Algérie

Roulements de tambour contre l'Iran, mais qui donc est en train de jouer '



Roulements de tambour contre l'Iran, mais qui donc est en train de jouer '
Pour Terry Jones, le complexe militaro-industriel n'est pas étranger aux campagnes actuelles contre l'Iran. Selon l'artiste britannique, nous nous retrouvons exactement dans la même situation que les contribuables des cités médiévales italiennes, et nous voyons notre argent disparaître au profit d'un appareil militaire insatiable.
Le XIVe siècle a connu deux grandes épidémies. L'une fut celle de la peste noire et l'autre fut celle de la commercialisation de la guerre. Il y a toujours eu des mercenaires, mais sous le règne d'Edward III, ils devinrent le pilier de l'Armée anglaise, au cours des vingt premières années de ce qui allait devenir la Guerre de Cent Ans. Quand Edward signa le Traité de Brétigny en 1360 et qu'il dit à ses soldats d'arrêter le combat et de rentrer chez eux, beaucoup d'entre eux n'avaient pas de chez-eux où rentrer. Ils s'étaient habitués à combattre et c'est ainsi qu'ils savaient gagner leur vie. Alors, ils se constituèrent en armées indépendantes, appelées très justement «compagnies libres», et commencèrent à écumer la France en pillant, tuant et violant. Une de ces armées s'appelait «La Grande Compagnie». Elle totalisait, selon une estimation, 16 000 soldats et était de fait plus nombreuse que toute autre armée nationale de l'époque. Elle alla attaquer le pape à Avignon et le prit en otage. Le pape commit l'erreur de payer les mercenaires avec de grosses sommes d'argent, ce qui eut pour conséquence de les inciter davantage à poursuivre leurs pillages. Il leur suggéra également de passer en Italie où ses plus grands ennemis, les Visconti, étaient à la tête de Milan. Ils s'exécutèrent sous la bannière du marquis de Monferrato, là encore subventionné par le pape. Le cauchemar venait de commencer. Seule la peste fut plus catastrophique que ces énormes armées de brigands qui se déchaînèrent à travers l'Europe. C'était comme si le Génie était sorti de sa bouteille et qu'il était désormais impossible de l'y faire rentrer. La guerre venait de devenir une affaire rentable. Les villes-Etats italiennes s'appauvrirent au fur et à mesure que l'argent des contribuables servait à payer les «compagnies libres». Et comme ceux qui tiraient leur subsistance de la guerre souhaitaient naturellement pouvoir continuer à le faire, on n'arrivait plus à en voir le bout. Projetons-nous environ 650 ans plus tard. Les Etats-Unis, sous George W. Bush, ont décidé de privatiser l'invasion de l'Irak en ayant recours à des «entrepreneurs» privés comme Blackwater, désormais rebaptisé Xe Services. En 2003, Blackwater gagna sans appel d'offres un contrat de 27 millions de dollars pour la protection de Paul Bremer, alors à la tête de l'Autorité de la Coalition Provisoire. Pour la protection des fonctionnaires dans les zones de conflit depuis 2004, la société a reçu plus de 320 millions de dollars. Et, cette année, l'administration Obama s'est engagée à payer à Xe Services 250 millions de dollars pour assurer la sécurité en Afghanistan. Et il ne s'agit que d'une société parmi tant d'autres qui tirent leurs profits à partir de la guerre. En 2000, le Project for the New American Century a publié le rapport Rebuilding America's Defenses, dont le but avoué était d'accroître les dépenses de défense de 3 % à 3.5 %, ou 3.8 % du produit intérieur brut américain. En fait, elles représentent désormais 4.7 % du PIB. Au Royaume- Uni, nous dépensons environ 57 milliards de dollars par an pour la défense, ou 2.5 % du PIB. Tout comme les contribuables des villes-états de l'Italie médiévale, nous voyons notre argent détourné dans le business de la guerre. Toute société responsable se doit de faire des profits pour ses actionnaires. Au XIVe siècle les actionnaires des «compagnies libres» étaient les soldats eux-mêmes. Si la compagnie n'était pas engagée par l'un pour faire la guerre à l'autre, les actionnaires étaient contraints de renoncer à leurs dividendes. Alors ils devaient chercher à créer des marchés par leurs propres moyens. La «White Company» de Sir John Hawkwood offrait ses services au pape ou à la ville de Florence. Si tous les deux refusaient son offre, Hawkwood faisait simplement une offre à leurs ennemis. Comme Francis Stonor Saunders l'écrit dans son remarquable ouvrage Hawkwood ' Diabolical Englishman : «La valeur de ces compagnies était purement négative, et résidait uniquement dans leur capacité à maintenir l'équilibre des forces militaire entre les cités». Exactement comme ce qu'il s'est passé durant la Guerre froide. Il y a deux décennies, je suis tombé sur une revue interne de l'industrie de l'armement. Son éditorial s'intitulait « Merci Dieu pour Saddam ». Il expliquait que depuis la chute du communisme et la fin de la Guerre froide, les carnets de commandes de l'industrie de l'armement étaient vides. Mais que désormais il y avait un nouvel ennemi, et que l'industrie pouvait se réjouir de cette aubaine. L'invasion de l'Irak s'est faite sur un mensonge : Saddam n'avait pas d'armes de destruction massive, mais l'industrie de la défense avait besoin d'un ennemi, et les politiciens lui en ont fourni un. Et maintenant, les mêmes tambours de guerre, encouragés par l'assaut de l'ambassade britannique à Téhéran la semaine dernière, résonnent pour une attaque contre l'Iran. Seymour Hersh écrit dans le New Yorker : «On tient maintenant la comptabilité exacte de tout l'uranium faiblement enrichi produit en Iran». Le récent rapport de l'AIEA, qui a provoqué un tel tollé contre les ambitions nucléaires de l'Iran, continue-t-il, «ne contient rien qui prouve que l'Iran est en train de développer des armes nucléaires». Au XIVe siècle c'était l'Eglise qui vivait en symbiose avec le militaire. Désormais, ce sont les politiciens. Le gouvernement états-unien a dépensé en 2010 un montant astronomique de 687 milliards de dollars pour la «Défense». Imaginez ce qu'on pourrait faire avec cet argent s'il était mis dans les hôpitaux, les écoles ou pour rembourser les prêts hypothécaires et ainsi éviter les expulsions. Le président Dwight D. Eisenhower avait saisi l'occasion lors de son fameux discours d'adieu à la nation de 1961, pour mettre en garde ses concitoyens face au danger d'autoriser des relations trop proches entre les politiciens et l'industrie de la défense. «Cette conjonction d'une immense institution militaire et d'une énorme industrie de l'armement est un fait nouveau en Amérique», disait-il. «Au sein des conseils gouvernementaux, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu'elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque potentiel d'une désastreuse ascension d'un pouvoir illégitime existe et persistera.» Et il existe encore. Le Génie est sorti de la bouteille, à nouveau.


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