Loin de moi la prétention de me lancer dans une critique littéraire. Cet exercice délicat requiert des compétences que je ne possède pas. Mon souhait serait de partager avec d'autres mon coup de cœur pour le roman de Hakim Laâlam : «Rue sombre au 144 bis». Bouleversant et captivant. Tels sont les qualificatifs qui siéent à l'ouvrage.Un livre qu'on ne lâche plus parce qu'on ne peut plus quitter «Selim», personnage central. Celui-ci nous entraîne dans une «rue» dont on se demande, l'angoisse aidant, si elle ne ressemble pas à une impasse. Une voie sans issue obscure («sombre») et dont on ne sort pas indemne. Obscure comme la maladie, comme la mort, comme l'injustice (ou les injustices) et surtout comme l'article 144 bis du code pénal spécialement créé pour ceux qui ne s'en souviennent pas ou feignent l'oubli pour les journalistes «impertinents» «coupables» d'offense, d'outrage ou d'injure à l'endroit du président de la République. C'est dans cet espace compris entre l'hèpital Mustapha-Pacha et la Maison de la presse que se meut le journaliste «Selim» et que se déroule toute l'action. Dans une terrible solitude, il apprend que ses jours sont comptés en raison d'une méchante tumeur. Cette mauvaise nouvelle lui tombe dessus au moment même où une foule en liesse accueille le président de la République («l'Autre» dans le livre) revenu au pays après avoir reçu des soins à l'étranger durant de longs mois. Et l'on comprend très vite que la maladie de «Selim» comme celle de «l'Autre» ne sont qu'une entrée en matière, un prétexte pour Hakim Laâlam pour retrouver l'œil du journaliste vigilant qui n'omet aucun détail lorsqu'il s'agit de décrire : «Deux Algéries presque parallèles évoluant dans deux dimensions dépourvues de portes communicantes”?» (page 85). En somme, deux mondes séparés par d'infranchissables clètures électrifiées : d'un cèté le «bétail» dont fait partie «Selim» qui doit se contenter d'une lamentable (pour ne pas dire inexistante) prise en charge sanitaire dont l'issue est connue : la mort au bout du chemin. De l'autre, les privilégiés ayant accès aux meilleurs soins à l'étranger. Et lorsque nous cédons à la tristesse, l'auteur nous «repêche» grâce à son talent d'humoriste hors pair. Et là c'est un véritable régal. Fidèle à lui-même et à ses convictions, Hakim Laâlam dresse des portraits au scalpel. Qu'il s'agisse de décrire le ridicule d'une foule accueillant «l'Autre», les confrères de «Selim» retournant leurs vestes au lendemain de la «victoire» de «l'Autre» après avoir courtisé son adversaire ; les soirs de fraude électorale ou encore ceux qui ont fui le pays, durant les années sanglantes et tentent de culpabiliser ceux qui ne les ont pas imités. Hakim Laâlam se souvient de tout et veut témoigner de tout. Tout ce qu'il a vécu, tout ce dont il a souffert. C'est alors qu'au milieu de ces hommes et de ces femmes fêtant le retour de «l'Autre», le passé de «Selim» résonne dans le présent. Et nous nous retrouvons dans une «rue de plus en plus sombre» celle qui mène «Selim» chez le juge, «la rue du 144 bis». Il revoit tout, il revit tout. L'auteur fait appel à nos mémoires afin que nous n'oublions pas que le harcèlement judiciaire contre des journalistes jugés «irrévérencieux» et qui n'ont pas ployé la tête sous l'avalanche des sanctions pénales n'est pas si lointain. Au milieu de cette foule, «Selim» a soudain une idée folle qui lui traverse l'esprit. Je n'en dirai pas plus afin de laisser aux lecteurs le plaisir de découvrir les dernières pages du livre. Chacun donnera le sens qu'il veut à la mort tragique de Selim. Pour ma part, je n'y vois pas seulement la voix discordante transgressive du journaliste. Elle nous renseigne également sur la fragilité et la peur de celui que nous appelons «Le pouvoir politique». C'est toute la beauté et la signification du sourire de Selim au moment où il rend son dernier soupir.
Elle nous dit surtout que pour paradoxal que cela puisse paraître, ce même pouvoir qui use et abuse des larbins, opportunistes et courtisans, respecte profondément ceux qui préfèrent leurs convictions, leur dignité aux avantages. Il les respecte quand bien même il les déteste (et c'est un euphémisme). Aux uns, il dit : «Pourquoi avez-vous tenu à devenir quelqu'un alors que vous n'êtes même pas quelque chose '(1)»
Aux autres, il dit : «Vous paierez chèrement le prix de votre «impertinence» mais je salue votre courage et vous respecte.» C'est là tout le sens de la mort de «Selim», toute sa beauté. «Selim», en lequel se reconnaîtront ceux et celles qui sont demeurés debout et n'ont pas cédé au chant des sirènes. «Rue sombre au 144 bis» : un livre à lire absolument. Merci Hakim !
L. A.-H.
Expression empruntée à Abdelkrim Djaâd : «Pourquoi veut-on devenir quelque chose lorsqu'on est quelqu'un '» Le Soir d'Algérie 25 novembre 2013
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 30/11/2013
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : LeéÌ„la Aslaoui Hemmadi
Source : www.lesoirdalgerie.com