Livres
Le mauvais génie. Roman de Nadjib Stambouli. Casbah Editions, Alger 2021, 205 pages, 750 dinars
Comment se transformer, en peu de temps et sans trop de soucis de fonctionnaire ou d'administrateur d'entreprise, Amin, gérant les dossiers (étude des marchés et des propositions) ayant trait aux grands et coûteux travaux (entre autres dans le Bâtiment et les Travaux publics) en corrompu sans que cela ne fasse de très grosses vagues autour de vous sauf avec la compagne, Lila, qui n'arrive pas à voir son époux se transformer en «pourri», lui, l'admirateur de Zorro le justicier, lui, très respectueux de la mémoire de Nanna Toma, sa vieille parente si riche, si bonne et si généreuse, lui, qu'elle a aimé pour sa droiture, son honnêteté et sa simplicité. Si aimé qu'elle n'ira pas plus loin que le silence désapprobateur (et une couche séparée) mais non complice. C'est ce que décrit l'auteur, qui démontre sa maîtrise du journalisme d'investigation (il est vrai que l'enquête dans le domaine de la corruption peut paraître facile à effectuer tant il est très vrai que c'est, dans notre société, tout particulièrement à partir des années 2000, une pandémie nationale où personne ne veut ni ne peut être vacciné. Yatnahaw gâa et encore) : corruption, mode d'emploi !
Au départ un (faux-) ami d'enfance et de jeunesse, Saadoune, «bisnassi» qui sert d'intermédiaire et qui fait tout (l'appât des femmes faciles, les séjours pris en charge...) pour convaincre notre administrateur, favoriser les appels d'offres de certains entrepreneurs et les «aider» donc à décrocher les marchés. Petit à petit, l'honnêteté du «héros» est grignotée, surtout devant les très grosses liasses de billets de banque qui affluent, toujours de manière discrète. Il s'était aussi aperçu que presque tout son service «mangeait» et/ou picorait, toujours de manière discrète et innocente. Une excuse. Quand il se retirera (retraite anticipée), après avoir fait le plein, «très satisfait de ce qui lui a été prodigué par Dieu et par Si Liassi», il s'en ira «investir» son (sic !) argent dans les affaires mais il n'ira plus se recueillir sur la tombe de sa marraine. Sera-t-il le chaînon nouveau de la chaîne de la corruption ' On le saura peut-être dans le prochain roman de N. Stambouli qui se «rattrape» (en matière de morale de l'histoire) en transformant le gros entrepreneur corrupteur, Hadj Liassi, en «repenti» se préparant à aller (re- ')faire son pèlerinage à La Mecque et le «faux-ami» bisnassi corrupteur en homme rangé travaillant dur (taxi clandestin) pour se construire une vie rangée.
L'Auteur : Economiste de formation, journaliste. Il a été directeur de rédaction dans de nombreux journaux (hebdos et quotidiens). Déjà auteur de plusieurs ouvrages dont «Ma piste aux étoiles» (des portraits), «Le comédien», «Le fils à maman ou la voix du sang», «La rancune» (des romans)...
Citations : «Un des mystères de l'amitié est qu'une fâcherie et même un violent conflit, même récent, se dilue dans la réconciliation» (p49), «Dans toute entorse à la tranquillité quotidienne, il faut atteindre la fin pour vérifier que tout est bien qui finit bien» (p57), «On n'aime pas dans la routine du quotidien mais dans le besoin inassouvi de la tendre présence» (p 118), «La corruption, on y entre facilement, presque en toute innocence, mais une fois dedans, c'est un enchevêtrement de ventouses et de tentacules «(p147).
Avis : Tout est bien qui finit «bien» ! Le corrupteur devient un «honnête» homme et le fonctionnaire honnête devient un «parfait» corrompu. Pas moral, tout ça ! La réalité du terrain ' Foi de journaliste.
Extrait : «Une vingtaine d'années de vie commune, ça crée de la connivence et de la tolérance; on se lit dans le silence, on se devine, on se précède en pensée et surtout on se pardonne des fautes avant même qu'elles soient commises. Les uns appellent cette relation de l'amour. D'autres parleraient plutôt d'habitude devenue une seconde nature» (p55).
La Kafrado. Un nouveau départ. Roman de Malika Chitour Daoudi. Casbah Editions, Alger 2021, 206 pages, 750 dinars
Un roman d'aventures (avec, bien sûr, comme dans tous nos romans, derrière les rideaux, une histoire d'amour qui commence bien, qui se déroule presque mal mais qui finit bien).
L'histoire ' Une histoire qui s'inscrit dans la grande histoire du pays 32 ans après le début de la colonisation. L'histoire d'une belle aventurière sicilienne, avec un nom d'emprunt «Signora Francesca Erina Giovanna Da Casas a Castelli» («chez nous, dit-elle, plus le nom est long plus on est craint et respecté») fuyant son «protecteur» après lui avoir «piqué» une bonne partie de sa fortune, gorgée d'humanité et de courage qui débarque à Bône (actuelle Annaba), en compagnie d'une «esclave» noire fille d'un chef dogon, Dorato (enlevée par des Peuls ennemis et troquée contre un mousquet à un pirate sicilien) qui, libérée, deviendra son amie, sa protégée, sa s?ur, sa confidente.
L'Algérie colonisée ' «Le nouvel Eldorado à la terre grasse n'attendant qu'à être prise ! (...). Une terre peuplée de maures fainéants, paraît-il, qui vendent leurs femmes et leurs terres, au lieu de la travailler et moi je ne demande qu' 'à acheter. Je me suis bien acheté une vie...»
