Algérie


Six heures du matin. Temps gris et brumes. Les pneus du Boeing 777 d'Air France viennent de toucher la piste et le gros porteur roule maintenant vers son point de stationnement. Dans la cabine, les passagers s'étirent et certains sont déjà debout malgré le rappel à l'ordre des hôtesses (cela doit vous rappeler une certaine compagnie bien de chez nous, n'est-ce pas ?). Barbes naissantes, sourires las, yeux gonflés de sommeil, (très) petites mines, l'état général n'est guère reluisant. Peut-être est-ce différent à l'avant, là où classes spéciales le permettant, on peut déplier ses jambes et dormir à l'horizontale. L'appareil ne s'est pas encore immobilisé mais des téléphones portables sonnent déjà tandis que d'autres, triturés par des propriétaires un peu agacés, ont visiblement du mal à capter l'un des trois réseaux français. Comment faisaient tous ces gens avant l'invention du mobile ? Le temps est loin où il fallait attendre d'être dans l'aérogare pour appeler les siens et les rassurer. Aujourd'hui, il faut de l'instantané, du temps réel et tant pis pour celui dont la batterie s'est déchargée. Un jeune Américain, physique et tee-shirt de surfeur californien, demande à l'hôtesse comment il doit s'y prendre pour rejoindre je ne sais quel terminal. Elle répond qu'elle n'en a aucune idée, que les choses n'arrêtent pas de changer à Roissy, que les travaux y sont permanents, qu'il y avait, jadis, une navette, qu'elle existe peut-être encore ou peut-être pas et que le mieux est de s'adresser au guichet des informations. « Mon vol pour Marseille est dans une heure », insiste-t-il, un peu blême. Elle consent alors à tirer un gros guide de son sac, se perd dans l'index, pense avoir trouvé, cherche encore, puis abandonne. « Désolée », s'excuse-t-elle en se mettant de côté car l'endroit commence à se vider. On avance à la queue-leu-leu en essayant de ne pas se faire frotter le talon par l'impatiente qui suit. On passe par le compartiment des business en ayant l'impression de traverser une chambre à coucher abandonnée à la hâte par des occupants peu soigneux. Couvertures et oreillers au sol, restes de repas, pile de magazines, mais pourquoi les compagnies aériennes imposent-elles toujours ce spectacle aux passagers de la classe économique ? Est-ce une manière de les inciter à payer plus pour voyager mieux ? Est-ce pour leur rappeler que le monde est resté monde avec ses inégalités et ses privilèges durant les sept heures passées à quelques milliers de pieds au-dessus de l'océan ? On se pose ces questions fondamentales quand arrive la première contrariété de la journée — la seconde pour ceux dont le téléphone ne marche pas ou qui affiche un message expliquant que personne ne les attend. A la porte du Boeing, pas de passerelle, mais un escalier avec à son pied un bus qui charge hommes et femmes à la démarche un peu flageolante. Et pour arranger le tout, une méchante pluie se met de la partie. On est loin, très loin du terminal. Bienvenue à Roissy ! Chers voyageurs (imaginez une voix suave et enthousiaste). Après votre vol transatlantique, fourbus, éreintés, quelque peu crasseux, vous roulerez durant un quart d'heure dans un bus, entassés les uns sur les autres et perdant l'équilibre à chaque coup de frein. Vous serez ravis de découvrir Roissy et ses alentours, les autoroutes qui le longent, ses talus gazonnés où gambadent des lapins et ses ateliers de réparation de matériel roulant. Vous serez ensuite déposés au bas d'un immeuble sombre où vous pénètrerez en traînant votre sac de voyage et vous aurez raison de vous maudire car vous auriez mieux fait de l'enregistrer. Bien entendu, l'escalator sera en panne mais monter les marches vous fera du bien puisque vous n'aurez effectué aucun des gestes de relaxation que nous vous avions conseillé de faire pendant le vol (la prochaine fois, soyez attentif à la démonstration de notre personnel de cabine !). Fin du message. Epreuve terminée ? Ne plaisantons pas. Voici le contrôle de police. Trois ou quatre vols arrivés de très loin face à deux, non trois, guichets ouverts. Ah, ouf, un quatrième policier se pointe, c'est déjà mieux. Mais... Erreur. Le képi est juste venu blaguer avec sa collègue et s'en retourne vers des tâches sûrement plus importantes. Il sait qu'au moins deux cents paires d'yeux le fixent avec colère mais il fait comme si de rien n'était. Trente minutes plus tard, on arrive enfin aux livraisons de bagages et on est tout étonné d'apprendre que les bagagistes ne sont pas en grève et, surtout, de voir sa valise arriver assez vite. C'est une information qui vaut de l'or. Cela signifie qu'Alitalia, qui semble prendre un malin plaisir à perdre les bagages de ses passagers — surtout ceux qui se rendent en Italie en été, je le sais, j'ai testé... à l'aller comme au retour — n'a pas encore contaminé toutes les compagnies alliées à Air France (dont il ne faut pas dire du mal dans Le Quotidien d'Oran, un confrère s'en étant déjà chargé ce qui a fait visiblement beaucoup de peine à bien du monde). Bref, on est enfin sorti de la zone sous-douane. Dans le « coltar », on essaie de deviner vers où aller. A droite ? A gauche ? Où sont les ascenseurs ? Mais b... qui a inventé cette signalétique ? Découragement. C'est à ce moment-là qu'un couple d'Américains vous demande le chemin pour la gare « diou âââre-i-âââre ». Le Rer ? Vous êtes sûrs ? Yes, yes. Bon, réfléchissons. Voilà, il faut prendre ce bus, mais attention, ne vous trompez pas de sens sinon vous allez passer votre temps à tourner en boucle. Où acheter les tickets ? A la gare, mais il ne faut pas être pressés. Pourquoi ? Et bien, à cette heure-ci, il n'y aura qu'un guichet d'ouvert et n'essayez même pas de comprendre comment fonctionnent les distributeurs automatiques. Vous verrez, vous ne serez pas seuls. Vous ferez la queue avec plein de gens, tous très, très fâchés. Et vous descendez où à Paris ? A la Gare du nord ? Hum... Pourquoi je rigole ? Pour rien, c'est la fatigue du voyage. On les regarde s'éloigner en repensant à un récent sondage publié par la French-American Foundation. Parmi les Américains ouvertement francophobes, une grande majorité avoue avoir déjà séjourné en France. Comme aurait pu le chanter celui qui a pleuré les vacances à Paris qui se finissent à Orly, c'est peut-être à Roissy que commence l'américano-francophobie...


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