Algérie

Said Boucetta à la librairie Point Virgule «Le fait divers a nourri mon imagination...»



Said Boucetta à la librairie Point Virgule «Le fait divers a nourri mon imagination...»
Publié le 01.02.2024 dans le Quotidien l’Expression

C'est entouré de ses amis, notamment des anciens collègues de L'Expression, en la personne de M. Ahmed Benâlam et M. Zouhir Mebarki que Said Boucetta a présenté cette semaine à la librairie Dalimen son nouveau roman. Une rencontre littéraire avec l'auteur Saïd Boucetta qui a permis au public de donner son appréciation autour de son livre «Les sept fantômes de Hassina». Le débat a été modéré par Kaci Djerbib, journaliste et auteur. Le directeur de la rédaction, Said boucetta, a eu le privilège d'être présenté par Kaci Djerbib qui a décortiqué le livre, non, sans l'encenser. Avant d'entrer dans le vif du sujet, Kaci Djerbib fera le tour de la biographie de Said Boucetta. De formation scientifique, il a évolué un peu dans la communication, avant d'être happé par le journalisme qui aura constitué une bonne partie de son parcours, en ayant travaillé dans de nombreux titres de la presse algérienne. «Said est un journaliste, c'est un bosseur. Le poste qu'il occupe aujourd'hui est un poste pivot, central dans une rédaction. L'écriture journalistique est très pointeuse, dans la recherche de la vérité, de la réalité et voila qu'il nous sort un roman, qui est pour moi une saga familiale. Un roman qui embrasse plusieurs périodes, de la colonisation, jusqu'à l'indépendance, en pénétrant avec une écriture limpide, directe, pas pompeuse, ni savante mais très précise, les situations qu'il décrit, notamment l'exploitation coloniale, la misère de ces familles qui sombrent dans le dénuement le plus atroce, le post-indépendance, la période noire et le terrorisme islamiste, le Hirak et ses déceptions.. Tout ça, à travers le personnage principal qu'est Hassina, qui traîne derrière elle, les sept fantômes de sa famille.».
Hassina ou le fil conducteur
Et de renchérir: «Dans sa narration, Hassina ne les nomme pas, elle dit‘' mon père, ma mère, mon frère, mon demi-frère qui est le produit d'un viol de son père..'' C'est un roman qu'on ne veut pas lâcher parce que l'écriture est intéressante. Elle est riche. Quand Said Boucetta parle de psychanalyse, on a l'impression qu'il est du métier, c'est le génie du journaliste qui se documente. On a à faire à un roman qui n'est pas insipide. Qui ne donne pas de leçons, ne juge pas, il expose des faits et des situations. Il nous met à l'aise, chacun analyse l'histoire comme il le veut. On peut être d'accord avec lui sur certaines situations. On passe d'une situation à une autre, sans qu'on s'ennuie. On apprend. Il nous pousse à réfléchir. L'auteur fait son métier de journaliste y compris dans le roman. C'est un auteur qui prend des libertés avec un fait qu'il peut manipuler comme un potier avec une matière première, en la transformant à sa manière. Il reste dans la ligne du conteur journalistique, du rapporteur journalistique et il nous donne à voir des personnages avec des émotions et des sentiments. C'est à nous de les accepter tels quels. De retrouver des prétextes et justification à leurs situations ou bien de les rejeter.» dira le modérateur dans une fine critique de cet ouvrage.

L'échec de la révolution sociétale
Évoquant le «Hirak» thème abordé dans le livre de Said Boucetta, Ahmed Benaâlam estimera que ce dernier est très bien traité dans ce roman, alors qu'il est souvent abordé de façon «superficielle» ailleurs... «Said parle de prison comme s'il en avait fait. C'est un livre très social qui restera et qui marquera l'histoire..Il montre vraiment les fonds des choses. J'ai eu la chance de l'avoir lu, avant tout le monde, par petits morceaux. J'ai dit à Said, ‘' écrit comme un dramaturge et arrête de compter le nombre de signes !'' » Toujours à propos du Hirak, Kaci Djerbib indiquera: «Ce roman est peut- être le seul qui est allé au-delà du constat. C'est le journaliste qui analyse à froid les choses, qui est resté journaliste mais qui est sorti de son journal, en disant les choses comme il fallait le dire, sans se mettre de muselière...» Pour Said Boucetta, «la finalité, quand on fait ce métier de journaliste, est de rendre compte de son expérience, Mon but était en quelque sorte, de résumer mon expérience professionnelle dans un roman ou dans un essai, mais ça c'était avant, car je m'étais rendu compte que je n'avais pas accumulé assez de baground dans ce métier... Pour ce roman, il faut savoir que le premier personnage existe vraiment. Il s'appelle Said, mais j'ai dû changer son prénom. Il avait un air de Che Guévara. Les 30.000 premiers signes tournaient autour de lui. Mes personnages sont une mosaïque de personnes que j'ai connues, de par mon travail, car j'ai commencé dans le fait divers et j'ai pu parcourir toute l'Algérie durant les années 1990. C'est là où j'ai pu discuter avec des personnages atypiques, c'est là où j'ai vu le terrorisme...».

