La problématique soulevée dans la chronique précédente est d'une importance capitale. Il s'agit, rappelons-le, de cette croyance répandue dans un grand nombre de cercles musulmans lettrés. Celle qui consiste à affirmer que les découvertes scientifiques se trouvent potentiellement dans le Coran ! Une croyance que d'aucuns désignent de nos jours, non sans un certain sourire, sous le nom de bucaillisme. En référence à la thèse de Maurice Bucaille présentée dans son livre La Bible, le Coran et la Science. Le livre eut, en son temps, une réception retentissante et l'ouvrage fut traduit dans plusieurs langues, notamment celles véhiculaires de la pensée islamique contemporaine. En réalité, le vocable « science » est rendu en langue arabe par un terme dont la signification est beaucoup plus vaste. En effet, « al'ilm » renvoie au savoir gnostique, philosophique et à la connaissance du monde inférée notamment par les sciences exactes. A cet égard, nous nous étonnons du fait que très peu de commentateurs illustres soulèvent dans le hadîth archiconnu : « Allez acquérir le savoir, fût-ce en Chine » qu'il y a, quand même, une science autre que celle prodiguée par la Révélation. C'est dire qu'à côté du savoir révélé, il y a une connaissance humaine acquise par la recherche, la réflexion et la méditation (at tadabbur). Il faut élargir le champ des études, libérer les initiatives, désinhiber les volontés et laisser place au regard critique dans l'accumulation des connaissances. Il faut surtout s'affranchir de l'emprise du tout théologique pour émanciper les esprits et les ouvrir à la pluralité des voix de, et des voies pour, la sagesse, d'où qu'elles viennent et quel que soit le contexte.L'activité scientifique libre avec ses paradigmes propres n'est pas antinomique avec la croyance en Dieu. Bien au contraire, elle concourt dans certains cas, sans que cela soit une nécessité absolue, à raffermir la foi en vertu de l'aphorisme qui stipule que peu de science éloigne de Dieu et beaucoup en rapproche. La révélation coranique affirme bien que les croyants et les savants sont élevés à des degrés supérieurs par Dieu « ' Dieu élèvera en degrés ceux d'entre vous qui auront cru et ceux qui auront reçu la science. Dieu est parfaitement connaisseur de ce que vous faites. » (sourate 58, L'Agenouillée, verset 11). Et nous savons tous que l'éclosion de la science dans les contrées islamiques avait donné à l'humanité des savants à l'érudition encyclopédique. Ils mirent au service de leurs semblables les avancées scientifiques qui furent les leurs dans tous les domaines. Razès, Avicenne, Alhazen, Averroès et Avempace sont autant de noms ' pour ne citer que quelques-uns délibérément latinisés ' illustres dans le firmament du savoir scientifique et philosophique. Leur contribution au corpus du savoir universel a été fort appréciable et appréciée, en dépit d'une présentation de l'histoire souvent biaisée et parfois mutilante. La connaissance scientifique consiste en une construction d'un corpus de savoir positif, au sens d'Auguste Comte, et aussi comme une valeur substantielle pour le progrès de l'humanité. Et, c'est aussi bien la science qui nous habilite à « nous voir comme l'une des parties d'un modèle cosmique qui ne fait que commencer à se révéler », selon le prix Nobel de médecine, le Belge Christian de Duve. Elle nous aide à retrouver notre juste place au sein de la Création. Une place éminente de celui qui réfléchit et est doué de raison. Mais de nos jours, les difficultés subsistent lorsqu'un discours de plus en plus prégnant tend à vouloir rattraper le retard et à suppléer aux manquements, en expliquant que les musulmans sont dépositaires d'une Révélation autosuffisante, détentrice de tout.
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Posté Le : 11/09/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ghaleb Bencheikh
Source : www.elwatan.com