Publié le 30.09.2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie
Par Ahmed Tessa, pédagogue-auteur
Etre heureux à l’école : n’est-ce pas là le rêve de tout enfant ou adolescent ? N’est-ce pas l’une des missions de base de toute institution éducative ? Pour y répondre et rendre cet objectif accessible, des scientifiques se sont associés au travail des pédagogues pour dégager des pistes à emprunter. Ou que faire pour transformer l’école en un espace de bonheur ? En sachant que dans certains pays, le bonheur à l’école est devenu un indicateur de l’état de santé du système scolaire. Pour lever toute équivoque, on soulignera qu’un tel bonheur ne signifie pas que l’enfant ne fournit pas d’efforts ou ne connaît pas de moments de contraintes, de découragement ou de stress. L’environnement scolaire, matériel et humain et le climat de confiance ambiant feront en sorte que l’élève s’acquittera de cet effort dans la joie – et ce, même face à la difficulté. La joie de l’effort à fournir et du travail à réaliser.
La psychologie nous enseigne que la sécurité affective est l’un des besoins fortement exprimé par l’enfant – en toute circonstance. L’école se doit de satisfaire ce besoin en mettant en place la stratégie pédagogique qui convient. Un enseignant bien formé, avec un bon salaire, et surtout bien recruté. Il sera bienveillant, optimiste devant les capacités de ses élèves, toujours à l’écoute et soucieux du détail pour assister et aider les plus fragiles. Un enseignant qui accueille ses élèves avec le sourire, le matin comme en après-midi. Il aura pour outils de travail, un programme allégé construit sur la base «enseigner l’essentiel – peu mais bien». Un nombre de matières qui n’alourdit nullement le cartable de l’enfant. Un tel cartable rendra inutiles les tablettes numériques nuisibles à sa santé et à son équilibre général – dixit les autorités scolaires de la Suède, pionnière dans les tablettes à l’école. Ce pays vient de supprimer les tablettes et revenir aux manuels scolaires. Dans ce type d’école, les programmes d’enseignement n’éliminent pas la logique en mathématiques comme c’est le cas des pays qui endoctrinent leurs enfants. Des programmes qui placent la philosophie au sommet de la hiérarchie : la philosophie universelle — celle de Ibn Rochd, Ibn Sina, El Kindi — mère de toutes les sciences et qui enracine chez l’élève la réflexion critique et l’esprit scientifique. Cet esprit qui «doute même de ce qui est certain» pour paraphraser un éminent scientifique. À «l’école du bonheur», la «méthode heureuse» est active/interactive. Elle éloigne la mémorisation pavlovienne qui domine les salles de classe des pays versés dans l’endoctrinement de leurs enfants. Là où les autorités scolaires ont pour mission de fabriquer/formater les militants d’une «cause» via le couple infernal et mortifère «bachotage chez l’enseignant/parcœurisme chez l’élève». Un couple qui formate le cerveau pour inhiber toute réflexion et toute intelligence vive. N’est-ce pas qu’il sévit dans les établissements scolaires de certains pays depuis des décennies. Il va jusqu’à étouffer l’intelligence émotionnelle chez l’enfant, dès le primaire, ses sentiments, ses émotions.
Le triptyque «bachotage/parcœurisme/évaluation sanction» installe un climat d’insécurité affective dans l’école. À l’opposé, la «méthode heureuse» fait activer les deux intelligences : l’émotionnelle qui active la motivation intrinsèque et la générale, qui sollicite les fonctions intellectuelles supérieures (compréhension, analyse, synthèse, esprit critique et créativité). Et là encore, la psychologie génétique nous apprend que l’affect (intelligence émotionnelle) et l’intelligence générale sont en interaction permanente. D’où la nécessité absolue de mettre l’éducation artistique avec toute sa palette d’activités (théâtre, poésie, dessin, peinture, musique, danse..) ainsi que l’EPS sur un même piédestal que les autres disciplines enseignées. Et à l’école du bonheur la psychologie de l’enfant sert de boussole : avant l’âge de la pensée rationnelle vers 10/11 ans, l’apprentissage de certaines matières est improductif, voire nocif – l’histoire notamment (il y en a d’autres).
