Algérie

Rupture des médicaments pour tuberculeux multi-résistants selon les médecins La cote d'alerte est atteinte



Mardi 12 février dans la matinée. Nous nous présentons au pavillon des maladies respiratoires au service B. Notre visite coïncide avec le jour de consultation des tuberculeux dits multi-résistants venus de toutes les villes de l'Oranie. Un responsable du service, pourtant très sollicité par les patients et le personnel médical, consent à nous accorder un peu de temps. De go, il nous confirme la rupture de quatre médicaments des cinq composant le schéma prescrit à ce genre de malades. Dans la foulée, il nous annonce que la personne qui a fait diffuser un tract, rédigé en langue arabe, dénonçant cette rupture a été appréhendé. Concernant les médicaments manquants, il nous donne la liste : Kanamycine ; Ethionamycide ; Cyclocimine ; Pyrazimmide. Le seul disponible est Offlosit. Tous ces médicaments sont des génériques importés de l'Inde. Un spécialiste récuse leur efficacité et surtout la longue durée de 21 mois imposée aux malades. S'expliquant sur cette rupture, il nous affirme que sa tutelle directe et les autres instances ont été tenues au courant. Il précisera que le dernier courrier envoyé à la direction du CHU Oran et à la direction de la Santé date de la première semaine de février. En consultant un document, il cite d'autres dates d'envoi de lettres signalant la rupture. Nous comprenons que cette rupture est épisodique au moins à partir de l'année 2005. Lors de notre discussion, on nous affirme que le service en question a établi ses prévisions, le 24 juillet 2007, pour l'acquisition de la quantité nécessaire à ce type de tuberculeux venant de plusieurs wilayas limitrophes. L'on apprendra que les cas dits multi-résistants sont automatiquement orientés vers le CHU. Or, Mostaganem, Mascara et Tiaret, entre autres, ne disposent pas de structures sanitaires de ce type. Notre interlocuteur nous propose de discuter avec les malades qui attendent devant un chalet se trouvant juste en face de son service. Effectivement, ils étaient une douzaine, munis de leur carte, à attendre l'arrivée du médecin pour leur fournir les médicaments en question. Trois d'entre eux sont originaires de Tiaret, un de Mohammadia, un de Mostaganem et une fille d'Oran. Pour connaître le chiffre des multi-résistants, on demandera à vérifier les numéros sur les cartes. Une infirmière, se référant à un registre, nous affirme qu'ils sont au moins 160 personnes qui souffrent de ce genre de tuberculose. Bien évidemment, ceux qui ont fait le déplacement vers le CHU Oran sont revenus déçus. Un jeune nous fera part de ses déboires pour acquérir les médicaments nécessaires. Il nous relatera son déplacement vers l'hôpital Maillot d'Alger qui l'ont orienté vers une unité de production de Saidal où il a pu se débrouiller une quantité nécessaire pour une certaine durée. Mais on retiendra que ces personnes, dans leur quête de se débrouiller leurs gélules, voyagent avec monsieur tout le monde, se restaurent dans n'importe quel lieu et crachent n'importe où. Or, un spécialiste nous apprendra qu'un crachat d'un tuberculeux comporte au moins un million de bacilles de Koch, germe responsable de cette atteinte. Au niveau de la direction de wilaya de la Santé, la responsable de la prévention qui gère 27 programmes, selon ses dires, nous affirme qu'il n'existe aucune rupture de médicaments. Pour cause, elle n'a reçu aucun courrier lui signalant cette rupture. Elle profite de notre présence pour nous parler de l'installation imminente de deux unités de contrôle des maladies respiratoires qui se joindront aux cinq déjà existantes. Lors de notre discussion, elle affiche son étonnement concernant le nombre de tuberculeux avancé par le ministre de l'Intérieur, lors d'un point de presse tenu durant la dernière visite du Président de la République à Oran. Pour elle, la wilaya d'Oran connaît pratiquement la même situation que le reste du pays. Elle sort un document pour étayer ses dires. Pour elle, «l'incidence» est de 55.1 % pour l'année 2006 ; elle était de 55.6 % une année auparavant. Mais on n'arrivera pas à avoir un chiffre global des tuberculeux au niveau de la wilaya. On se contentera de la notion d'incidence qui signifie, selon les explications qui nous ont été fournies, le nombre de nouveaux cas enregistrés par rapport à ceux déjà déclarés et identifiés. Dans le cadre de cette polémique des chiffres, le