Se donner les libertés de dire
Et de préciser: «Après, il y eut le Covid. Avec le confinement, Hassina est arrivée, ainsi que les autres personnages. Mais je tenais aussi à réfléchir autour du Hirak. J'ai ma vision des choses. Mon fils en faisait partie et m'en parlait. Mon fils, pourtant, n'est pas politisé. Il y avait derrière, une réelle volonté des jeunes Algériens à vouloir dialoguer avec la société. Le côté pacifique du Hirak, celui des street doctor, les nettoyeurs d'après, ne sont pas venus comme ça, ce qui a encadré le Hirak c'est une nuée de plusieurs collectifs de jeunes. Ce sont ces collectifs- là qui ont donné cette image pacifique et moderne du Hirak; ces gens- là, ces jeunes filles et garçons avaient tout simplement envie de dire à la société ‘' nous existons, nous sommes là, laissez-nous vivre!'' Et quand les partis politiques sont entrés en jeu, c'est ça qui a dénaturé le Hirak. Moi j'ai appelé cela, une révolution sociétale qui n'a pas abouti et qui a été remplacé par une révolution politique...». Prenant la parole, Zouhir Mébakri relèvera, pour sa part, que «l'orientation la plus importante dans le livre de Said Boucetta est la condition féminine algérienne, qui est à différents niveaux. Cette condition féminine qui à ce jour évolue, mis pas trop» arguant que «Hassina est martyrisée, mais se révolte...» Répondant à cette remarque, Said Boucetta fera remarquer: «La condition féminine évolue dans le livre, puisque Hassina devient influenceuse, elle est respectée dans ce quartier. Ce respect est conditionné aussi par la nature de ces pages médias. Elle est obligée de rester dans les clous pour être bien vue par le voisinage etc. son statut évolue comparé à sa mère, ses tantes effectivement...». Et Kaci Djerbib de souligner: «Hassina est pour moi cette fille analphabète soumise, maltraitée, recluse, mais qui prend conscience de son sort et s'émancipe». Et d'indiquer à juste titre: «On peut aborder ce livre, en effet, sous différents angles, que ce soit le terrorisme, le féminisme, le désenchantement créé par l'indépendance, car il faut noter que Said est un enfant de l'indépendance, il est né en 1965. Il décrit le monde campagnard..., c'est pour cela que je dis que c'est un roman qui a marqué la saison éditoriale de 2023 et qui amène avec lui certains éléments de réflexion et d'analyse et chacun prend ce qu'il veut. Le piège est que le journaliste s'est tenu à une rigueur d'écriture tout en se libérant du poids du journaliste qui travaille pour un journal suivant une ligne éditoriale précise. Il s'est toutefois donné les libertés du romancier, de l'auteur qui n'a de comptes à rendre à personne, si ce n'est à lui-même.». Et d'insister encore: «C'est là où réside son génie, d'avoir su mêler la rigueur du journaliste, tenu par la vérité et la réalité, tout en se donnant la liberté du romancier à manipuler un évènement et de dire voila, comment, je le vois et aux lecteurs de le prendre et le comprendre comme ils le veulent.»À propos de la fin tragique dans le roman que l'on ne dévoilera pas, Said Boucetta qui réfute l'idée d'une fin malheureuse, dira qu' «au contraire, cela symbolise un acte d'amour et de retrouvailles de Hassina avec sa famille qui l'a toujours rejetée». Pour la suite de ce roman, Said Boucetta estime qu'il a d'ores et déjà une idée «géniale», qui est actuellement en gestation. À propos des personnages, Said Boucetta dira qu'il serait impensable de croire qu'il a tout pensé avant d'écrire. «Quand je suis un personnage, il m'arrive souvent que ce personnage m'échappe. Je me vois en train d'écrire des choses sur Hassina que je ne m‘imaginais même pas. Je laisse faire et puis je me réveille et je me dis, non! Il faut revenir à la trame. Disons, que quand je suis dans un carrefour, je fais en sorte de ramener le personnage vers moi. Avec les personnages, tu ne peux jamais rien savoir au préalable. Pour le second roman, je ne sais pas encore comment les personnages vont réagir. J'ai une idée que je trouve intéressante et je pense que le livre sera beaucoup plus politique que celui-là.» Revenant à l'idée de «la révolution sociétale qui a échoué», Said Boucetta expliquera cela par le fait que «le jeune n'a pas de présence dans l'espace public. Cela lui est dénié. Donc, il ne peut s'exprimer comme il veut». Et de relever: «L'espace public appartient aux familles. Nous vivons dans une société dirigée par la dictature de la famille. En Algérie, quand le père de famille s'installe dans un endroit, il occupe tout l'espace, le jeune n'a pas le droit de s'exprimer. Le message de la jeunesse pendant le Hirak était celui- là:'' laissez-nous vivre, on n'est pas des méchants. Cet espace est à nous tous. Laissez -nous nous exprimer comme nous sommes''. Quand le Hirak a pris un virage politique, beaucoup de jeunes, dont mon fils, sont partis à l'étranger. Mon fils a prétexté partir pour faire un master, mais il est parti essentiellement à cause de ça. Quand il est parti à la marche algérienne du 17 octobre il m'a dit ‘' tous mes amis sont là! Tous les jeunes avec lesquels on luttait pour une Algérie moderne et ouverte sont là. Ils sont partis parce qu'ils ne peuvent pas s'exprimer en Algérie. Malheureusement, il y a une partie de la société archaïque, qui ne veut pas de changement, la nébuleuse islamiste etc.. On n'a pas la même qualité de vie que dans d'autres pays. Les jeunes partent à cause de cela aussi...''» Roman psychologique, social ou politique, qu'importe! «Les sept fantômes de Hassina», ne vous laissera pas indifférents!. Déroutant et assez complexe, il ne vous laissera sans aucun doute pas de marbre. Il est bouleversant autant par ses nombreuses situations tragiques que par son émotion à fleur de peau. Un récit d'une grande sensibilité. Publié aux Éditions Haya, ce livre de 171 pages est à acquérir absolument! À noter que Said Boucetta présentera à nouveau son livre ce premier février à la librairie Chikh de Tizi Ouzou.
O. HIND



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