En Algérie, depuis la réforme de 2003, l’histoire est dispensée à partir de 8 ans (en 3e AP) – ce qui est aberrant. Par ailleurs, jusqu’à 10 ans, l’esprit de l’enfant baigne dans le concret et sa pensée n’a pas encore accès à l’abstraction, aux choses abstraites. Or, nos enfants du primaire doivent subir la «torture intellectuelle» de leçons abstraites longues et fastidieuses dans presque toutes les matières : ce qui les démotive et affaiblit leur capacité d’attention.
Toutefois, en renfort de la psychologie, d’autres sciences sont apparues et se sont intéressées à la scolarité des enfants et des adolescents. C’est le cas de la chronobiologie en charge de l’étude des rythmes biologiques des êtres vivants. Des chronobiologistes se sont penchés sur les rythmes scolaires des élèves et les ont comparés avec leurs rythmes biologiques. Leurs recherches ont révolutionné la gestion du temps scolaire. Certains pays en ont pris bonne note et appliqué les recommandations de ces scientifiques… au grand bonheur de leurs élèves.
De la chronobiologie
Dans la précédente contribution (voir Le Soir d’Algérie du lundi 18 avril 2023), il a été question de la dimension macro des rythmes scolaires à partir des normes internationales. Rappel : le nombre d’heures pour une journée, la norme est de 4 heures à 4 heures et demie pour le primaire. Toujours dans ce cycle de base qui est décisif, le volume global hebdomadaire varie entre 22 et 24 heures, avec des après-midi totalement consacrées aux activités artistiques, culturelles et sportives. Pour le nombre de semaines scolaires effectives (en leçons dispensées), la norme grimpe à 38 ou 40 semaines contre une moyenne de 26 à 27 semaines en Algérie (beaucoup moins pour cette année scolaire 2023-24). Mais là où cela devient intéressant, c’est dans le détail de leur dimension micro (des rythmes scolaires) telle que recommandée par la chronobiologie. En étudiant les variations du sommeil et leur impact sur l’individu, les chronobiologistes en charge des rythmes scolaires ont délimité deux périodes durant la journée scolaire.
• La première est celle (la période) où l’élève est en possession de toute sa capacité d’attention pour se concentrer sur ses apprentissages (leçons dispensées). Cette période se distribue en matinée à partir de 9h pour progresser jusqu’à un pic entre 11h et 12h ; dans l’après-midi, c’est à partir de 15h que l’état de vigilance commence à monter crescendo pour connaître un pic vers la fin d’après-midi. Il est vivement conseillé de programmer les activités scolaires pendant cette période. On pense notamment à y placer en priorité les matières ou disciplines instrumentales dites fondamentales : la langue d’enseignement, les maths, la physique, les sciences, les langues étrangères.
• Dans la seconde période, l’état de vigilance est au plus bas, l’élève n’arrive pas à mobiliser son attention et à se concentrer sur une activité intellectuelle. Ce creux se situe de 8h à 9h, le matin, et de 12h à 15h, l’après-midi. À l’école du bonheur, ces creux sont dédiés à des activités qui sollicitent peu le travail purement intellectuel. On fera du sport, des activités artistiques et culturelles qui procurent attractivité et entrain. Le creux du matin (8h/9h) s’explique aussi par le manque de sommeil. Or, la bonne dose de sommeil est indispensable pour tout enfant/adolescent. Comme l’a si bien expliqué Dr Hafidha Latafi, spécialiste du sommeil, dans le journal El Watan du jeudi 21 septembre 2023. Selon cette spécialiste, il y a déficit en sommeil quand l’enfant scolarisé n’a pas dormi une durée de 8h ou 9h. Pour la spécialiste, ce déficit, synonyme parfois de «nuits blanches, la veille des cours» «va se répercuter sur sa santé. L’enfant aura une mauvaise croissance, un défaut de concentration. Il sera excité».
