Algérie

Riad Djifaflia dit Kerkouba : L'exemple d'un artiste déterminé


Il est né dans un petit village de Souk Ahras, au milieu d'une famille pauvre, et il a réussi à s'imposer sur la scène malgré son handicap. Il est aujourd'hui comédien professionnel avec des pièces où il participe et rafle des prix, les uns après les autres. Il s'appelle Riad Djifaflia. Il a 30 ans. Et voici son histoire?Né en janvier 1987 avec un handicap physique, Riad Djifaflia, de son nom d'artiste Kerkouba, est un exemple de courage et de détermination à méditer, notamment dans les milieux ruraux en Algérie.
Encore enfant, il rêvait d'être comédien et de jouer, un jour, dans la cour des grands, au Théâtre national d'Alger (TNA). Rencontré récemment à la 11e édition du Festival national du théâtre professionnel, organisée du 23 au 31 décembre 2017 au TNA, il avoue qu'il a, à plusieurs reprises, songé à jeter l'éponge à cause de ses deux jambes qui lui faisaient souvent défaut.
Il confie aussi qu'il s'est senti souvent marginalisé durant son enfance, que ses camarades de classe se moquaient de sa particularité et que le mot «handicapé» le rendait triste et lui rappelait combien son rêve de devenir comédien était difficile à se concrétiser.
Alors qu'il venait de passer plus de six mois à l'hôpital Mustapha Pacha, une soudaine envie le poussa à se relever et à prendre son destin en main. Il décide alors de surpasser sa douleur, de mette à côté sa ranc?ur et de se battre pour atteindre son objectif, celui de monter, coûte que coûte, sur l'une des scènes algériennes du théâtre.
Plusieurs années plus tard, le rêve de Riad devient enfin réalité. A sa grande joie, il rencontre, non seulement, ses idoles, dont Athmane Ariouet, Hamid Achouri et Samira Sahraoui, mais il a même joué aux côtés de ces deux derniers dans Torchaka, du metteur en scène, Ahmed Rezzak.
Cette même pièce, qui était en compétition à la 10e édition du même festival (2016), avait changé sa vie. Riad venait de participer pour la troisième fois consécutive à cette compétition qui regroupe annuellement tous les professionnels de cet art exceptionnel. Nous étions avec lui lors de l'annonce des prix. La pièce Torchaka avait cassé la baraque en marquant une année exceptionnelle. Riad était pris de panique. Sa troupe n'a reçu, jusque-là, aucun prix.
A vrai dire, il ne restait que le grand prix, mais ce dernier a été annulé en 2015. Riad ignorait si le jury allait le distribuer cette fois-ci ou pas.
Désemparé, il ne pouvait pas penser à l'idée de voir Torchaka et partir bredouille de cette compétition. Riad n'a pas arrêté d'appeler ses amis qui assistaient à la cérémonie de clôture. Lorsque soudain, il éclate de joie et tombe dans les bras d'Ahmed Rezzak, qui accordait, lui, vraisemblablement, peu d'intérêt à cette histoire de trophées.
Torchaka venait de gagner le grand prix de cette 10e édition du théâtre professionnel. Emotionnellement, il venait de vivre l'un des moments les plus forts de sa vie et de sa carrière de comédien. Les larmes versées ce soir-là étaient certainement signe de joie, mais aussi de réussite de ce jeune artiste, dont peu de gens ont cru en lui, mais qui n'a jamais baissé les bras pour parvenir là où beaucoup n'ont pas réussi à y être.
Enseignante
«Le théâtre est l'oxygène que je respire. C'est mon passé, mon présent et mon avenir», nous avoue-t-il. Né à Mechta El Titria, dans la commune de Hanancha, au nord-ouest de Souk Ahras, Riad, qui a grandi dans une famille pauvre, dont le père était man?uvre, a trois frères qui ont tous le même handicap et trois s?urs, dont une lycéenne et deux qui sont aujourd'hui mariées. «Nous habitions ma famille et moi dans un village pauvre et isolé. J'ai vite pris conscience que mon entourage ne me convenait pas.
Il me méprisait pour mon handicap, chose qui me détruisait psychologiquement. On avait pitié de moi, ce qui m'a fait comprendre que j'étais différent des autres.
Cela m'a vraiment anéanti», se rappelle-t-il. Ses rapports avec les élèves étaient très mauvais. Il raconte, qu'heureusement il avait une enseignante qui l'encourageait à aller de l'avant et réussir dans ses études. Depuis, Riad a toujours fini premier de sa classe avec, parfois, des moyennes qui dépassaient les 17/20.
A la 5e année, il entre dans les rangs des scouts de sa région. Et c'est là qu'il découvre un monde qui le comprenait et participait même dans la première pièce de sa vie. «Dans les scouts, j'ai retrouvé l'environnement qui me faisait confiance. J'ai participé pour ma première pièce théâtrale en 1996 où j'ai incarné le rôle du juge. J'avoue que j'ai fait pipi dans mon pantalon quand on a ouvert le rideau (rire).
