Rue Des Boutiques Obscures, Requiem Pour Une Mémoire Meurtrie

Le présent travail examine une écriture, qu’on peut qualifier de singulière car elle procède, pour reconstruire une vie impossible à présenter dans sa totalité, par collage d’images. Elle s’édifie en deuil constitutif qui neutralise toute tentative de représentation du sujet dans sa globalité. Cette écriture tente de reconstituer inlassablement une vérité qui évolue de révélations personnelles vers une mémoire reconstruite dont l’engagement et la sincérité garantissent l’authenticité. Cette conception moderne, à la fois révoltée et instable, exclusivement investigatrice, s’appuie sur la rétrospection et la mémoire reconstituée. Elle édifie un récit fragmenté qui s’obstine à explorer les intermittences entre la mémoire et l’histoire. Notre choix s’est porté sur le roman de Patrick Modiano, Rue des boutiques obscures (Prix Goncourt, 1978), dont la forme et le discours singuliers, constituent un cas exemplaire de témoignage littéraire de douleur et de lutte contre l’amnésie et l’oubli. Le narrateur, Guy Rolland, un détective privé amnésique, enquêtant sur son propre passé, accumule une somme d’indices et explore les lieux de son hypothétique histoire. Au fil de son investigation, il tente de reconstruire son itinéraire et le canevas de son existence. Le récit égrène des hypothèses successives sur ses origines, son identité, et libère toutes sortes d’aveux, de pensées intimes, entremêlés de souvenirs et de fantasmes dont la mise en scène retrace de possibles d’histoires de famille, et de destins de marginaux. Notre étude développe les modalités de construction de cette nouvelle interprétation de l’histoire, perpétuellement renouvelée, privilégiant l’émotion et la mémoire de trajectoires personnelles pour redéfinir notre rapport au passé. Et déterminer la nature de cette mémoire.