Sa majesté le cartable d’écolier !

Publié le 19.09.2024 dans le Quotidien l’Expression
Le cartable d'écolier, ce petit bagage mystérieux qui nous habite, qui nous fascine!
Jadis le cartable d'écolier avait sa majesté. Enfants, il nous troublait et nous émerveillait à la fois. Avec un sentiment rare et bouleversant on attendait l'arrivée du nouveau cartable.
Il y a une immense distance psychologique et culturelle entre le cartable d'écolier d'hier et le sac à dos d'aujourd'hui! Jadis le cartable marchait à côté de l'élève, comme un membre de sa famille ou de son corps, aujourd'hui il est placé derrière, collé au dos, loin de l'oeil et du regard!
On ne tourne pas le dos au cartable d'écolier! Le cartable est comme la mer, il faut la regarder, lui murmurer, la caresser!
Jadis, enfant, je portais le cartable par sa poignée comme j'aurai tenu la main d'un ami! Comme lorsqu'on salue quelqu'un et que l'on garde sa main longtemps dans la nôtre. La poignée du cartable dégage une chaleur rarissime, une énergie angélique.
Je me rappelle de ce jour, encore tatoué dans ma mémoire! Le jour où mon père m'a acheté mon premier cartable pour ma première rentrée scolaire! Un jour unique, long comme la route, large comme le ciel, pas comme les autres. Devant ce petit objet en cuir je tremblais! En courant, emporté par le feu du bonheur, je le portais d'une chambre à une autre, jusqu'au toit de la maison, jusqu'au ciel de la fin d'été. En le prenant par la main, comme une plume suspendue à un cerf-volant, je volais très haut au-dessus d'un jardin de rêves multicolores. Je le soupesais. Je le pesais. Je le regardais avec un oeil d'aigle. Je méditais sur sa couleur sombre et simple, un marron discret d'un cuir bien soigné. J'observais les moindres détails. Je l'ouvrais, je le refermais, son fermoir à pression magique m'intriguait: tic-tac. Je m'amusais en appuyant plusieurs fois sur le fermoir! Il s'ouvre et se referme, comme mon petit coeur qui bat trop vite, lui aussi s'ouvre et se referme! Quel bonheur!
Je compte les poches intérieures de mon cartable, et je suis comme sur un grand nuage! Je les recompte, elles sont trois, une grande poche et deux autres petites! Une toute petite poche sur le dos avec une fermeture éclair, un curseur et une languette!
À l'heure du coucher, ivre d'émotions, j'emporte mon premier cartable dans mon lit. Il dort avec moi. Je rêve de lui et avec lui.
Il n'y a pas d'école sans le cartable d'écolier. L'école c'est d'abord le cartable et après le tablier bleu foncé!
Grâce à mon premier cartable d'écolier que j'ai commencé à dessiner un nouveau monde autour de moi, et en moi.
La veille de la rentrée scolaire, avec attention et précaution, pour la première fois, je rangeais les cahiers neufs dans mon cartable neuf. Le cahier de composition est couvert d'un protège-cahier de couleur rouge, celui de la rédaction d'un protège- cahier bleu clair, celui de la dictée d'un protège- cahier jaune canari, et enfin celui de l'écriture d'un protège- cahier vert.
Avec amour mêlé d'un brin de crainte ou de je ne sais quoi, je rangeais le livre de lecture, celui des calculs, des récitations, celui de l'éducation civique.
Petit à petit, le cartable me procurait le chemin vers un monde plus grand, plus vaste que la maison, plus complexe que celui du quartier. Le cartable m'emmenait vers des nouveaux petits copains. Des nouveaux horizons s'ouvraient.
La main dans la main, mon cartable et moi, nous franchissons le seuil du monde des grands.
Aujourd'hui, le sac à dos à remplacé le cartable. On tourne le dos aux cahiers et aux livres, au plumier, à l'encrier et à la plume. L'ère de la tablette s'attaque à l'intelligence.
Le cartable écolier est rentré au musée et l'élève est rentré dans le monde de l'automatisme!
Tout cela ne relève pas de la nostalgie! Je rends cet hommage au cartable d'écolier parce que nous avançons vers l'abîme scolaire! Rendez aux élèves leurs cahiers et leurs livres de lecture, rendez-leur les plumes et les encriers. Libérez-les des smartphones débiles et des tablettes sans âme.
J'aimais le cahier de rédaction ainsi que celui de dissertation!

Amin Zaoui