J'ai vu mon père et les autorités qui me regardaient. J'ai eu peur», se souvient-il avec sourire. Au CEM, il est parvenu à passer à la 8e année avec une moyenne qui dépassait 17,50/20 et il a même constitué sa première troupe où il s'est amusé à donner plusieurs spectacles en reprenant les textes de Adel Imam, dont il était fan. Mais la 9e année a gâché l'ambiance de son ascension.
Riad a complètement perdu l'usage de ses deux jambes. Cela l'a plongé, systématiquement, dans une situation psychologique comateuse. Il pensait réellement avoir tout perdu. «J'ai tout détesté ; ma famille, mes amis, mes études? tout. Les médecins m'ont dit que je n'allais jamais réussir à me relever. On m'a assuré que j'allais finir sur un fauteuil roulant. J'ai tout abandonné, même mes études», regrette-t-il amèrement.
«Je marche»
Les années qui ont suivi n'étaient pas prospères pour lui. Sa situation familiale ne lui permettait, malheureusement, pas de rester les bras croisés. Et comme il ne voulait dépendre de personne, il a décidé de tout laisser, se relever et travailler pour aider sa famille. «J'ai été hospitalisé à plusieurs reprises. J'ai marché longtemps avec des béquilles, mais j'ai fini par tout abandonner. J'ai décidé de marcher malgré la douleur et j'ai réussi à le faire avec le temps.
La preuve est que je marche aujourd'hui et je fais même du théâtre. Vous en rendez-vous compte ' (Rire).» Riad tenait alors une petite table de cigarettes dans sa commune, puis il a travaillé longtemps comme serveur dans une cafétéria avant que le Théâtre régional de Souk Ahras ne lui ouvre ses portes en 2011.
«Après l'ouverture du TRA, je suis allé me présenter et là, je rencontre le metteur en scène, Yacine Tousni, que je ne remercierai jamais assez, car il a cru en moi. Il m'a beaucoup aidé et m'a fait confiance. C'est lui qui m'a donné ma première chance», assure-t-il.
Kechrouda
Riad participe donc dans la première pièce présentée par le TRA, un projet de Yacine Tousni, intitulée Adam et le monstre. «J'ai appris le texte comme si on apprenait un cours d'histoire ou de géographie. Yacine Tounsi s'occupait à la fois des répétitions mais aussi de notre formation.
J'avoue qu'il a, tellement, souffert avec moi», avoue-t-il. Puis, Riad enchaîne les rôles et les spectacles. Il a, notamment, participé dans une tournée nationale avec le TRA et en 2012 à son premier Festival du théâtre professionnel avec le théâtre de Khenchela. Puis, il a incarné le premier rôle dans une pièce de Lahcène Chiba et joué dans le spectacle de Haïdar Benhassine, avant de faire la rencontre du metteur en scène, Ahmed Rezzak.
Riad participe avec lui dans son spectacle Ceux qui montent en bas, présenté à la 9e édition du Festival du théâtre professionnel. Le grand public l'a réellement découvert dans Torchaka, dans son deuxième spectacle avec Ahmed Rezzak, qui a raflé le grand prix de la 10e édition du même festival.
Dans la 11e édition, Riad participe dans Kechrouda, du même metteur en scène qui raflé les prix de la meilleure mise en scène, meilleur texte, meilleur premier rôle féminin et meilleur deuxième rôle masculin. Aujourd'hui, Riad est devenu un comédien professionnel, convoité, à la fois, par le théâtre pour enfants et par le théâtre pour adultes.
Entre autres, il a travaillé aussi avec beaucoup de metteurs en scène, dont Tounès Aït Ali et Aïssa Jekati. Il avoue qu'il est, aujourd'hui, un autre homme. Il dit qu'il est comblé et va même se marier dans quelques mois. «Je respecte tous les metteurs en scène, mais Ahmed Rezzak est un monument.
Il est celui qui a illuminé ma vie, car il est, avant tout, un artiste et un humaniste. Quant au théâtre, il m'a tout appris. Il m'a permis de regagner confiance en moi et ne jamais m'affaiblir. Merci pour tous ceux qui m'ont aidé de près ou de loin à réaliser mon rêve», insiste-t-il. Riad assure que son mariage sera célébré non pas par la musique mais par une pièce théâtrale qui sera présentée dans son village avec des comédiens connus qui lui ont promis d'y être là.
Mais avant de clôturer notre interview, il a insisté pour passer un message aux responsables des théâtres, aux metteurs en scène et acteurs du secteur culturel en Algérie concernant les jeunes comédiens en situation de handicap : «Pour les ministères de la Solidarité et celui de la Culture : ouvrez les portes aux gens se trouvant en situation de handicap, car ils ont en eux un trésor qui vaut plus que l'or.
C'est la détermination et le dévouement. Oubliez les 3000 DA que vous leur donnez et pensez à leur capacité et à leur talent. Donnez leur cette chance dont ils en ont besoin pour réaliser leur rêve et leur permettre d'exister dans notre pays. Laissez-nous prouver ce que nous sommes capables de faire.
Enfin, je demande juste à ce que vous regardiez l'artiste en tant qu'artiste, sans aucune forme de discrimination. Vous allez nous rendre un grand service.»
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