Après une carrière
de plus de 35 ans dans le secteur du tourisme, Saïd Boukhelifa
vient de d'achever un livre consacré au tourisme algérien qui sortira bientôt. L'auteur,
actuellement conseillé au ministère du Tourisme, livre à Maghreb Emergent sa
vision sur la «reconstruction» de la destination Algérie. Il faudra du temps, de
la volonté et surtout des compétences, dit-il. La montée de l'offre en cours
dégonflera la bulle des prix trop chers en Algérie.
Pourriez-vous nous
dire ce qu'il convient de faire pour développer le tourisme algérien ?
C'est une question
de volonté politique réelle. Quand je dis réelle, il faudrait que les grands
responsables qui travaillent au sein de l'Etat soient convaincus. Il y a une
dizaine de secteurs qui sont concernés, les Transports, l'Intérieur et les
Collectivités locales, la
Culture, etc. Les responsables des communes et des wilayas
doivent être convaincus aussi de l'utilité du tourisme et de son impact sur les
plans économique et social. C'est ce qu'on appelle l'inter-sectorialité
et la transversalité.
La volonté
politique existe actuellement au niveau du schéma directeur de l'aménagement
touristique (SDAT), élaboré en 2008. C'était le couronnement de quatre assises
régionales où tous les concernés -hôteliers, voyagistes, les offices de
tourisme, les universitaires- ont fait des propositions qui ont servi à
l'élaboration d'une feuille de route pour le développement du tourisme. Auparavant,
pendant 30 ans, on a navigué à vue. Il n'y avait pas de politique touristique
pensée et structurée.
Aujourd'hui, le
SDAT est pour nous une sorte de Coran. On ne peut pas dire qu'il n'y a pas de
politique touristique. Elle existe mais on ne la voit pas sur le terrain parce
que beaucoup de hauts fonctionnaires ne sont pas convaincus. Et sans la
conviction, adossée à des compétences avérées, on ne pourra pas concrétiser le
SDAT 2030. La destination Algérie comme toutes les destinations ailleurs se
construit ou se reconstruit sur une durée minimum de 20 ans. Le temps de
construire les hôtels qu'il faut, de former le personnel et inculquer une
culture touristique qui a disparu chez nous.
Est-ce que vous
pensez qu'il y a un manque en compétences dans le tourisme algérien ?
L'une des
faiblesses de la destination Algérie est l'absence de personnes formées, compétentes
et possédant l'expérience nécessaire pour occuper les postes qui sont les leurs.
Je parle de tous les niveaux, du réceptionniste au manager en passant par les
maîtres d'hôtel, le directeur de restaurant, etc. C'est un travail de longue
haleine.
En Tunisie, un
hôtel trois étoiles doit avoir, au minimum, 16 employés diplômés. Une
gouvernante doit avoir un BTS (Brevet de technicien supérieur en tourisme) qu'on
obtient au bout de trois ans d'études après le Bac. La gouvernante doit savoir
les bienfaits du tourisme sur tous les plans. C'est au bout de la troisième
année qu'elle commence à étudier les techniques et les normes de l'hygiène. Chez
nous, en revanche, on exige juste que le directeur soit diplômé de l'Ecole
supérieure du tourisme, pour les hôtels de trois à 5 étoiles. Un directeur ne
peut rien faire si autour de lui il n'y a pas de personnel formé.
Donc, les écoles
de tourisme en Algérie n'ont pas formé suffisamment de cadres ?
L'Ecole supérieure
de tourisme (EST) d'El Aurassi a formé, depuis son
ouverture en 1976, près de 1200 cadres (licenciés en gestion hôtelière). Les
écoles de Tizi Ouzou et de
Boussaâda ont formé quelque 6000 cadres. On a donc formé en tout environ 10 000
ressources entre cadres, agents d'exécution, techniciens et agents de maîtrise.
Pour le moment, cela apparaît suffisant mais il y a eu une déperdition. Ces
ressources sont parties travailler ailleurs dans les bases des compagnies
pétrolières au sud du pays mais aussi à l'étranger.
Pour remédier à cette
situation, on a réalisé une nouvelle école supérieure de tourisme à Aïn Témouchent qui ouvrira dans
quelques mois. On a prévu une autre grande école à Tipaza, qui ouvrira ses
portes dans deux ans. L'école de Tipaza aura 1200 places pédagogiques alors que
celle d'El Aurassi ne dispose que de 200 places. Ça
sera une école d'envergure internationale qui travaillera en partenariat avec
des écoles de l'espace Schengen et du Canada. Il y aura des échanges de
programmes pédagogiques et un apport de professeurs qui viendront donner des
conférences à nos étudiants. Le terrain pour la réalisation de l'école de
Tipaza est dégagé.