Nos enseignants connaissent bien les élèves en manque de sommeil. Ils arrivent le matin déjà fatigués par le trajet et somnolant sur leur table. Et l’horaire scolaire du matin qui leur est fixé n’arrange pas les choses. Les apprentissages dispensés pendant les horaires de vigilance basse sont inefficaces. Un simple coup d’œil sur l’emploi du temps des écoliers, des collégiens et des lycéens renseigne sur le non-respect des recommandations des spécialistes en chronobiologie. Nos élèves sont en classe dès 8h et c’est une discipline fondamentale qui ouvre la journée scolaire ! Ils reprennent les cours à 13h, à un moment fortement déconseillé. On sollicite leurs neurones à des moments de la journée où leur capacité d’attention est au plus bas. L’échec n’est pas loin avec une telle utilisation du temps scolaire.
Concernant cette année scolaire 2023/24 et à la veille de la rentrée, le MEN a annoncé des nouveautés ayant trait au temps scolaire. Seront-elles bénéfiques pour les élèves ?
- Ainsi, ceux de 1re et 2e AP auront deux après-midi libres, le mardi et le jeudi. Ils seront heureux d’apprendre cela. Et ça se devine déjà ! Pour les parents qui travaillent, cela va compliquer les choses : trouver une nourrice ou solliciter le papy ou la mamy quand c’est possible. Il aurait été plus judicieux de garder l’horaire des années précédente (jusqu’à 14h30) et le généraliser à toutes les après-midi de la semaine (excepté le mardi).
À condition de leur offrir ces activités artistiques, sportives et celles de loisirs scientifiques – ô combien attrayantes et utiles pour leur développement. Il est vrai qu’une telle initiative va nécessiter des moyens matériels et un encadrement approprié. L’éducation/instruction de nos futurs cadres n’a pas de prix, elle a un coût, autant ouvrir les cordons de la bourse pour lancer le meilleur des investissements. La prise en charge de ces activités périscolaires est possible. Il s’agit de former des enseignants volontaires et les adjoints d’éducation. Quand on sait que ces derniers ont pour seules tâches la surveillance des mouvements des élèves dans la cour et la cantine. Or, ces deux tâches ont, de tout temps, été effectuées par l’enseignant. Pour la simple raison que la cour de récréation et la cantine sont deux espaces éducatifs où l’enfant apprend sur le vif. Dans la cour, il apprendra à respecter ses pairs, à éviter les risques d’accident, à préserver l’hygiène de son environnement. Au repas de midi, il recevra des conseils sur l’hygiène personnelle, il prendra connaissance de ce que doit être une bonne alimentation. De plus, la cantine et la cour offrent à l’enseignant une position idéale pour observer ses élèves et ainsi, mieux les connaître. Leur vraie personnalité et caractère s’affichent au grand jour en milieu libéré des contraintes de la salle de classe.
- On apprend aussi que l’horaire de français a été revu à la baisse et celui de l’anglais maintenu à 1h 30. En matière d’enseignement des langues étrangères, la norme universelle est d’une séance par jour – au minimum — afin d’optimiser cet apprentissage.
- La distribution horaire des apprentissages de base sur des périodes improductives où l’attention est difficile à fixer (de 8h à 9 h et de 13h à 15h) ainsi que la surcharge horaire de la journée scolaire sont deux signes avant-coureurs du «mal-être» que vivent nos élèves.
Depuis des décennies, l’école algérienne traîne un lourd complexe/tabou, celui de se ligoter à des principes qui ignorent les données scientifiques et les normes pédagogiques universelles. En s’accrochant à ces principes d’un autre temps, nous perdons de vue l’essentiel de toute mission éducative : développer l’intelligence des enfants au maximum de leurs aptitudes. Il est temps de rompre avec ce tabou afin de rendre le sourire à nos enfants s’en allant gaiement vers… leur «école du bonheur». De la sorte, l’école algérienne formera les futurs adultes autonomes et responsables. Ce rêve est permis… et réalisable au pays du million et demi de martyrs.
A. T.
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Posté Le : 01/10/2023
Posté par : rachids