Algérie

Roland Dumas au Quotidien d'Oran «Une participation française au bombardement de l'Iran serait une catastrophe»



Roland Dumas, longtemps ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, reste un observateur très attentif de la géopolitique. Il a accepté de faire un tour d'horizon pour Le Quotidien d'Oran sur le « Grand Moyen-Orient ». Le Quotidien d'Oran: Une partie de l'exécutif américain comme une fraction du pouvoir iranien semblent rechercher une confrontation armée sur le dossier du nucléaire iranien. Cette hypothèse vous semble-t-elle plausible ? Quels en seraient selon vous, les effets à court et moyen terme ? Roland Dumas: C'est essentiellement le Président Bush et l'administration américaine qui, du côté des Etats-Unis, manient la menace contre l'Iran. Ces menaces sont sérieuses. Des manoeuvres ont lieu. Des émissaires des grandes banques américaines ont fait récemment le tour des plus importants établissements financiers mondiaux pour recommander «avec insistance» à ces établissements de ne plus assurer les transferts d'argent en direction de l'Iran, même lorsqu'il s'agit de la réalisation de contrats commerciaux ou industriels. Du côté iranien, c'est le Président Mahmoud Ahmadinejad qui multiplie les déclarations offensives contre les Etats-Unis et surtout contre Israël. Les deux parties veulent en découdre mais il existe dans chacun de ces pays, des forces qui freinent ces élans guerriers. Rien n'est à exclure, pas même des actions de guerre limitées. Tout cela en dépit des informations qui proviennent des organisations internationales sur le nucléaire ou par les observateurs qui vont et viennent en Iran et qui laissent penser que l'Iran n'est pas en mesure de fabriquer rapidement une bombe atomique. Toutefois, le précédent de l'Irak devrait nous instruire. Si ces événements devaient se produire - et il existe des probabilités pour qu'ils se produisent - la situation deviendrait hautement dangereuse dans tout le Proche et Moyen-Orient. Q.O.: Certains experts prévoient une participation israélienne et même peut-être française aux opérations de bombardement sur l'Iran. L'intervention de l'aviation française, selon vous, serait-elle envisageable et souhaitable ? R.D.: La question se pose en effet. Il apparaît de plus en plus que l'Iran est directement concerné et qu'Israël devient un acteur de ce jeu dangereux. Le Premier ministre israélien a fait plusieurs déclarations ces jours derniers dans lesquelles il reprochait aux Etats-Unis «leur mollesse et l'orientation de leur politique». Ehud Olmert a ajouté que si les choses continuaient comme cela, Israël prendrait les affaires en main. Tout cela est mauvais signe. Je ne crois pas pourtant qu'Israël se mettra en première ligne dans une offensive contre l'Iran. Le gouvernement de Tel-Aviv agira par ses réseaux et ses connections avec ses alliés américains car la présence d'Israël sur le terrain, contribuerait à mettre encore plus le feu aux poudres. Il n'en demeure pas moins qu'Israël sera intéressé directement par la suite des événements si une offensive était engagée. Cette complication supplémentaire n'est pas à exclure. Quant à la France, le changement de politique étrangère de Paris laisse penser que le gouvernement français se joindrait aux Américains sous une forme ou sous une autre. Cette éventualité serait une catastrophe notre pays, elle n'est souhaitable à aucun degré. On se souvient de la France du ministre des Affaires étrangères à l'adresse de Madame Rice, secrétaire d'Etat aux Affaires américaines : «En quoi peut-on vous aider en Irak ?» Cette phrase en dit long sur les intentions des dirigeants français dans la région. Q.O.: Le nouveau gouvernement français prévoit une intégration complète dans l'Otan. Quels pourraient en être les avantages et les inconvénients ? R.D.: La question n'est pas nouvelle. Le gouvernement de Jacques Chirac après son élection à la Présidence de la République avait manifesté le désir de réintégrer le commandement intégré de l'Otan. Il demandait en échange que la France reçoive un commandement militaire de l'Alliance atlantique, notamment le commandement du «Flanc Sud». Ce commandement intégrait l'axe méditerranéen. La demande française a reçu une réponse négative. Il était évident que Washington n'accepterait pas de confier à quelqu'un d'autre qu'au gouvernement américain le commandement du passage des troupes éventuellement pour ceux qui viendraient au secours d'Israël. La proposition française n'a pas eu de suites. Diverses déclarations des autorités françaises laissent à penser que l'idée pourrait être reprise. Il sera fort intéressant de voir comment elle sera exprimée par la France et comment elle sera reçue par les Américains. La tentative d'intégration de l'OTAN tournerait le dos à ce qui fut la défense militaire extérieure de la France depuis la fin de la 2ème Guerre mondiale, surtout depuis les querelles liées à la Guerre froide, au moment où les menaces sur l'Europe étaient beaucoup plus fortes et les tensions entre les deux super-puissances beaucoup plus vives. Ce qui n'a pas été possible alors que la situation mondiale était tendue, pourquoi le serait-il aujourd'hui, où par définition, nous vivons une période de paix ? Q.O.: Faut-il maintenir des troupes françaises en Afghanistan et au Liban ? R.D.: La politique militaire de la France doit être au maximum conçue dans le cadre de politiques collectives. La participation de troupes françaises ne peut avoir lieu que dans un consensus international, de préférence celui des Nations Unies. La question se pose donc pour l'Afghanistan comme pour le Liban et plus particulièrement encore pour le Liban où nous avons des intérêts particuliers. La France n'a rien à faire dans ces territoires en maintenant ses troupes si celles-ci ne sont pas présentes sous le «chapeau» des Nations Unies. Q.O.: Le Président Erdogan a confirmé l'intention de la Turquie d'intervenir au Kurdistan irakien. Est-ce que cela ne scellerait pas l'éclatement définitif de l'Irak et une généralisation dangereuse de la crise régionale ? R.D.: Toute intervention en Irak ne fera qu'aggraver la situation dans la région. L'Irak est bien malade. Aucune perspective ne se dégage. Les plans de paix échouent les uns après les autres. Si la Turquie intervient au prétexte de régler le problème du Kurdistan, cela ne fera qu'accélérer l'éclatement de ce pays. Cela aggraverait la crise régionale. Q.O.: Le Président Sarkozy propose un projet aux contours encore un peu flous, l'Union méditerranéenne. Quel pourrait être selon vous l'intérêt de ce projet qui ne recueille, semble-t-il, aujourd'hui que l'intérêt poli des pays concernés ? R.D.: L'Union méditerranéenne est une belle idée. Elle correspond à une histoire qui remonte à l'antiquité. Elle est accompagnée d'une unité géographique qui s'impose à tous. C'est la première fois que l'Europe se prononce en faveur d'une union méditerranéenne. Nous-mêmes y avions pensé lorsque nous étions aux affaires. La seule difficulté tient à la proposition de faire un ensemble méditerranéen qui devra tenir compte de l'existence de l'Etat d'Israël. Je me suis personnellement heurté à ce problème lorsque j'ai commencé à proposer l'union partielle des pays méditerranéens intitulée le « 5 5 ». Il s'agissait alors de regrouper des pays méditerranéens en faisant abstraction du problème israélien. La tentative ultérieure qui a consisté à englober Israël dans cette perspective a échoué en raison de l'opposition des pays arabes. La situation telle qu'elle est aujourd'hui dans le Proche-Orient ne faciliterait pas cette réunion. Il faut attendre encore quelque temps pour que le plan français se précise autour du projet du Président Sarkozy.


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