Dans une contribution remarquable publiée la semaine dernière dans le quotidien Libération, deux éminents historiens maghrébins posent le doigt là où cela fait mal. L'Algérien Mohamed Harbi et la Tunisienne Sophie Bessis n'y vont pas par trente-six chemins pour dire leurs vérités au pouvoir français, un pouvoir difficilement défendable, il est vrai. Le titre de leur contribution à lui seul est déjà un jugement implacable, mais objectif et courageux, des causes qui ont rendu possible la commission sur le sol français de l'effroyable tragédie du 13 novembre : «Nous payons les inconséquences de la politique française au Moyen-Orient.» Inconséquences ' Les deux auteurs sont polis, à ce stade.Le lecteur comprendra, lui, qu'en fait d'inconséquences, il s'agit plutôt d'engagements politiques à l'international qui ne sont pas loin de la forfaiture préjudiciable aux intérêts de la nation. Quelque part dans leur texte, ils le disent : «Il faut rompre le pacte faustien», cette alliance avec le diable qui évacue de la relation entre Etats une dimension essentielle, celle de la justice et de l'éthique. La suggestion ne peut être comprise sans son exposé des motifs, lapidaire et lancinant : «le djihadisme est avant tout l'enfant des Saoud et autres émirs auxquels elle (Ndlr, la France) se félicite de vendre à tour de bras ses armements sophistiqués. On ne veut pas voir que la même idéologie les anime».Plus trivialement, il faut avoir le courage de poser la question qui tue et qui, tout en tuant, indique des pistes et ouvre des liens. Au hasard, celle-ci, par exemple : sachant que, d'après des experts et analystes du terrorisme, Abdelhamid Abaaoud aurait eu besoin de cent à deux cent mille euros pour préparer et exécuter les attentats du 13 novembre, quelles seraient ses sources de financement direct et indirect ' Ce n'est un secret pour personne, Daech est porté à bout de bras par l'Arabie saoudite et le Qatar, entre autres, ainsi que la Turquie qui assurent logistique, argent et «couverture diplomatique». La France n'a pas financé Daech, mais elle a fourni une aide à son alter ego Djabhat An-nosra, une branche dissidente d'Al Qaeda. Moralement, et même matériellement, l'existence d'un lien est établie et elle mène, malheureusement, à l'horreur qui a ensanglanté Paris il y a juste une semaine.Les langues commencent à se délier et elles nous en apprennent de pas belles sur la position absolument inqualifiable et dangereuse de bout en bout, des dirigeants français sur le conflit syrien. Quand dans le couple Elysée- Quai d'Orsay, l'un était à deux doigts d'aller militairement chasser un Président légitime de son poste, l'autre ajoutait au délire en jetant un anathème qui passera à la postérité malgré lui : «Bachar Al-Assad ne mérite pas d'être sur terre». Le mal incarné étant ainsi désigné, quel armement et motivation moraux pour des jeunes laissés pour compte des banlieues ostracisées d'aller combattre, l'arme à la main, celui qui personnifie le mal absolu.Aujourd'hui que le mal est fait, que la France a trop injustement payé au prix du sang de ses enfants et d'amis de la France de passage dans la Ville lumière ce jour funeste du vendredi 13 novembre, aujourd'hui tout ce qui peut être entrepris a le goût d'un énorme et impardonnable gâchis. A l'image d'Esaü cédant son droit d'aînesse pour un plat de lentilles, la «France, mère des arts, des armes et des lois» (Joachim Du Bellay) a-t-elle fait commerce de son âme et de ses valeurs entre Riyad et Doha ' Elle s'en remettra, car en ce moment son élite intellectuelle et de grands pans de l'opinion sont dans un état d'insurrection morale contre l'affront fait à leur grande nation. Le temps sera celui que mettront les blessures à être moins saignantes.A. S.
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Posté Le : 21/11/2015
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : A Samil
Source : www.latribune-online.com