou incohérences dont s'est rendu auteur le premier magistrat du pays, Sadi estime que celles-ci sont légion et trop fastidieuses à énumérer. "Il a renversé Ben Bella pour lui faire ensuite un deuil national, il a appelé à la professionnalisation des médias pour faire passer en boucle le lendemain son 4e mandat, etc." Comme à son accoutumée, le célèbre psychiatre a toujours cette faculté à pouvoir mettre les mots sur des malaises parfois latents, souvent indescriptibles. Cette fois, il convient, lui aussi, comme tout un chacun, que "l'Algérie est en péril".Le docteur se dit effaré par le niveau d'aliénation dans lequel les dirigeants du pays ont mis la société algérienne. "L'image de l'Algérie est cassée pour des générations. C'est une humiliation qu'on est en train de vivre aujourd'hui. C'est un moment de grande gravité et de réelle incertitude." D'après lui, cette tentative de reconduction du statu quo au nom de la "stabilité" va vite montrer ses limites. "Vu le contexte, il sera extrêmement difficile de jouer ce qui s'est passé en 1999." Loin de défendre exclusivement des positions partisanes, il avertira l'assistance dans son préambule que son propos est d'abord celui d'un "citoyen inquiet".L'annonce de la candidature par procuration pour un énième mandat pour le président Bouteflika est venue aggraver la sinistrose en Algérie et alimenter la colère de larges pans de la société qui s'interrogent encore : comment est-ce possible ' Bref, aujourd'hui, la pilule ne passe pas ! Avec cette opération grossière et ubuesque, le pouvoir algérien a définitivement signé son ignominie et doit s'attendre, en retour, à un "printemps" qui déjà pointe son nez. Pour le docteur Saïd Sadi, qui sait attendre, tout vient à point nommé. Cette candidature qui vient insulter l'intelligence, l'honneur et la dignité de tout un peuple devrait constituer, d'après lui, un déclic.Libérer la conscience citoyenneLes Algériens savent, ainsi, désormais à quel point l'homme est capable de se rabaisser pour garder le pouvoir. Celui qui refusait hier d'être un trois quart de président accepte aujourd'hui d'être l'ombre de lui-même.Pour l'invité du Forum de Liberté, peu importe que la crise des institutions, rendue récemment publique par l'une des créatures même du régime, perdure au-delà du 17 avril. "Car sans le DRS, il n'y aurait pas eu Bouteflika." D'après Sadi, Saâdani, par qui le scandale est arrivé, a tout à fait le droit de demander aux responsables des services de sécurité de rendre des comptes, même si pour cela il n'est pas dupe quant au fait qu'il ait agi pour de mauvaises raisons. "Toute institution dans ce pays est en droit d'être interpellée", a-t-il martelé, avant de préciser que le DRS n'est qu'une structure dépendant d'une institution. "Quand vous avez un pouvoir invisible qui décide de tout et qui ne répond de rien, il ne faut pas s'étonner qu'un dandy s'érige alors en vice-roi. On nous répond qu'un service secret doit rester secret. Certes, mais personne n'a demandé la liste des agents du DRS." Ainsi, d'après lui, il n'y a pas de conflit entre Bouteflika et le DRS. "Il s'agit d'un problème interne et sûrement pas d'un clivage idéologique." Et pour cause, il reviendra sur l'arrivée de Bouteflika dans le pays. "Qui l'a ramené en 1999 sur un char ' Qui a bourré les urnes en sa faveur ' Qui a violé la Constitution en 2008 '" s'est-il écrié. Il rappellera, enfin, qu'en 2008, seuls les parlementaires du RCD s'étaient opposés, en vain, à la "présidence à vie". "Il ne faut pas nous reprocher d'avoir été seulement 20 élus et non pas 200. Pour cela, il faudrait demander à ceux qui bourrent les urnes", a-t-il ironisé.Nombre de journalistes seront intrigués par cette sortie "à rebrousse-poil", surtout lorsque Sadi reconnaîtra au Président sortant le droit de se présenter. "Je suis obligé, pour ma part, de ne pas suivre la meute. Sauf avis médical, rien n'empêche Bouteflika de se porter candidat ! Vous savez tout ce que je pense de son bilan : c'est un désastre national. Mais en vertu de la Constitution, il a le droit de se présenter. Qu'il verrouille les institutions et mobilise les médias publics en sa faveur, c'est cela qui pose problème. Pourquoi empêcher les gens de mener une campagne pour le boycott ' Ne sont-ils