rapport de l'Institut de la Santé publique élaboré en septembre dernier, qu'on peut consulter sur Internet, présente d'autres données. Il indique que le nombre des tuberculeux a dépassé les 900 cas et que l'incidence, la plus forte au niveau national, est de l'ordre de 71 %. Le Docteur Belbouri, exerçant à Mascara, connu pour son engagement dans la lutte contre la tuberculose, estime qu'Oran enregistre 10 nouveaux cas par jour. A l'unité de contrôle des maladies respiratoires, située dans une polyclinique de Gdyel, un poste avancé comme on dit, une infirmière nous confirme qu'en moyenne elle enregistre entre cinq et six nouveaux cas par jour. D'ailleurs, lors de notre attente du médecin chargé de cette unité, mercredi dernier, un nouveau cas s'est présenté à ce service. Il s'agit d'un jeune de 18 ans vendeur de sachets en plastique à M'dina Jdida, habitant à Hassi Ben Okba. Son père, sans travail, nous informe que son gosse est malade confirmé depuis plus d'un mois, puisque la radiographie a décelé «une tache dans sa poitrine», nous dira-t-il. Pas la peine de s'étaler sur le nécessaire isolement de ce jeune par rapport au reste de sa famille puisque les conditions matérielles ne le permettent pas. Dans ce cadre, le Dr Belbouri nous confirme que les multi-résistants sont des tuberculeux qui rechutent à cause de la proximité avec d'autres malades, notamment dans le cadre familial. D'ailleurs, Belbouri se dit convaincu que la lutte anti-tuberculose passe inévitablement par la remise des sanatoriums offrant un isolement des personnes atteintes par rapport au reste de leur environnement. Dans ce cadre, il nous apprend que celui de Ksibia, une forêt surplombant Mascara et offrant les conditions idoines pour la guérison, a été transformé en école paramédicale. L'unité d'isolement qu'il a mis en place au niveau de l'hôpital de Mascara a, elle aussi, été fermée il y a quatorze mois, nous indique-t-il. Lors de notre enquête, on nous signale à l'hôpital d'El-Mohgoun qu'une fille de 14 ans scolarisée a été découverte tuberculeuse multi-résistante. On précise que ce sont les services de l'hygiène scolaire qui ont découvert ce cas. Après enquête épidémiologique, il s'est avéré que des parents à elle sont décédés à cause de cette maladie. On nous signale un autre cas, une fille de 21 ans originaire de Benfreha a été contaminée par un de ses parents tuberculeux. Une jeune médecin du CHU Oran nous parlera d'une jeune fille s'apprêtant à s'envoler en noces et qui s'est révélée atteinte. Ses parents décident de ne pas dévoiler sa maladie à son futur époux. On nous signale un autre cas d'une étudiante qui a refusé de se couper avec ses camarades de l'amphi et de la cité pour ne pas compromettre sa scolarité. Plus grave, on nous confirme que le laboratoire de Gdyel, chargé de couvrir toute la région est de la wilaya d'Oran, se débarrasse des tubes où on récolte les crachats, sans la moindre précaution. Plus grave encore, ce laboratoire, maillon essentiel dans le dispositif de détection de la tuberculose a connu il y a une dizaine de jours une rupture des réactifs nécessaires pour l'analyse microscopique. Tous ceux que nous avons interrogés sur le sujet, notamment ceux se trouvant en première ligne dans la lutte contre ce fléau, confirment qu'il est impossible d'identifier exactement le nombre de tuberculeux au niveau de la wilaya et partant au niveau national. Pis, il est impossible de leur imposer un isolement total avant leur guérison. Dans ce sens, Belbouri est catégorique : «la stérilisation du BK intervient 45 jours après le traitement de première attaque». Autrement dit, un tuberculeux ne présente plus de risque de contaminer son entourage après un mois et demi de prise d'un traitement, donc le schéma n'est pas aisé à observer strictement, notamment à cause de ses contraintes. Mais pour Belbouri, qui concentre ses travaux de recherche sur le mode de contamination «les cafés et les lieux de restauration sont des plaques tournantes de la propagation de ce fléau». Il estime que «les collectivités locales doivent assumer leur rôle en s'intéressant d'avantage à l'hygiène dans ces lieux publiques». Un autre spécialiste parlera de la nécessité d'imposer aux cafetiers et aux restaurateurs de se doter de lave vaisselle et stérilisateurs en même temps. Quant à la rupture des médicaments, cette responsabilité incombe aux pouvoirs publics.


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