Les journalistes
(et des diplomates) ont été, bien souvent, de grands «écrivants»,
disant (ou faisant) l'Histoire de la société au quotidien, mais bien peu ont
été de grands écrivains. Ils s'y lancent certes… mais rares sont ceux qui
continuent sur leur lancée ou leur premier succès, tant il est vrai que la
«drogue» de la presse (et de la diplomatie) est tenace, ne laissant ni répit,
ni place à la fiction.
Ils sont bien
plus heureux dans les essais et les réflexions sociétales grâce à leur vécu.
C'est, peut-être, ce qui les rend encore plus dangereux (les uns en fonction,
les autres en retraite, la seule grande différence). Ils passent leur temps à
s'indigner et à résister. Car ils en ont trop vu ou entendu.
Le paysage
médiatique algérien est truffé de toutes ces capacités. Le paysage
diplomatique, chez nous, pas encore. Quelques rares cas cependant : Meghlaoui, Bousselham…
Hélas, l'écrit,
malgré certaines avancées du livre et de la presse, reste encore loin des
espérances, le large lectorat, celui qui fait les «best-sellers», restant
encore demandeur d'une «littérature» n'allant pas toujours dans le sens du
développement et du progrès. Les «souks el kalam» et
les «radars» et autres «périscopes» dominent… ce qui n'est pas une maladie, à
dire vrai. Aujourd'hui, au niveau des classes de lycées et des amphis, très peu
d'étudiants (pour ne pas dire d'enseignants aussi) peuvent vous citer trois ou
quatre noms d'écrivains algériens (ou étrangers) contemporains, ou d'ouvrages
nationaux récemment publiés ou de journalistes ayant «commis» des Å“uvres
journalistiques et littéraires. Quant aux idées véhiculées, on peut toujours
attendre !
Heureusement, les
écrits restent. Et, bons ou mauvais, il faut y revenir constamment. Pour ne pas
laisser l'unanimisme et la médiocrité intellectuelle s'installer durablement.
D'abord, et surtout, re-lire ou re-visiter - sans oublier les vivants - ceux,
indignés et résistants éternels, qui sont «partis» pour toujours : Fanon, Dib,
Haddad, Mammeri, Mimouni, Yacine, Teguia,
Benheddouga, Ouettar, Lacheraf, Boucebci, Mahmoudi, Boukhobza et tant
d'autres… La liste est déjà très longue, trop longue pour notre si courte
histoire littéraire.
Abdou B. est
décédé il y a peu. Journaliste dès le biberon…, il a été un éternel indigné :
«Résistant» de la fin des années 80 au sein du MJA, mouvement presque à
l'origine d'octobre 88, gestionnaire concrètement réformateur de la télévision
publique au début des années 90. Il a écrit des centaines, voire des milliers
de «papiers» dans la presse. Il a abordé moult sujets. Mais, il a, aussi,
produit ces dernières années deux Å“uvres qui résument sa pensée (et son
action).
D'abord, une
analyse du paysage médiatique national. Ses conclusions sont ce que l'on
retrouvait hebdomadairement dans ses chroniques. D'un réalisme fou : «Le pays
se caractérise par une inflation – que rien ne justifie – de quotidiens du
matin» … «Une question : d'où vient l'argent pour des publications à l'évidence
peu rentables…» «L'ouverture de l'audiovisuel, domaine réservé, semble ne pas
avoir trouvé un consensus satisfaisant au sommet de l'Etat».
D'un scepticisme
sans détour (pour le cinéma, surtout, mais à notre sens, ceci peut être élargi
aux autres médias) : «On peut, à longueur d'année, rédiger des lois sans aucun
avenir, s'il n'y a pas les bases matérielles et financières privées à même de
créer de A à Z une industrie du film… s'il n'y a pas l'afflux massif des
spectateurs – consommateurs… et des milliers de salles, à la mesure de la
superficie du pays et du nombre de jeunes qui hantent les rues.»
Ensuite, une
courte mais lumineuse contribution dans un ouvrage collectif : Mortelle
conclusion ! Pour une bonne partie valable encore de nos jours.
«Enumérer les
dégâts causés par l'incompétence, l'indifférence coupable, l'absence d'une
forte volonté culturelle novatrice ouverte sur les sons, les couleurs et toutes
les expérimentations ouvertes sur le monde et le siècle, ne servirait à rien.
L'omniscience de petits appareils n'est plus à démontrer (…). Nos meilleurs
créateurs sont exportés et expatriés (…). Dans six ou vingt ans, une génération
viendra à ne pas honorer nos tombes tout en contribuant comme les jeunes de
2009 à vivre le monde et la culture des autres, par procuration, par la magie
inventée par les autres, transportée vite et bien par Internet et ses
«coupures» spasmodiques, son «débit» grabataire, et par l'antenne parabolique
qui canalise le plus grand nombre vers le domicile, faute de ripailles
culturelles quotidiennes…»
Sans
commentaires. Tout y est !
Stéphane Hessel, 96 ans au compteur de la vie, lui, est un résistant
français de la première heure contre les nazis, un diplomate ayant participé à
la rédaction de la
Déclaration universelle des Droits de l'homme de 1948, un
ambassadeur de France… et, un militant en faveur de l'indépendance de
l'Algérie… et de la
Palestine («c'est ma principale indignation» assène-t-il, ce
qui ne lui a pas valu que des sympathies sur les plateaux des télés et dans
certaines rédactions européennes qui ont tout fait pour l'épuiser, à force
d'invitations, et le «démonter» publiquement. En vain), a «commis», à 93 ans,
un pamphlet, «Indignez-vous !». De manière non violente, dans les limites de
l'acceptable, ai-je cru comprendre, contre, surtout, le pouvoir de l'argent...
qui «n'a jamais été aussi grand, insolent, égoïste, avec ses propres serviteurs
jusque dans les plus hautes sphères de l'Etat». Un credo : «le motif de la
résistance, c'est l'indignation». «Contre tout. Car, l'indifférence est la pire
des attitudes». Il a été largement entendu juste après ! Même dans les pays
arabes les plus dictatoriaux.
Abdou… Hessel… et les autres… même combat : l'indignation
permanente ! La résistance continuelle ! Le bonheur d'une vie en phase avec la
conscience. Car, on sait (pas tous, hélas) que la résignation et le fatalisme
n'ont jamais inventé la roue, ni la science, ni la démocratie, ni la musique,
ni quoi que ce soit.
Abdou… Hessel… et les autres : on se souviendra très longtemps
d'eux et de leurs indignations qui ont généré, parfois sans que l'on s'en rende
compte, des résistances, puis des changements. Le progrès, c'est ça.
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Posté Le : 08/03/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Belkacem AHCENE DJABALLAH
Source : www.lequotidien-oran.com