pas des Algériens ' Travaillent-ils pour des intérêts étrangers '" En réitérant, par ailleurs, la position de son parti qui vient d'appeler au retrait des candidats, Sadi s'interroge sur la surenchère "participationniste" de certains candidats, déclarés ou potentiels, et présentés comme de "grosses cylindrées"."Sont-ils fous pour se lancer dans cette élection insensée ou ont-ils des relations avec les gens qui octroient des quotas '" s'interroge-t-il. Pour lui, ces derniers peuvent toujours courir car le régime ne pourra jamais s'amender de l'intérieur. "L'élection est jouée d'avance. Tous les instruments de la fraude sont réunis." Même s'il trouve effarant que le pseudo-candidat du pouvoir ne s'adresse pas au peuple dont il sollicite les suffrages, il lui concède le droit absolu de se présenter. À l'entendre, ce sont les autres candidats qui l'agacent le plus ! "Chacun a le droit de s'exprimer et libre de ses actes, mais je ne comprends pas qu'on dise qu'une tribu a colonisé l'Etat algérien, que l'élection est biaisée et, en même temps, dire : moi j'y vais. Je ne veux pas faire de procès d'intention, mais l'opinion est en droit de s'interroger." Explicitant son point de vue, somme toute assez "surprenant" sur la question de la candidature Bouteflika, le leader politique ne laissera planer aucune ambigüité. "Je ne fais pas de chantage à l'instabilité, mais il ne faut pas accompagner les manipulations médiatiques. La responsabilité des journalistes est engagée : on n'a pas le droit de laisser prospérer des contradictions qui viennent miner un débat qui est déjà très fragile. Si l'on veut que la situation se complique, il faut laisser la confusion prospérer", prévient-il. S'il reconnaît que l'ère Bouteflika a été celle de la fermeture du jeu politique, revenant sur les maigres acquis de 1988, il estime que cette fois, cette candidature "de trop" va finir par réveiller le peuple de sa longue léthargie. Comme lui, beaucoup se laissent croire, optimistes, à une prise de conscience suite à laquelle les Algériens ne manqueront pas d'exprimer, prochainement, tout leur mépris envers cet homme pitoyable qui, à force de compromissions, se prend véritablement pour un monarque à l'abri de tout. "Il faut disqualifier politiquement cette élection pour minimiser les dégâts. Chacun devra faire un effort pour sauver le pays de l'explosion annoncée. Le peuple doit se mobiliser pour disqualifier ce scrutin par une abstention massive. Il faut que Bouteflika soit le président de lui-même." Il appelle ainsi à une sorte d'union sacrée où le pouvoir ne serait pas exclu. "Je n'ai aucun problème personnel avec aucun homme politique. J'ai même serré la main de mon tortionnaire. Je crois qu'on ne peut être plus tolérant. Il faut accepter tout le monde, même les gens du pouvoir qui, qu'on le veuille ou non, sont des acteurs politiques. Seulement, ils ne pourront pas se placer comme des tuteurs ni comme des arbitres. Il faut donc prendre sur soi et les accepter. Et comme on est généreux même avec ceux qui ont bousillé le pays, les gens du pouvoir pourront intervenir dans ce débat afin de trouver un consensus." Pour le docteur Sadi, il faut absolument se mettre autour d'une table avec un cahier des charges car personne ne peut trouver la solution tout seul. "Aucun parti, aucun dirigeant ne peut se présenter comme un recours, sauf à faire un coup d'Etat." D'après lui, le patriotisme, aujourd'hui, c'est essayer d'avoir un débat adulte, citoyen et responsable. "Il faut redresser la tête, rester froid et sans complaisance afin de ne pas être manipulé. Il faut libérer la conscience citoyenne des tutelles occultes. Il faut peser sur cette élection pour disqualifier le scrutin à venir et remettre les compteurs à zéro." Ainsi, Saïd Sadi, que certains croyaient fini, se dit prêt à prendre encore des risques. Car finalement, prendre un risque, c'est, pour lui, prendre une décision qui relève d'une pulsion de vie, d'un engagement ! Nos décideurs, quant à eux, et tout le monde le sait, sont aujourd'hui sous l'emprise d'une pulsion de mort.M.-C. L.NomAdresse email
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 26/02/2014
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Mohamed Chérif LACHICHI
Source : www.liberte-algerie.com