Les touristes
algériens préfèrent passer leurs vacances à l'étranger, notamment en Tunisie et
en Turquie en raison de la cherté des prestations en Algérie. Comment expliquez-vous
cet état de fait ?
Les hôtels
algériens sont les plus chers au Maghreb et parmi les plus chers au niveau du
bassin méditerranéen. C'est un frein au développement du tourisme en faveur des
nationaux, ce qui les incite à partir ailleurs pour des tarifs moins chers et
pour une qualité de prestation supérieure. Ce paradoxe est le résultat des sous-capacités hôtelières. Nous avons actuellement en
Algérie une capacité d'accueil de 93 000 lits dont plus de la moitié dans des
établissements non classés. Ce qui a favorisé la spéculation tarifaire. Mais
cela ne va pas durer parce qu'avec l'apparition de nouveaux hôtels de qualité, il
y en a eu plusieurs au cours de ces trois dernières années, la décantation va
se faire et les prix vont baisser. Nous sommes actuellement en gestion de
pénurie.
Comment évaluez-vous
l'activité des voyagistes algériens ?
On dénombrait
quelque 800 agences de voyages en 2010 dont à peine 10% de professionnelles qui
font honneur à leur métier et à la destination Algérie. Le reste, à savoir la
grande majorité des agences, font dans la Omra
et le Hadj parce que ce sont des produits qui rapportent immédiatement. Nous
avons créé deux catégories d'agences. La catégorie A pour le réceptif et le
tourisme interne et B pour les agences spécialisées dans les voyages à
l'étranger dont El Hadj et la Omra. Désormais les
agences de voyages ne pourront pas manger à tous les râteliers. C'est sorti au
Journal officiel du juillet 2011. La décantation s'est faite et les 800 agences
sont classées en A et en B.
Les agences de la
catégorie A qui feront dans le réceptif auront-elles
droit à des avantages incitatifs ?
Grâce à la
coopération du ministère des Finances, la TVA sur les prestations touristiques a été ramenée
de 17% à 7%, dans le cadre du tourisme à l'import. Sans mesures incitatives les
agences proposeront des tarifs chers surtout que les hôtels et le transport
sont chers en Algérie. La location d'un bus par exemple se situe entre 25 000
et 30 000 dinars la journée. C'est cher. Quand les activités touristiques
seront développées comme il se doit et qu'il y aura beaucoup d'autocaristes, les
prix vont baisser à cause de la concurrence.
Plusieurs
professionnels estiment qu'avant de penser au tourisme réceptif, il faut tout
d'abord développer le tourisme destiné aux nationaux.
Effectivement le
tourisme international ne peut se faire sans le développement du tourisme
interne. Tous les pays qui ont réussi dans ce domaine ont commencé par
développer le tourisme interne. C'est une manière de faire des simulations et
de tester les produits touristiques qui réussissent auprès des nationaux, cela
veut dire que le produit est prêt. Et puis le tourisme national servira de
tremplin de passage au tourisme réceptif. D'autant plus que pendant ces 10
dernières années les Algériens sont devenus très exigeants parce qu'ils ont
voyagé beaucoup. Ils ont vu ce qui se passe chez nos voisins marocains et
tunisiens ainsi qu'en Turquie, en Egypte, en Espagne et ailleurs.
L'Algérie se
trouve entre le Maroc et la
Tunisie, deux pays qui ont une expérience avérée dans le
tourisme. Est-ce qu'on ne peut pas concevoir des circuits maghrébins qui vont
par exemple de la Tunisie
jusqu'au Maroc, en passant par l'Algérie ?
Dans les années 1970,
il existait un circuit qui a été réalisé par Club Méditerranée. Le circuit
commence au Maroc puis entre en Algérie à travers la région d'Igli (Bechar), traverse le Sud algérien avant d'aboutir en
Tunisie. La traversée du Maghreb se faisait en trois semaines. A partir du
Maroc, le circuit s'appelait Taxi pour le désert et au retour de Tunisie il
s'appelait Djerba la douce. On faisait aussi des circuits combinés, Algérie-Tunisie, Algérie-Maroc. Il
y a beaucoup d'intérêt à revenir à cette expérience.
En attendant de
régler les problèmes politiques avec le Maroc, ça pourrait reprendre avec la Tunisie. D'ailleurs
actuellement les Tunisiens ramenaient leurs touristes à l'Est algérien pour se
rendre sur les traces de Saint Augustin.
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Posté Le : 27/03/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Farouk Djouadi
Source : www.lequotidien-oran.com