Arrivée à bon port, très vite elle se rapproche (elle a pris, en public, la défense de jeunes femmes indigènes importunées par le guide d'origine européenne) d'un chef de tribu «mauresque», Kader qui lui vend une partie de la terre familiale, «celle qui donne sur la route» (pour qu'elle ne lui soit pas prise par des colons affairistes, sans foi ni loi et partisans de la dépossession pure et simple, au demeurant par la violence et le meurtre). Ce sera le domaine «La Kafrado», qui, rapidement, sera le refuge des indigènes de la tribu et qui va prospérer, entre autres, grâce à la vigne (dont les ceps -pieds de vigne- avaient été importés par la «Contessa»). Tout cela sur fond de résistance contre l'occupation coloniale, de tentatives violentes de dépossession des terres, de chantage et, aussi, même de règlements de comptes entre colons. Heureusement, pour la Contessa, tout est bien qui finit bien. Kader, le chef de tribu, continuera sa lutte, et Angelo la brute «qui n'avait d'ange que le nom», l'amant de départ, arrivera à temps plus amoureux que jamais.
L'Auteure : Née à Alger. Opticienne installée à Constantine
Extrait: «La fin de quelque chose est toujours le début d'une autre, qui sera meilleure si tu y mets toute la volonté» (p 16).
Avis : Très belle couverture illustrée par une acrylique de Hanane Trinel Ourtilani. Note : C'est à la fin que j'ai enfin compris ce que voulait dire «Kafrado» : (Ka)der+ (Fra)ncesca+ (Do)rato. L'honneur est sauf !
Citations : «Quand on ne sait pas ce qui nous manque on n'en ressent pas la nécessité» (p109), «Une amoureuse malheureuse finit toujours en malheureuse sans amour» (p155), «Le mensonge est comme une boule de laine qui grossit au fil du temps et dont les fils font plein de n?uds !» () 159).
En souvenir de l'étrangère. Roman de Mouloud Achour. Casbah Editions, Alger 2021, 221 pages, 850 dinars
L'Histoire d'une famille de Tangart sans histoires ! Celle des Saad Fatah. Six frères. Une famille qui, d'origine paysanne, a conquis la ville (en fait un village, Aïn Meziada) et a acquis, grâce à une solidarité sans faille et un dur labeur, une immense fortune faisant d'elle, déjà l'époque coloniale, une entité enviée, et jalousée car puissante. De la terre en montagne, gérée par l'aîné (Mansour, l'aîné des enfants du Fondateur) mais de la terre qui, bien travaillée, rapporte gros. Des usines, la plus belle maison, des magasins, des commerces florissants, une usine et, surtout, pas trop de vagues.
Du moins en apparence. Les vagues vont venir de l'intérieur même de la famille. Fortune faite, la belle demeure «citadine» va devenir trop étroite pour une famille qui s'agrandit vite et, surtout, déchirée par des intérêts matériels divergents : le décès de la grand-mère, Yamina, des enfants, des belles-familles (dont l'une d'ascendance turco-algérienne) qui s'incrustent, les belles-s?urs qui ne s'entendent pas... La rupture ne tarde pas à venir. On se sépare devant les tribunaux. Seul Rahim, «Tête d'Ange», un neveu (de la ville), instruit, continue à rendre visite à son grand oncle de la montagne. Plus tard, octogénaire, il racontera la saga d'une grande famille qui, très soudée durant les grands moments de labeur et de sacrifices, éclatera de l'intérieur. Une saga à multiplier par cent, par mille, avec une société qui n'est pas arrivée à s'adapter rapidement à l'évolution économique et matérielle de son environnement et qui a débouché, avec l'arrivée de générations se sentant moins concernées par les traditions, les us et coutumes et l'indivision, sur son «éclatement»; la réconciliation venant toujours top tard le jour des enterrements.
L'Auteur : Né à Tamazirt, du côté de Larba Nath Iraten, en 1944, Mouloud Achour est, en 2020, chargé d'édition (Casbah éditions). Etudes de droit interrompues au bout de deux années (Université d'Alger), diplômé de l'Ecole normale supérieure, enseignant puis journaliste (il avait «lancé» et animé longtemps les pages culturelles du quotidien public «El Moudjahid» ) et directeur de rédaction de journaux et, aussi, un bref passage dans la haute administration comme chef de cabinet de Aboubekr Belkaïd, alors ministre de la Communication. Plusieurs ouvrages à son actif dont le premier en 1971. Décédé jeudi 24 décembre 2020.
Extraits : «L'argent est fait pour être dépensé, l'important étant qu'on en gagnât assez» (p 58), «La terre ne peut compter sur personne d'autre que celui qui l'a acquise à la sueur de son front et qui la traite comme son enfant» (p168), «Lorsque arrive l'instant fatidique où l'amour doit s'incliner, toute la sémantique à laquelle il a donné naissance devient dérisoire. Et la vie serait si facile si l'amour s'éteignait du seul fait de la volonté partagée des amants d'y mettre le point final» (pp 184-185). Avis : Un roman bienveillant et d'une intelligente sagesse à l'image de son auteur. Une critique cependant : il n'est pas sûr que «ce qui provoque l'effondrement des édifices les plus solides est à chercher dans le comportement des femmes» (p87). Très belle couverture illustrée d'un tableau de Djamil Amhis (mosaïste). Citations : «La ville, si l'on n'y prend garde, peut dévorer les plus valeureux, dévoyer les plus sages et causer en définitive plus de torts qu'elle ne peut procurer d'avantages» (p53), «Tout en haut de l'arbre, certaines branches sont d'un accès périlleux. Trop éloignées des racines pour qu'on s'y sente en sécurité» (p 86).
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Posté Le : 08/07/2021
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Belkacem Ahcene Djaballah
Source : www.lequotidien-oran.com